samedi 29 janvier 2022

Les prisons françaises sont à nouveau surpeuplées et l’année 2022 s’annonce à hauts risques

Par   Publié le 28 janvier 2022

Le bénéfice de la baisse spectaculaire du nombre de détenus lors du premier confinement a été effacé en dix-huit mois. La France compte 69 448 personnes incarcérées, soit 11 % de plus en un an.

La cellule que se partagent cinq détenus, à la prison de Fontenay-le-Comte (Vendée), en septembre 2021.

Le taux d’occupation de 100 % dans les prisons françaises n’aura été qu’un mirage printanier. Elles retrouvent aujourd’hui le niveau de surpopulation qu’elles connaissaient il y a deux ans, à la veille de l’irruption de la pandémie de Covid-19. Au 1er janvier 2022, la France comptait 69 448 personnes détenues, selon le ministère de la justice. C’est 11 % de plus en un an, mais 1,7 % de moins que les 70 651 de janvier 2020.

La baisse spectaculaire du nombre de détenus observée entre mars et juin 2020, provoquée par la libération de quelque 6 000 personnes à quelques semaines de la fin de leur peine et surtout l’arrêt des juridictions pendant le premier confinement et donc des nouvelles incarcérations, est effacée. La justice n’est pas parvenue à saisir cette « chance historique », comme l’avait qualifiée Nicole Belloubet au moment où Eric Dupond-Moretti lui succédait au ministère de la justice en juillet 2020, qui avait permis de faire correspondre le nombre de détenus avec celui des places disponibles.


Selon la direction de l’administration pénitentiaire, 12 561 détenus sont aujourd’hui en surnombre par rapport aux places disponibles dans les prisons qui les abritent. Trente-six établissements affichent une densité supérieure à 150 % et une poignée dépasse même les 200 %, comme le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, avec 728 détenus, ou la maison d’arrêt de Nîmes (407 détenus).

Les espoirs du ministère de la justice de voir la réforme des peines entrée en vigueur en 2020 produire ses effets pour freiner, à défaut de la stopper, l’inexorable hausse de la population incarcérée auront été de courte durée. La nouvelle peine de détention à domicile sous surveillance électronique créée par la loi Belloubet pour remplacer les petites peines ne fait pas recette. Au 30 septembre 2021 (dernier chiffre disponible), 1 363 personnes étaient concernées. Le recours au bracelet électronique au stade de l’aménagement de peine de prison continue pour sa part d’augmenter. Au 1er janvier, 13 133 personnes en étaient porteurs, avec des horaires de sortie contrôlés par la justice, soit 14 % de plus en deux ans. Mais cette hausse ne se traduit pas par un moindre recours à la prison.

Baisse des placements en semi-liberté

En revanche, d’autres formes d’aménagement de peine pourtant encouragées par les circulaires de politique pénale ne semblent guère intéresser les magistrats. Les placements en semi-liberté, imposant à la personne condamnée de rentrer chaque soir dans son établissement pénitentiaire, ne décollent pas. Le taux moyen d’occupation de ces centres de semi-liberté est de 65 % alors qu’il atteint 135 % dans les maisons d’arrêt, ces prisons réservées aux courtes peines et aux personnes en détention provisoire.

En deux ans, le nombre de condamnés exécutant leur peine en semi-liberté a chuté de 21 %, à 1 599. Ce type de transition entre la détention et la liberté est pourtant considéré comme un outil efficace pour aider à la réinsertion et prévenir la récidive. De même, le placement extérieur pour exécuter une fin de peine, mis en avant par les juges de l’application des peines et les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation comme un sas particulièrement adapté aux condamnés les plus désocialisés, fait l’objet d’une incompréhensible désaffection par les juridictions. Seuls 228 condamnés font l’objet d’un tel placement aujourd’hui, 25 % de moins qu’en janvier 2020.

La proportion de prévenus incarcérés continue, elle, de progresser. Ainsi 27 % des détenus sont des présumés innocents qui n’ont pas encore été jugés, 31 % si l’on ajoute ceux déjà incarcérés dans une autre affaire, comptabilisés avec jusqu’en 2020. Là aussi, la promotion de l’assignation à résidence sous surveillance électronique en lieu et place d’une détention provisoire au cours d’une instruction judiciaire ou dans l’attente d’un procès est un échec. Seules 486 personnes sous le coup d’une mise en examen faisaient l’objet, au 30 septembre 2021, d’une assignation à résidence quand 18 660 autres, également mises en examen par un juge d’instruction, sont placées en détention provisoire.

Résultat, la justice française continue d’incarcérer toujours plus. Et malgré les alertes du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sur les conditions indignes de détention, et plusieurs condamnations de la France pour ce motif par la Cour européenne des droits de l’homme, la situation devrait empirer en 2022.

2 000 places sur 7 000 livrées en cinq ans

Le directeur de l’administration pénitentiaire, Laurent Ridel, a pris soin d’alerter ses services afin de se préparer à une année particulièrement difficile en termes de surpopulation carcérale. La raison est mécanique. D’un côté, le nombre de personnes incarcérées devrait continuer d’augmenter, même si le rythme s’est ralenti depuis quelques mois. De l’autre, le nombre de places disponibles dans les 169 établissements pénitentiaires du pays n’augmentera pratiquement pas. La seule ouverture prévue au cours de l’année 2022 est celle du centre de détention de Koné, en Nouvelle-Calédonie, une prison de 120 places.

Les conditions de détention pour les uns et les conditions de travail pour les autres vont donc se dégrader avant que la tension baisse en 2023 avec la livraison de nouvelles places. Le plan de construction de prisons lancé sous le quinquennat d’Emmanuel Macron ne déroge pas à la règle immuable depuis trente ans selon laquelle les programmes de l’immobilier pénitentiaire prennent beaucoup plus de temps que prévu.

Sur les 7 000 places promises avant la fin du quinquennat, inscrites dans la loi de programmation et de réforme de la justice du 23 mars 2019, seules 2 000 auront été livrées. Les ouvertures des nouvelles structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), pourtant le volet le moins onéreux et le plus rapide à finaliser car moins exigeant en matière sécuritaires, n’arriveront pour l’essentiel qu’en 2023.

Ces établissements de 180 places au maximum, réservés aux personnes condamnées à une peine inférieure à un an ou à de longues peines mais approchant de la fin de leur détention, sont censés les aider à l’autonomisation et proposer des formations adaptées au marché de l’emploi local et des aides au logement.

Les SAS d’Osny (Val-d’Oise), Meaux (Seine-et-Marne), Caen ou Orléans devraient ouvrir leurs portes en 2023. Les maisons d’arrêt de Caen (500 places), de Basse-Terre en Guadeloupe (200 places) ou le centre de détention de Troyes-Lavau de 490 places devraient permettre d’agrandir le parc et de fermer des établissements vétustes. Les dernières livraisons du programme 7 000 attendront 2024.

Seule consolation pour des services pénitentiaires qui ne peuvent pas choisir le nombre de personnes que la justice leur confie, le budget d’entretien des prisons existantes plus ou moins vieillissantes a été restauré après avoir été sacrifié sous les deux précédents quinquennats. Le budget annuel de maintenance et de modernisation des établissements a été remonté à 130 millions d’euros, contre 60 millions auparavant.

Mais certaines opérations de rénovation annoncées, aussi lourdes que nécessaires comme pour la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) ou les maisons centrales de Poissy (Yvelines) et de Château-Thierry (Aisne), ne sont toujours pas financées ni datées.


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