vendredi 24 décembre 2021

Télescope James Webb : quatre quêtes dans le passé pour tout capter

par Camille Gévaudan

La forme des galaxies, l’origine des planètes, de la lumière voire même de la vie… Le nouveau joyau de la Nasa devrait fournir une multitude de réponses que son prédécesseur, Hubble, n’a pas les capacités d’apporter.

Voir plus loin, voir plus ancien, donc voir l’univers plus jeune… Ce télescope est une vraie machine à remonter le temps. Parce qu’il observe l’espace dans les longueurs d’onde infrarouges, James Webb (JWST) saisira bien plus précisément que Hubble certaines cibles astronomiques qui racontent l’histoire des galaxies, des étoiles, des planètes et pourquoi pas de la vie. «L’objectif du James Webb peut se résumer en quelques mots : c’est la quête des origines»,nous expose l’astrophysicien David Elbaz, qui participe à deux grands programmes d’observation avec le JWST. Tour d’horizon de quelques questions que le télescope aidera à résoudre.

Les premières lumières

Les astronomes ont l’habitude de raconter que juste après le Big-bang, il y a 13,8 milliards d’années, l’univers était comme une «soupe primordiale» : un bouillon extrêmement chaud et dense de protons, de neutrons et d’électrons. Puis la matière s’est peu à peu refroidie et les particules ont commencé à s’organiser en atomes d’hydrogène, qui se sont eux-mêmes condensés en étoiles, regroupées en galaxies. Un exploit du télescope Hubble a été de découvrir en 2016 l’une de ces toutes premières galaxies : la photo montre quelques pixels très rouges, un petit blob de lumière dont on a calculé qu’il a été émis environ 350 millions d’années après le Big-bang. Une belle performance, mais un seul modèle de galaxie primitive ne permet pas d’écrire l’histoire des premières lumières de l’univers. On compte sur le télescope James Webb pour observer dans l’infrarouge des centaines d’autres exemples. On verra leur forme, on pourra mesurer leur masse et calculer leur âge. On pourra en dresser un vrai catalogue, faire des statistiques et déduire par extrapolation toutes celles qu’on n’a pas vues. Bref, avoir une vision complète et à peu près définitive de la naissance des premières galaxies.

C’est un chaînon manquant dans les données qu’ont déjà apportées les télescopes existants. Hubble voit l’histoire «récente» et il est à la limite de ses capacités quand il capte ce blob rouge très ancien. Quant au satellite Planck, lancé en 2009, il a permis de dresser une carte du cosmos peu après le Big-bang – on y voit des grumeaux qui révèlent de légères différences de températures, donc de densité de la matière, et qui sont comme les graines ayant évolué ensuite en premières galaxies. Entre les deux, il faut James Webb.

La forme des galaxies

«Pourquoi certaines galaxies ressemblent à des disques en spirales et d’autres à des ballons de rugby moches ?» Pas très sympa pour les galaxies (ou pour le rugby), David Elbaz résume bien l’une des grandes énigmes de l’univers : les paquets d’étoiles ont toujours la même forme, et se répartissent globalement en deux familles. Les galaxies spirales d’un côté, comme notre Voie lactée, avec des «bras» qui s’enroulent autour d’un centre très lumineux. Les galaxies elliptiques de l’autre, ovales et très homogènes, sans structure apparente.

Mais on sait aujourd’hui que cette répartition simpliste n’a pas toujours existé. Les plus vieilles galaxies dénichées par le télescope Hubble montrent un autre visage : elles sont petites, de formes complètement irrégulières, avec des caillots d’étoiles plus compacts çà et là. Elles ne ressemblent à rien – mais surtout, aucune ne ressemble à une autre. Les vieilles galaxies sont incroyablement variées. «Il y a eu une chute de la diversité dans l’univers. C’est comme si on voulait comprendre la chute de la biodiversité dans la forêt d’Amazonie, compare David Elbaz : «Il va falloir étudier toutes les espèces, prendre notre filet à papillons et les ramasser toutes.»James Webb mettra dans son filet des centaines de galaxies très éloignées et très anciennes, et devrait permettre aux astronomes de voir comment elles ont perdu la multiplicité des formes qu’on leur connaissait. On suppose que dans la jeunesse de l’univers, les petites galaxies irrégulières sont souvent entrées en collision les unes avec les autres, et ont peu à peu fusionné en galaxies plus grandes et plus rondes.

