samedi 18 décembre 2021

Mary Dorsan : « Ce qui choque à l’hôpital public… »

TRIBUNE

Partie à la rencontre du personnel d’un hôpital psychiatrique et elle-même infirmière, l’écrivaine s’indigne des conditions de travail des soignants et souligne, dans un texte très personnel adressé au « Monde », que les dénigrer revient à dénigrer les patients.

Tribune. Folle de rage. Moi. « Porte-parole des zinzins », m’a dit une patiente il y a quelques jours. Elle qui ne sait pas que, sous pseudo, j’écris. La patiente ne connaît que la soignante folle de rage.

Etat de rage : mon état. Lequel n’est pas une maladie ou un trouble. La raison ? Il y a quelques semaines, j’ai effectué ce qu’on appelle un « tour de services », en langage syndical. La soignante syndiquée que je suis, avec une collègue également syndiquée, est allée à la rencontre des équipes, des personnels d’un hôpital psychiatrique public en région parisienne. D’abord, ce qui choque, ce sont les murs marronnasses, sales. Puis les fissures, les plafonds effondrés, les lavabos hors d’usage car mal montés… Les travaux sont imminents, paraît-il.

Ce qui choque ensuite, ce sont les paroles de cette cadre qui jaillit de son bureau : « On nous a supprimé 70 % du travail en deux mails. » Les phrases nuancées aussi, qu’elle prononce juste après, avec l’espoir de s’apaiser elle-même, de se convaincre elle-même que cette violence-là, c’était pour son bien, ou celui de l’établissement. Ses yeux, en revanche, racontent tout autre chose. Ils tremblent, ses prunelles détraquées, allant de droite à gauche à toute vitesse, un zigzag fou. Comme s’ils cherchaient à fuir son corps. Son corps prisonnier de son emploi.

Ce qui choque ensuite, ce sont les paroles de cette réceptionniste à l’accueil. Après avoir exprimé sa peur de finir dans la misère au moment de la retraite, ayant évoqué des simulations misérables, découvertes en ligne. Alors que ma collègue et moi-même nous nous éloignons d’elle, ce qui choque, c’est sa phrase catapultée dans notre dos : « Ma collègue, là, répète-t-elle, en désignant une chaise vide à ses côtés, au début du confinement, elle a pété les plombs, elle s’est foutue en l’air. »

La cafetière posée sur les toilettes

Ce qui choque ensuite, quelques étages au-dessus, ce sont les paroles de cette infirmière quand on lui demande ce qu’elle voudrait partager avec nous de son désarroi : « La cafetière de l’équipe est sur les toilettes. » Evidemment, on la croit sur parole. Mais on ne parvient pas à se représenter le truc. Devant notre stupéfaction, elle propose de nous montrer la cafetière, posée sur les toilettes. Nous acceptons de la suivre. Nous découvrons alors que la salle de repos de l’équipe n’est rien d’autre qu’une ancienne chambre de patient. Avec salle de bains intégrée : douche, évier, W-C. Sur les chiottes, emballées dans un sac-poubelle vert, un plateau gris et la cafetière au centre.

Nous fixons, sans trop y croire, cette image. L’infirmière de nous expliquer que le cadre de cette unité interdit l’utilisation d’une multiprise. Car il y a quelques autres prises dans la chambre, toutefois le réfrigérateur et le micro-ondes y sont branchés. Et la chambre est si petite. Non. Pas la chambre : la salle de repos de l’équipe soignante. C’est-à-dire des infirmières et des aides-soignantes. Puisque l’équipe est surtout constituée de femmes. Notre guide ajoute : « Et puis on va changer de prestataire pour les blouses, moi, j’en aurai pas à ma taille, ils ne vont pas jusqu’à la taille 4. Je vais être obligée de porter les pyjamas bleus des patients », glisse-t-elle en esquissant un sourire malicieux.


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