mardi 4 janvier 2022

Chronique «Aux petits soins» Le Mucem range la lutte contre le sida au musée


 


par Eric Favereau  publié le 4 janvier 2022

Le musée de Marseille consacre une exposition au combat contre l’épidémie, la première de cette importance en France. Emouvante, elle reste marquée par le regard univoque d’Act Up et oublie les interrogations d’aujourd’hui.

Question liminaire : quel pourrait être l’objectif d’une exposition sur un mouvement social, comme celui né de la lutte contre le sida ? Cela doit-il être un acte militant ? Ou bien simplement le fait de se souvenir ? Voire raconter une histoire ? Ou se tourner vers l’avenir pour égrener des pistes de combat pour demain ?

Cette question nous a, de fait, suivi tout au long de cette exposition à Marseille au Mucem, intitulée «VIH/sida. L’épidémie n’est pas finie», qui se tient jusqu’au 2 mai.

Il faut d’abord se féliciter de l’initiative, car c’est une première du genre en France. Mais, nous voilà tout de même un tantinet perplexe. Cette exposition est marquée par le regard d’Act Up, organisme qui a certes eu un rôle important et turbulent dans l’histoire du sida en France, mais qui n’a été ni la première ni la plus décisive des associations de lutte contre le virus – en revanche, elle a été indéniablement la plus photogénique, la mobilisation autour d’Act Up s’étant explicitement construite sur le visuel, ce qui était alors une grande nouveauté.

C’est un trio de chercheurs qui est à l’origine de ce projet. Ils ont collecté près de 15 000 objets items liés au sida (1), d’abord au Musée des arts et traditions populaire puis au sein de son héritier, le Mucem. Proches d’Act Up, les scientifiques ont pris pour titre de l’expo un slogan de l’association et proposent dans la boutique du musée la vente des tee-shirts de l’organisme (comme Silence = mort). C’est au minimum une signature.

Désarroi des soignants

Tentons néanmoins de voir à quoi nous renvoient ces milliers de mètres carrés où se suivent photos, affiches, objets, autour de l’histoire du VIH. «Mettre le sida au musée, ce n’est pas l’enterrer, c’est au contraire réaffirmer toute son actualité», affirme le dossier de presse. Formellement, l’expo se déroule selon cinq tableaux, classiques mais impressionnants.

D’abord, c’est le début des années 80, avec l’irruption d’un virus inconnu. Les premières images de l’épidémie restent un choc. Cette maladie a été si physique, si visible, avec ces stigmates, ces corps jeunes exsangues, ces taches sur le corps, ces regards épuisés. Ce fut terrible : une maladie mystérieuse mais une maladie qui se voyait. Virus intime, maladie publique. Ces images d’hier en sont un terrible miroir.

Arrive le second volet de l’expo : lutter contre le VIH. C’est là paradoxalement que l’exposition se révèle limitée par ses choix implicites. Elle oublie ainsi les premiers militants, les premières réactions, y compris les doutes de la communauté gay (certains allant jusqu’à nier l’existence d’une épidémie). Il y a bien la lettre de Daniel Defert après la mort de son compagnon Michel Foucault, écrite en septembre 1984 à tous ses amis, qui marquera la naissance de Aides (elle deviendra la plus grande association d’Europe). Mais il n’est pas mentionné, par exemple, que personne ne répondra à son courrier. Les combats ne sont ni simples ni gagnés d’avance… Ce sont des années d’ignorance, de doutes, mais aussi de solidarité.

Et là, l’expo passe bien vite sur le désarroi de soignants devant cette maladie qui leur échappait, alors que ce sera leur alliance avec les malades qui sera décisive, formant un couple essentiel dans les combats futurs : des patients qui se battent avec, en écho, des soignants qui écoutent.

Pour rendre compte de cette bataille, il y a certes toute la scénographie d’Act Up, affiches, banderoles, photos, etc.. Mais réduire la mobilisation à ces spots n’est pas à la hauteur de ce qui s’est joué ni du bouleversement inouï que constituera la prise de paroles de malades, puis de leur investissement dans le champ de la santé. Dommage…

Combat contre la fatalité

Puis arrive la scène 3, assurément la plus forte. Elle est constituée d’une série de médicaments, regroupant tous ceux qui ont jalonné l’histoire clinique de la prise en charge du sida. De l’AZT en 1986 au DDI, du 3TC aux premières antiprotéases, puis de la multithérapie en 1996. On reste saisi devant ce condensé magnifique avec toutes ces molécules, arrachées aux bras de l’ignorance pour tenter d’éradiquer ce rétrovirus. Les regarder ainsi, tous alignés à la suite, est un résumé inégalé de ce combat contre la fatalité.

On note, aussi, combien cette épidémie a suscité de nouveaux gestes, de nouveaux rituels (en particulier autour du deuil avec le Patchwork des noms, et ses tissus collés pour raconter la vie du disparu), mais aussi des objets tout bêtes comme celui de Christophe Martet, ancien président d’Act Up, qui est un pass de métro de New York : «Quand j’ai appris que j’avais le sida, je me disais qu’avant de mourir, je voulais aller à New York, et depuis je ne me suis jamais séparé de cet objet.» Ou comment l’intime a une résonance collective.

Faut-il rappeler, dans le même registre, l’impressionnante chronique «Mon sida et moi» tenue dans Libération par un journaliste, Christian Martin, jusqu’à son décès en 1994 ? L’exposition se termine, enfin, par un retour chronologique, où, bizarrement, ne sont pas mentionnés deux des plus grands acquis de cette lutte, à savoir la loi sur les droits des malades de 2002, puis la loi sur le mariage pour tous de 2013.

Voilà, c’est donc l’histoire d’une lutte. Est-elle aujourd’hui finie, comme une page qui se serait tournée ? Pas un mot, malgré le titre de l’expo. Rien sur le fait qu’aujourd’hui, la mobilisation autour du VIH est faible, sur le retour en force du pouvoir médical et sur des associations de malades qui ne sont plus porteuses d’un souffle nouveau. L’épidémie n’est pourtant pas éradiquée. Comment, dès lors, ne pas buter sur cette terrible impasse : pourquoi la lutte contre le sida a-t-elle aussi peu influencé celle contre le Covid-19 ?

(1) Au final, cette expo a un nombre imposant de commissaires : huit exactement.

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