L’origine des planètes

On a une vague idée de la façon dont naissent les planètes. Au départ, il y a un grand nuage de gaz et de poussière. La force de gravitation fait que la matière va se regrouper peu à peu, jusqu’à ce que la partie centrale du nuage, la plus concentrée, s’effondre sur elle-même en une boule très dense : l’étoile est née. Puis la partie externe du nuage s’aplatit et forme ce qu’on appelle un disque protoplanétaire. Encore quelques millions d’années, et la matière de ce disque s’agglomère en plusieurs astres tournant autour de l’étoile : les planètes. On a déjà surpris des planètes en train de se former, immortalisées en plein milieu de ce processus par les meilleurs télescopes du XXIe siècle. L’Alma par exemple, un grand radiotélescope composé de 66 antennes sur le plateau de l’Atacama au Chili, a commencé une collection de photos de disques protoplanétaires. Certains sont à un stade très précoce : on voit à peine l’étoile comme un point plus lumineux au milieu du nuage. D’autres disques sont déjà organisés en différents anneaux de matière, qui correspondent à l’orbite des futures planètes. Certains anneaux sont larges, d’autres très fins. Certains sont diffus, d’autres bien nets.

Comment identifier les différentes étapes dans la formation d’un système planétaire ? Pouvoir dire à quel stade en est tel ou tel disque protoplanétaire qu’on vient de découvrir dans l’espace ? Savoir si les disques suivent tous le même processus ou s’il y a plusieurs sortes d’évolution possible ? Encore une fois, la solution est de multiplier les exemples, et de monter un énorme catalogue. L’un des programmes d’observation de James Webb observera en détail dix-sept des systèmes planétaires repérés par l’Alma, et trouvera une foule de nouvelles planètes en gestation grâce à ses yeux infrarouges qui voient à travers les nuages de poussière.

Les prémices de la vie

«Quand on regarde en infrarouge, et spécifiquement dans la gamme de James Webb dans l’infrarouge moyen, on devient sensible aux molécules les plus abondantes», explique Klaus Pontoppidan, astronome au Space Telescope Science Institute de la Nasa, impliqué dans le programme scientifique du JWST. En clair, cela signifie que le télescope sera capable de repérer dans ces longueurs d’ondes la «signature» lumineuse des molécules d’eau, de dioxyde de carbone, de méthane et d’ammoniac… entre autres. On pourra donc savoir, à des milliers d’années-lumière de distance, si ces molécules sont présentes dans l’atmosphère d’une planète ou même d’un disque protoplanétaire.

C’est tout un nouveau pan de l’astronomie qui est en train de s’ouvrir. Il y a vingt ans encore, on ne connaissait qu’une poignée d’exoplanètes, c’est-à-dire de planètes qui orbitent autour d’une autre étoile que notre Soleil. Puis des satellites spécialisés ont été lancés, comme Kepler ou Tess, et les détections se sont mises à pleuvoir. On compte aujourd’hui 4 884 exoplanètes confirmées, et on sait que la vaste majorité des étoiles hébergent un système planétaire. Il est temps de passer au chapitre suivant : apprendre à connaître ces exoplanètes. Sont-elles gazeuses ou rocheuses ? Ont-elles une atmosphère primaire, acquise lors de leur formation avec les mêmes gaz que le disque protoplanétaire, ou une atmosphère secondaire agrégée dans un second temps, à la composition différente ? Combien de planètes sont entourées d’eau ou d’ozone comme la Terre, ou au contraire de métaux vaporisés ? On saura reconnaître les planètes théoriquement capables d’abriter une forme de vie, et même celles dont l’atmosphère contient des molécules susceptibles d’avoir été produites par une forme de vie, comme la phosphine. James Webb apportera, c’est sûr, son lot de surprises.


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