mercredi 12 janvier 2022

Reportage Tentatives de suicides chez les adolescentes : «Le plus dur, c’est qu’elle ne semble avoir aucun regret sur son geste»

par Julien Lecot   publié le 10 janvier 2022 

Les pédopsychiatres de l’hôpital Robert-Debré, dans le nord-est de Paris, sont débordés par la forte hausse des tentatives de suicide de jeunes filles depuis le début de la pandémie.

Depuis trois jours, Sylvie (1) enchaîne les allers-retours entre son domicile d’une ville aisée de banlieue parisienne et l’hôpital Robert-Debré, dans le nord-est de Paris, où sa fille Marie (1), âgée d’une quinzaine d’années, est hospitalisée. «Toute la semaine dernière, j’étais à ses côtés, raconte-t-elle d’une voix fatiguée, lundi matin, dans un bureau de l’hôpital, à l’abri des yeux et des oreilles de son enfant. Vendredi, je me suis absentée brièvement. Quand je suis rentrée, je l’ai retrouvée sur son lit, une boîte de Xanax à la main. Elle avait déjà pris trois cachets et elle comptait en reprendre. Tout ce qu’elle me disait c’est : “Je veux en finir.”»

L’histoire de sa fille, Sylvie l’a racontée «une bonne dizaine de fois» depuis le début du week-end, aux infirmiers et médecins des urgences pédiatriques qui se sont succédé au gré de leurs gardes. Il y a encore quelques mois, Marie allait relativement bien. Le premier confinement, au printemps 2020, avait certes laissé quelques traces : l’adolescente avait un temps demandé à voir une psychologue, mais son état n’était pas particulièrement préoccupant.

«On n’imaginait pas en arriver là»

«Depuis sa rentrée en septembre, dans un lycée super élitiste, elle a commencé à aller mal. Elle n’avait pas d’amis et ne se sentait pas à sa place. Et puis en novembre, les crises d’angoisses ont débuté, retrace Sylvie, pesant chaque mot pour ne pas se laisser submerger par l’émotion. C’est à ce moment-là qu’elle a commencé à nous dire qu’elle ne voulait plus être de ce monde, à cause de la souffrance qu’elle voyait partout. Elle a perdu beaucoup de poids, commençait à se scarifier les bras et le torse en disant que ça la soulageait. Jusqu’à vendredi, on espérait que ce n’était qu’une façon pour elle d’exprimer son mal-être. On n’imaginait pas en arriver là. Le plus dur dans tout ça, c’est qu’elle ne semble avoir aucun regret sur son geste.»

Parmi les douze patients présents aux urgences pédiatriques pour problème psychiatrique lundi matin, le profil de Marie n’a rien d’original : tous ou presque ont entre 12 et 15 ans, sont déjà suivis par un psychiatre ou psychologue et sont déterminés à mettre fin à leurs jours. Et surtout, onze sont des filles. Avant la pandémie, elles étaient déjà plus représentées que les garçons parmi les entrées pour des troubles suicidaires ou tentatives de suicide. Mais ces derniers mois, les soignants confirment avoir vu une flambée des hospitalisations pour de tels motifs, portée en grande majorité, donc, par des adolescentes.

«Douze adolescents en une matinée, je n’ai jamais vu ça»

Aujourd’hui, les filles représentent 80% des admissions pour des gestes suicidaires. Un chiffre que les médecins peinent à expliquer.«Est-ce que les filles sont plus amenées à consulter et donc on les repère plus facilement ? s’interroge Vincent Trebossen, pédopsychiatre croisé dans les couloirs de Robert-Debré. Est-ce qu’elles souffrent plus de la pandémie, du stress, de la rupture de routine, des violences intrafamiliales ou encore de la hausse du temps d’écran ? Il est encore trop tôt pour le dire, c’est vraiment dur à déchiffrer.» Seule quasi-certitude, partagée par tous : avec l’augmentation exponentielle des contaminations au Covid-19 et les nombreuses fermetures de classes, la situation ne risque pas de s’améliorer.

Face à une telle arrivée de patients et dans un milieu déjà habitué à travailler à flux tendu, impossible pour les médecins de trouver un lit en pédopsychiatrie pour toutes celles qui en auraient besoin. En temps normal, au vu de son état actuel plus que préoccupant, Marie y aurait d’ailleurs été hospitalisée. Mais faute de places, c’est dans une unité d’hospitalisation de courte durée – où les séjours ne sont pas censés durer plus de vingt-quatre heures – que la jeune fille a passé le week-end. «C’est particulièrement inconfortable mais on va probablement devoir la renvoyer chez elle», souffle Alexandre Michel, le pédopsychiatre qui s’occupe des urgences ce jour-là.

Penché sur une feuille, entre deux coups de téléphone, le médecin fait les comptes : «Douze adolescents en une matinée, je n’ai tout simplement jamais vu ça. Quand on est à deux ou trois sur une journée, c’est déjà pas mal…» Faute de place, seuls les cas les plus graves sont hospitalisés plusieurs jours. Les autres, comme Marie, sont recasés tant bien que mal dans d’autres services, pas forcément adaptés, avant de finir par être renvoyés chez eux. Dépité, Alexandre Michel observe : «Ce sont des enfants qui ont besoin de soins et d’être extraits de leur domicile, mais on ne peut pas leur proposer de rester. C’est intenable, ça craque de partout.»

(1) Les prénoms ont été modifiés

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