lundi 6 décembre 2021

« Victimes de Nicolas Hulot et de PPDA, nous ne sommes pas les bourreaux » : 14 femmes répondent à Emmanuel Macron sur l’« inquisition »

Publié le 8 décembre 2021

TRIBUNE

Un collectif de femmes s’étant déclarées publiquement victimes de violences sexuelles de la part de l’ancien ministre et du journaliste reviennent sur les déclarations récentes du chef de l’Etat, qui a salué la libération de la parole tout en s’inquiétant du risque d’une « société de l’inquisition ».

Tribune. Monsieur le président de la République, nous avons parlé des violences sexuelles que nous ont fait subir Nicolas Hulot et Patrick Poivre d’Arvor. « C’est bien que la parole se libère », avez-vous déclaré après nos témoignages [le 1er décembre]. Vous avez ajouté : « Nous ne voulons pas, non plus, d’une société de l’inquisition. »

Quel est le rapport entre nos récits et l’Inquisition ? De nos intimités exposées naîtrait le risque de replonger la France dans une des périodes les plus sombres et les plus unanimement détestées de l’histoire occidentale ? L’Inquisition a emprisonné, torturé, supplicié, brûlé les hérétiques, ceux qui étaient soupçonnés de mettre en cause la toute-puissance divine et l’institution de l’Eglise. Le souvenir de ses juges ordonnant des traitements cruels pour des culpabilités inventées est resté comme le symbole de l’obscurantisme, de la terreur et de l’arbitraire.

Vous nous mettez du côté des inquisiteurs, figures honnies de la mémoire collective, représentants des pires atrocités du passé. Nos récits porteraient en germe ces tribunaux de l’horreur et de l’injustice. Raconter nos histoires tristes serait nuisible au point qu’il vous faut affirmer votre volonté d’éviter ce très grave danger. Nous sommes des menteuses selon nos agresseurs, une menace pour le pays selon vous. De quel changement néfaste nos paroles seraient-elles les prémices ? Quel pouvoir avons-nous ? Pas celui de condamner, pas celui de priver de liberté. Nous ne sommes ni juges, ni puissantes, ni riches.

Nos difficiles et coûteux témoignages

Nous avons dit nos hontes les plus intimes, exposé nos larmes ravalées, expliqué nos silences imposés ou nos récits négligés. Ces témoignages ont été, pour beaucoup d’entre nous, difficiles et coûteux. Il nous a fallu des années pour avoir la force de les livrer. Nous l’avons fait pour soutenir les premières, celles qui avaient eu le courage de s’adresser à la justice. Par deux fois, l’institution judiciaire a classé les plaintes et ignoré nos témoignages sans chercher à savoir si d’autres femmes avaient pu être victimes des mêmes hommes.

Nous avons parlé par devoir citoyen. Nous n’avons rien d’autre à y gagner que de dire une vérité, même dérangeante, et d’éclairer le pays sur le traitement des violences sexuelles, sur l’usage que font certains hommes de leur pouvoir, sur les complaisances qui les y autorisent, sur l’impunité dont ils jouissent. Nous l’avons fait dans le respect des institutions et des règles de la République.

« En agitant la menace inquisitoriale, vous nous dites que nous sommes dangereuses. Une pièce de plus dans la machine à taire »

Nous avons dévoilé nos noms et nos visages. Certains nous soupçonnent de vouloir faire parler de nous, de nous régaler d’un statut victimaire, de contribuer à l’injustice par le biais d’un imaginaire tribunal médiatique ne respectant aucune règle, de bafouer la présomption d’innocence. On nous dit ce qu’on dit toujours aux femmes : on exagère et on cherche à nuire.

En agitant la menace inquisitoriale, vous en rajoutez une couche, vous nous dites que nous sommes dangereuses. Une pièce de plus dans la machine à taire. Mettre nos misères en lumière risquerait d’enfoncer la France dans les ténèbres ? Nos récits ne devraient-ils pas faire avancer le droit plutôt que de le faire reculer jusqu’aux horreurs de l’Inquisition ?

Nous ne voulons pas, non plus, d’une société où les victimes de la violence des dominants seraient tenues au silence et condamnées à l’opprobre, à l’infamie et à la caricature si elles transgressent cette règle. Nous ne sommes pas les bourreaux, monsieur le président de la République. Pourquoi faisons-nous si peur ?

Signataires : Nora Arbelbide Lete, Karin BernfeldClémence de Blasi, Emmanuelle Dancourt, Aude Darlet, Cécile Delarue, Hélène Devynck, Maureen Dor, Justine Ducharne, Margot Cauquil-Guèze, Stéphanie Khayat, Camille Pascaud, Muriel Reus, Cécile Thimoreau.


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