mardi 14 décembre 2021

Protection de l’enfance : vers un renforcement du statut des tiers de confiance

Par   Publié le 13 décembre 2021

Si le texte, examiné mardi et mercredi au Sénat, est voté, le recours à un membre de la famille ou à un proche dit de confiance sera généralisé.

Privilégier la solidarité familiale avant le secours de l’Etat ? C’est l’esprit qui anime l’article premier du projet de loi sur la protection de l’enfance qui arrive au Sénat mardi 14 et mercredi 15 décembre. Le texte, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale en juillet, contient plusieurs dispositions visant à améliorer le sort des quelque 350 000 enfants concernés par une mesure de protection de l’enfance, dont la moitié environ sont placés. Avec l’article 1er, le législateur est appelé à renforcer pour ces derniers le recours à un mode d’accueil prévu dans les textes de longue date mais peu utilisé : les tiers de confiance, c’est-à-dire un membre de la famille ou une personne de l’entourage proche.

A l’heure actuelle, selon l’article 375-3 du code civil, le juge des enfants peut déjà décider de confier l’enfant en situation de danger chez lui à un proche de confiance. Si la loi est votée, il devra « évaluer systématiquement » cette option, a affirmé, le 29 septembre, Adrien Taquet, le secrétaire d’Etat à l’enfance, devant la commission des affaires sociales du Sénat. « Le système français est très institutionnel, avec trois cercles de protection autour de l’enfant : la famille, l’entourage et les services de protection de l’enfance. En Allemagne, nombre d’enfants sont confiés à leurs grands-parents », a-t-il relevé.

Jusqu’à présent, pour des raisons d’ordre culturel et historique, les magistrats privilégient les placements dans des institutions (foyers, lieux de vie…) ou en famille d’accueil. Seuls 7 % des enfants placés en dehors de leur domicile, soit 12 500 mineurs environ, le sont chez ces fameux tiers de confiance.

« Une révolution sur le plan idéologique »

« Faire de l’accueil chez un tiers le principe est une révolution sur le plan idéologique, c’est un pas très important vers la désinstitutionnalisation de la protection de l’enfance », souligne Flore Capelier, docteure en droit public associée à l’université Paris-II. Dans un commentaire du projet de loi publié sur le site juridique Dalloz, elle regrette, toutefois, qu’il ne porte que sur une partie des accueils concernés. Depuis la loi de 2016, un « accueil bénévole et durable », pendant administratif des tiers de confiance, a été créé. Or, ce dernier n’est même pas mentionné dans le texte gouvernemental.

Ce changement de braquet intervient au moment où les défaillances des institutions qui accueillent les enfants sont davantage médiatisées et dénoncées – un effet de la prise de parole publique des anciens enfants placés. Il s’inscrit aussi dans un contexte général de grandes difficultés dans le secteur de la protection de l’enfance, avec des salariés épuisés et un manque de places criant dans certains territoires. Pour les départements, chargés de ce domaine, de tels placements, bien moins coûteux qu’en établissements, représentent, en outre, un avantage financier non négligeable.

Un recours généralisé aux tiers de confiance est-il pour autant toujours opportun ? Dans son avis rendu sur la première mouture du projet de loi, avant son passage à l’Assemblée, le Défenseur des droits, tout en saluant une modification « positive sur son principe », mettait en garde sur le risque qui pouvait peser sur l’enfant demeurant dans la cellule familiale le temps d’évaluer les ressources à disposition pour jouer le rôle de tiers. « En protection de l’enfance, ce qui n’est pas urgent à un instant donné peut rapidement le devenir en fonction de l’âge de l’enfant et des conditions dans lesquelles il vit », notait l’avis.

De plus, si un renforcement du recours aux tiers de confiance est parfois souhaitable, notamment pour la stabilité affective qu’il représente pour l’enfant, un tel engagement n’est pas sans conséquence pour celles qui le prennent – les rares études en la matière montrent la prépondérance des femmes dans ce rôle. Le récit de Caroline (les prénoms ont été changés à sa demande) en atteste.

