lundi 31 janvier 2022

«Le cas Orpea symbolise l’absence de moyens chronique qu’ont les Ehpad»

par Elsa Maudet

publié le 31 janvier 2022
Après la parution du livre-enquête «les Fossoyeurs», le directeur d’Ehpad publics Pierre Gouabault plaide pour une inscription dans la loi des missions de service public du secteur.

La sortie du livre les Fossoyeurs a fait l’effet d’une bombe. L’enquête du journaliste Victor Castanet, parue mercredi, lève le voile sur de graves dysfonctionnements au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) du groupe privé lucratif Orpea, leader mondial du secteur. Une maltraitance institutionnelle s’abattant sur les résidents comme sur les salariés, fruit d’une optimisation extrême des coûts. Orpea conteste, parlant d’accusations «mensongères, outrageantes et préjudiciables». Son directeur général a été démis de ses fonctions dimanche, alors que les dirigeants du groupe sont convoqués par le gouvernement ce mardi.

L’ouvrage a braqué la lumière sur les pratiques abusives d’un groupe coté en Bourse, mais c’est tout le secteur du grand âge qui manque de financements et risque des pratiques maltraitantes par manque de personnel, alerte Pierre Gouabault, directeur de trois Ehpad publics dans le Loir-et-Cher et auteur des Aventuriers de l’âge perdu, plaidoyer pour une réhumanisation de la dépendance et un financement collectif et solidaire de sa prise en charge.

Que vous inspire la sortie du livre-enquête les Fossoyeurs ?

Les Fossoyeurs vient mettre un peu plus en avant les grosses difficultés que rencontrent les établissements et ce besoin de réglementer un secteur qui se retrouve aujourd’hui insuffisamment contrôlé. Malheureusement, il jette un regard cru et sombre qui ne reflète pas l’intégralité de ce que nous faisons. Des centaines de milliers de professionnels défendent des valeurs de dignité. On espère que le livre permettra enfin aux candidats à la présidentielle de s’approprier la question de l’autonomie, qui n’a pas fait l’objet de propositions de qui que ce soit. On a besoin d’une ambition politique.

Les dérives concernent ici un grand groupe privé lucratif. La maltraitance est-elle propre à ce secteur ?

Non, le privé n’est pas exclusif des problèmes de maltraitance. La vraie problématique, ce sont les moyens humains qu’on a pour accompagner les personnes en situation de fragilité, le ratio de personnels. Le cas Orpea symbolise l’absence de moyens chronique qu’ont les établissements.

Comment s’explique ce manque de personnel ?

Il s’explique par le déficit de financement. Le financement de l’autonomie ne doit pas reposer sur les seules cotisations du travail ou sur les abondements des résidents du prix journée, mais sur une contribution sociale. Il faut élargir l’assiette de cotisation et ça passe par la création de la CSG autonomie [une part de la contribution sociale généralisée affectée à l’autonomie, ndlr].

Vous proposez aussi la création d’une taxe spéciale sur les groupes privés lucratifs.

C’est devenu un business. Mais a-t-on le droit de faire de l’argent sur le dos de nos vieux ? Je défends l’idée que le service public du grand âge et de l’autonomie doit pouvoir être abondé par une taxe sur les groupes privés commerciaux, qui font des dividendes sur leur métier alors qu’ils devraient être dans un effort de solidarité nationale.

Vous souhaiteriez que les Ehpad fassent l’objet de contrôles au même titre que les autres lieux de privation de liberté ?

La libéralisation du secteur a empêché de véritables contrôles. Mais on doit pouvoir être accessibles par n’importe qui pour vérifier ce qui se passe. En psychiatrie, les mesures d’isolement font l’objet d’un droit, pour le patient, de demander son contrôle et son effectivité devant le juge des libertés. Il faut ouvrir nos portes, parce que c’est la question fondamentale des libertés individuelles qui se joue.

La loi grand âge et autonomie, promise par Emmanuel Macron mais enterrée à l’automne dernier, aurait-elle permis d’améliorer les choses ?

Indéniablement. Si elle avait été passée à l’agenda parlementaire et si on avait pu en fixer les règles de financement par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, ça aurait pu donner une bouffée d’oxygène. La création du cinquième risque [une cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées] était un geste fort, mais qui malheureusement n’est pas allé jusqu’au bout.


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