jeudi 23 décembre 2021

Réveillon: comment répliquer à l’oncle anti #MeToo

par Camille Froidevaux-Metterie, Philosophe  publié le 23 décembre 2021

Face aux charges antiféministes, restez calme ! La chercheuse Camille Froidevaux-Metterie a établi des argumentations implacables.

Les fêtes de fin d’année approchent et, avec elles, la perspective assez certaine de devoir batailler ferme à la table du réveillon pour contrer les critiques du mouvement #MeToo et autres charges antiféministes. Mon conseil : rester calme, laisser vociférer, puis rétorquer à l’aide d’arguments précis et tranchants. En voici quelques-uns, testés face à des détracteurs figés dans leurs certitudes d’un autre âge.

#MeToo, c’est du lynchage, entendez : «C’est un tribunal médiatique qui se substitue à la justice», «On nie la présomption d’innocence», «Tous les hommes ne sont pas des violeurs» :

Ce mouvement frappe par son ampleur parce qu’il révèle des faits demeurés très longtemps ignorés, à savoir la permanence et la fréquence des violences sexuelles dans tous les domaines (intime, professionnel, politique), dans tous les milieux sociaux et géographiques, à tous les âges de la vie. Si certaines femmes ont décidé de donner le nom de leurs agresseurs, c’est parce que ceux-ci bénéficiaient jusque-là d’une impunité totale qui fait qu’elles n’étaient pas entendues ni crues.

Le mouvement #MeToo produit un effet de révélation de masse qu’il faut confronter aux statistiques : seule une femme sur dix porte plainte après une agression sexuelle et seul un accusé sur dix est condamné (sachant que les déclarations mensongères ne représentent que 2% à 8 % des cas). Par ailleurs, si tous les hommes ne sont pas des violeurs, 98 % des personnes mises en cause pour des délits ou des crimes sexuels sont des hommes (ministère de l’Intérieur). Le féminisme n’a jamais tué personne, mais plus de 100 femmes meurent chaque année sous les coups de leurs (ex)-conjoints.

Alors on peut plus draguer ? entendez : «Et le plaisir de la séduction dans tout ça ?», «On n’ose plus faire de compliments», «Vous tuez tout le charme des relations entre les sexes» :

Les femmes savent très bien faire la différence entre une démarche de séduction et des propos sexistes. Les hommes savent parfaitement eux aussi repérer quand ils ne plaisent pas ; le problème, c’est qu’ils s’obstinent parfois, insistent, deviennent lourds voire agressifs. On voit bien là que, de la remarque insistante à l’agression, il n’y a qu’une différence de degré, pas de nature. Le terreau est le même : c’est le sexisme qui fait des femmes des corps objets.

Figurez-vous que les féministes aiment faire l’amour, elles font d’ailleurs beaucoup pour ouvrir les voies du plaisir par une meilleure connaissance des corps. Mais elles exigent que toute relation soit pleinement consentie, à chacune de ses étapes, enracinée dans le respect de la liberté de dire «non».

Toutes des mal baisées, entendez : «Les féministes détestent les hommes», «Ce sont des harpies vengeresses», «Elles veulent instaurer le matriarcat» :

Certaines féministes détestent les hommes, et alors ? Que pèsent quelques misandres face aux wagons de misogynes que comptent nos sociétés ? Et si quelques-unes aspirent à vivre sans les hommes, la majorité souhaite continuer de vivre avec eux. Ce dont elles ne veulent plus, c’est du système patriarcal tel qu’il a été instauré par les hommes et tel qu’il se perpétue du fait de leur refus de reconnaître leur responsabilité et leurs privilèges.

Que pensez du fait que, durant les confinements, les hommes n’ont absolument pas changé leurs habitudes, laissant les femmes assumer les deux tiers des charges domestique et parentale ? Pourquoi sont-ils si peu nombreux à reconnaître le caractère systémique du sexisme ? Quand on rappelle que 100 % des femmes ont subi du harcèlement dans les transports en commun, cela nourrit un peu le ressentiment, non ? (Haut Conseil à l’égalité 2015).

La France, c’est quand même pas l’Afghanistan, entendez :«Les féministes ont gagné la bataille», «Les femmes n’ont jamais été aussi libres», «L’égalité est advenue» :

Le système patriarcal structure toutes les sociétés, y compris occidentales et contemporaines. Son socle, c’est la définition des femmes au regard de leurs deux fonctions sexuelle et maternelle. Même si elles travaillent et sont libres de faire à peu près tous les choix, les femmes sont encore aujourd’hui considérées comme des corps disponibles. En témoignent les discriminations et les violences qu’elles subissent quotidiennement.

La naissance des enfants entraîne une chute durable de leurs revenus (de l’ordre de 30% Ined 2020) et une accumulation tout aussi durable des charges (domestique, parentale, mentale, émotionnelle). Chaque jour en France (selon le ministère de l’Intérieur), 250 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol. Il n’y a donc pas de «néo-féminisme», car le combat reste le même depuis les origines : faire advenir un monde où les femmes ne soient plus définies par leurs corps.

On ne peut plus rien dire, entendez : «Les hommes eux aussi souffrent», «Il y a des femmes qui sont violentes», «Les pères sont systématiquement défavorisés par la justice» :

Il n’y a aucune mesure entre ce qu’endurent les femmes du fait d’avoir un corps féminin et ce que vivent les hommes du fait d’avoir un corps masculin. Chacune des dimensions incarnées de l’existence féminine (apparence, sexualité, maternité) est synonyme de discriminations, d’inégalités et de violences. Cela étant dit, les rôles genrés sont des carcans pour les hommes également.

L’injonction à la virilité fait peser sur eux des injonctions lourdes à la performance, à la constance et à la puissance. Les féministes ont précisément entrepris de déconstruire ce cadre stéréotypé en repérant les mécanismes qui entretiennent les représentations genrées pour que les individus s’extirpent du carcan de la binarité sexuée et des identités impératives. En ce sens, le féminisme est un projet de transformation de la société tout entière, et sa dynamique est désormais irrésistible. Bonnes fêtes à tou·te·s !

Dernier ouvrage paru de Camille Froidevaux-Metterie, Un corps à soi, Seuil, 2021.


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