« On était perdus »

Cette mère de famille installée dans les Bouches-du-Rhône a accueilli pendant près de deux ans sa nièce chez elle, jusqu’à l’été 2020. « J’ai toujours eu un lien très fort avec Jeanne, elle venait très souvent à la maison, je l’ai accompagnée à son entrée en maternelle, puis au collège… c’était un peu comme ma fille », dit en souriant Caroline. Quand les services de l’aide sociale à l’enfance, qui accompagnent de longue date les parents, font appel au juge qui décide une mesure de placement pour presque toute la fratrie, très nombreuse, elle n’hésite pas et écrit au magistrat avant l’audience pour être désignée tiers de confiance pour Jeanne, 12 ans. « On en avait déjà parlé, et elle m’avait déjà dit que s’ils étaient placés un jour, elle voudrait venir à la maison. »

Du jour au lendemain, Caroline, son époux et leurs trois filles accueillent donc l’enfant. « On habitait à 15 km mais on ne dépendait pas du même collège, j’ai dû obtenir une dérogation pour pouvoir inscrire Jeanne, sauf que le collège ne connaissait pas les tiers de confiance… Ça a été aussi compliqué pour la mettre sur notre Sécurité sociale, notre mutuelle… sur le plan administratif, c’est très lourd, d’autant qu’on n’avait aucune aide, aucun papier pour nous expliquer ce qu’on devait faire ou pas, s’indigne-t-elle. Est-ce qu’il fallait la déclarer sur notre fiche d’impôts, auprès de la CAF ? Sur plein de sujets, on était perdus. »

Caroline échange à l’époque avec d’autres tiers de confiance sur une page Facebook, mais les réponses obtenues par les uns dans un département ne sont pas forcément valables dans un autre, tant les modalités varient, qu’il s’agisse de l’accompagnement par les professionnels de l’aide sociale à l’enfance ou de l’indemnisation des tiers de confiance.

Pour Caroline, les défis ont été multiples : il a fallu apprendre à gérer la relation avec les parents privés de leur fille, faire face à toutes les difficultés administratives liées à l’installation de Jeanne, sans oublier d’être attentive au bouleversement que son arrivée suscitait chez ses propres enfants.

Sur le plan émotionnel, « c’était très dur, et ça l’est encore », reconnaît Caroline, en particulier quand les parents ont manifesté leur désir de reprendre leur fille à leur domicile. Alors que sa nièce devait être placée chez elle jusqu’en janvier, le juge a décidé de son retour au domicile anticipé « du jour au lendemain », une décision encore difficile à encaisser dix-huit mois plus tard. « Ça a été très dur avant, pendant et après. Je ne comprends pas qu’il n’y ait aucun accompagnement psychologique, au moins pour les enfants », résume Caroline, dont l’une des filles a été très perturbée par le départ soudain de sa cousine.

Ces interrogations et ces difficultés que traversent les tiers de confiance, Mohamed L’Houssni les connaît par cœur. Directeur de l’association Retis, en Haute-Savoie, qui accompagne des enfants placés sous protection, il a créé, en 2008, un service d’accompagnement pour les tiers de confiance. « Ce sont bien souvent des gens d’un certain âge, comme des grands-parents, qui ont dû revoir leur vie pour accueillir cet enfant. Il est nécessaire de prévenir l’usure que cela peut provoquer et aussi de les aider parce qu’il peut y avoir une distance culturelle avec les enfants, liée à l’âge », explique ce fervent promoteur de ce type de placement. Bien accompagnés, ils apportent « une stabilité qui sécurise les enfants », plaide-t-il.

Conscient que cela nécessite de « changer de regard sur la prise en charge des enfants », en valorisant la « compétence collective » de tous ceux qui l’entourent, Mohamed L’Houssni souligne aussi l’importance de former à ces situations les travailleurs de la protection de l’enfance. Une évolution des pratiques bien plus profonde que ce que prévoit le projet de loi.


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