mercredi 19 janvier 2022

Décryptage Pourquoi l’«inclusion» fait-elle peur ?

par Simon Blin

publié le 19 janvier 2022
Derrière la polémique déclenchée par Zemmour, sur la scolarisation des enfants handicapés, s’exprime la hantise d’inclure tous les autres au nom de la diversité. Et la volonté d’attaquer les discours progressistes et militants portés sur l’égalité.

Il n’y a pas que des mots en -ismes dans le panthéon des détestations conservatrices et réactionnaires. La dernière sortie polémique d’Eric Zemmour sur la scolarisation des élèves handicapés met en lumière la notion d’inclusion comme autre totem du progressisme à abattre. «L’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants [handicapés] et à ces enfants-là, qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants», a déclaré le candidat d’extrême droite, estimant que les élèves souffrant d’un lourd handicap devaient être scolarisés à part de leurs camarades valides.

A travers cette question complexe de la place des enfants en situation d’invalidité à l’école, le polémiste, qui vient d’être condamné à 10 000 euros d’amende pour incitation à la haine raciale, s’en prend plus largement ici à ce qu’il considère comme une dérive de l’idéologie progressiste, bien-pensante ou de gauche, et qui aurait envahi non seulement les salles de classe mais aussi la société dans son ensemble. Au point d’imposer une certaine recherche de pureté ?

Pour la philosophe conservatrice Chantal Delsol, la «pensée inclusive» se caractérise, en effet, par un dévoiement de «l’idéal de perfection évangélique». «Ce n’est plus l’élément qui s’adapte à l’ensemble dans lequel il entre, écrivait-elle début janvier dans Figaro Vox : c’est l’ensemble qui doit s’adapter à tous les éléments divers qui le rejoignent. C’est un rejet de l’idée de norme.»

C’est qu’au nom de l’ouverture à la «diversité», le terme d’inclusion ambitionne de changer la perception par la société des personnes dont l’identité est ordinairement considérée comme minoritaire ou marginale. Noir ou blanc, femme ou homme, binaire ou non-binaire, valide ou handicapé. L’inclusion, on la retrouve dans l’écriture inclusive, autre idée issue du répertoire militant ou savant des sphères progressistes, régulièrement accusé de «détruire» la langue au nom du «politiquement correct».

Si le terme d’inclusion hérisse le poil de certains politiques ou polémistes, c’est parce qu’il suggère d’aller un poil plus loin que l’«intégration» et de s’éloigner davantage encore de l’«assimilation». En permettant aux exclus de la norme – pour des raisons sociales ou physiques – de ne plus l’être, elle s’oppose diamétralement à la ségrégation sociale, raciale ou de genre, à l’oppression ou la discrimination.

Qualifié d’«objectif digne d’un président de conseil général» par Eric Zemmour dans le Suicide français (Albin Michel, 2014), rappelle le Monde, l’insertion des personnes handicapées est érigée en priorité par Jacques Chirac en 2002, qui sera à l’origine de trois lois sur le handicap, en 1975, 1987 et 2005. Elle fait aussi partie des objectifs promus par la déclaration de l’Unesco de Salamanque sur les besoins éducatifs en 1994 et des règles pour l’égalisation des chances et la justice sociale promulguées par l’ONU la même année.

«La consécration du terme d’inclusion est indissociable du travail social, au sens durkheimien du terme, mené pour reconfigurer la légitimité de l’institution scolaire, réinventer les missions attribuées aux établissements scolaires et redéfinir la fonction des personnels qui y travaillent», écrit le sociologue Serge Ebersold dans un article en ligne sur le site l’Institut français de l’éducation, rattaché à l’Ecole normale supérieure de Lyon. Pour le professeur au Cnam et titulaire de la chaire accessibilité, «si à l’origine le terme d’inclusion soulignait la volonté de scolariser les enfants présentant une déficience ou un trouble d’apprentissage en milieu ordinaire, il désigne désormais l’exigence faite au système éducatif d’assurer la réussite scolaire et l’inscription sociale de tout élève indépendamment de ses caractéristiques individuelles ou sociales».

Le concept fait écho à l’essor d’un autre terme ces dernières années, le «validisme». Manié dans les milieux militants et associatifs, sur les réseaux sociaux ou dans certaines (très peu) recherches en sciences sociales, l’outil conceptuel sert à désigner une forme de préjugé ou un traitement défavorable que subissent les personnes porteuses de handicap. En cela, il s’ajoute au vocabulaire émergent (privilège blancintersectionnalitéracisme systémique…) mettant l’accent sur la dimension socialement construite de phénomènes, le plus souvent lié à des conditions d’inégalités, que la société a pris l’habitude de naturaliser.

Il ne s’agit pas pour la plupart des détracteurs de l’inclusion de remettre frontalement en cause les politiques dites «inclusives» mais de dénoncer leur usage abusif, selon eux, en dépassant le strict cadre du handicap pour s’imposer dans le langage courant et s’étendre aux rapports sociaux entre les hommes et les femmes, les employés et les patrons, les minorités ethniques ou de genre et le reste de la société.


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