mercredi 1 décembre 2021

Loi « grand âge » : histoire d’une promesse non tenue

Par  Publié le 30 novembre 2021

Emmanuel Macron avait pris l’engagement de mener à son terme un projet social sur la dépendance. Alors que son quinquennat s’achève, ce chantier a disparu de l’agenda présidentiel.

Emmanuel Macron visite l’Ephad « La Bonne Eure » à Bracieux (Loir-et-Cher), en septembre 2020.

« Nous sommes en train de construire pas à pas un véritable service public de l’autonomie pour nos aînés », s’est félicité Emmanuel Macron, lors de son allocution télévisée, le 9 novembre. En vantant son bilan, le chef de l’Etat s’est exonéré tacitement de sa promesse de porter une « loi [relative à] la dépendance », engagement pris en juin 2018, réaffirmé fin 2020 et oublié depuis. Le quinquennat s’achève et le « marqueur social » qu’avait identifié Edouard Philippe, en juin 2019, « peut-être un des plus importants », avait insisté le chef du gouvernement à l’époque, a disparu de l’agenda présidentiel.

Ce renoncement n’était pourtant pas écrit d’avance. « Le projet était abouti, voire très abouti », atteste une des chevilles ouvrières d’un projet de loi qui a fait l’objet de nombreuses réunions interministérielles ces derniers mois. Matignon avait validé une partie de la copie. Jusqu’au bout, les ministères de la santé et de l’autonomie ont nourri l’espoir qu’Emmanuel Macron relancerait ce chantier législatif lors de son intervention du 12 juillet.

Les arguments n’ont pas manqué pour justifier le passage à la trappe du projet : la crise sanitaire, le calendrier parlementaire saturé… Mais pour certains, la procrastination de l’exécutif est ce qui a entraîné inéluctablement l’enlisement de la loi. « Macron est convaincu depuis des années qu’il faut lier réforme des retraites et loi grand âge. Il n’en démord pas », affirme un proche du chef de l’Etat.

Trois avancées

Afin que l’absence de loi ne puisse pas être assimilée à une carence de réformes, la ministre déléguée à l’autonomie, Brigitte Bourguignon, a choisi une solution de repli. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022, adopté définitivement lundi 29 novembre, comprend une partie des mesures prévues initialement dans le projet de loi ad hoc. « Je me suis battue pour que des mesures concrètes qui s’appliquent dès 2022 et d’autres qui seront pérennes jusqu’en 2025 soient votées dans le PLFSS, explique Mme Bourguignon. Je me suis bien battue, pour qu’il y ait l’argent qu’on nous demandait. »

Le gouvernement s’est, de cette façon, épargné un procès en inaction de la part de la profession. Avant le vote du PLFSS 2022, trois avancées avaient été engrangées par le secteur : les revalorisations salariales des personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en vertu des accords du Ségur de juillet 2020 ; l’augmentation des rémunérations des quelque 210 000 aides à domicile du secteur associatif ainsi qu’un plan d’investissement de 2,1 milliards d’euros d’ici à 2025 pour la rénovation et l’équipement matériel et numérique des Ehpad publics et associatifs.

« Je n’ai jamais cru aux grands soirs, confie Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, principal syndicat des Ehpad privés commerciaux. Dans le secteur, nous avons l’habitude des avancées pas à pas de la puissance publique. » Comme une bonne partie des fédérations d’employeurs à domicile, le Synerpa salue la mesure phare du PLFSS : la création d’un tarif minimum pour l’allocation personnalisée d’autonomie de 22 euros, qui s’appliquera au 1er janvier 2022, partout en France. Il sera assorti d’une dotation horaire supplémentaire de 3 euros, sous réserve du respect des critères de qualité. Cette double mesure va augmenter le niveau de financement de l’heure d’intervention des services d’aide à domicile.

« Autant d’avancées cruciales pour la survie des entreprises », se réjouit Mme Arnaiz-Maumé. « On n’a pas eu tout ce qu’on espérait. Mais un pas a été franchi indéniablement », affirme Jean-Marc Borello, président du directoire du groupe SOS, à la tête d’une centaine d’établissements et services pour seniors.

Reste que le PLFSS ne comprend guère de mesures tangibles pour les personnes âgées, hormis un effort timide pour les aidants.« Tout cela est très technique et ne parle pas aux gens. On est loin d’une réforme sociétale », déplore un expert.

En tête des questions non traitées par le gouvernement figurent la diminution du coût d’hébergement en maison de retraite, jugé trop lourd par bon nombre de familles, mais aussi le trop faible nombre de professionnels au chevet des résidents. Le PLFSS ne programme que 10 000 créations de postes en Ehpad d’ici à 2025, soit moins de 2 salariés supplémentaires par établissement. « Ça veut dire qu’on ne change rien ! », s’indigne Marc Bourquin, conseiller stratégie de la Fédération hospitalière de France, qui évalue les besoins à 100 000 embauches sur cinq ans, soit 13 postes en plus par établissement.

Autre angle mort du bilan du gouvernement : le non-renforcement du temps de présence des aides à domicile auprès des bénéficiaires de l’APA. Pour les plus fragiles, les heures financées sont souvent insuffisantes au regard des besoins d’accompagnement. « Il n’y a aucune crédibilité à dire qu’on veut améliorer le soutien à domicile si on n’assume pas l’idée qu’il faut doper l’enveloppe financière de l’APA », explique Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge.

« On rate le rendez-vous »

Pour prendre ces réformes à bras-le-corps, « il faut souhaiter qu’on remette le couvert après la présidentielle avec une grande loi pour réduire aussi l’incertitude, et permettre aux ménages de se projeter dans l’avenir », poursuit-il. « Ce que nous voulons, c’est un vrai projet pour les personnes âgées dès le début du prochain quinquennat », résume Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires.

L’opportunité d’un nouveau chantier législatif n’est toutefois pas défendue par tout le secteur. Plutôt qu’une loi, Jérôme Guedj et Luc Broussy, cofondateurs du think tank Matières grises, militent pour la création d’un Comité interministériel de la transition démographique, instance qui permettrait de diffuser la thématique de l’avancée en âge dans les politiques du logement, de l’urbanisme, des transports… « En se focalisant sur la dépendance, on rate le rendez-vous sociétal, transversal, interministériel, qui permettrait de sortir de sa malédiction procrastinatrice le sujet du grand âge », plaide M. Guedj, qui met en garde contre une loi qui serait strictement « d’obédience médico-sociale ».

Lors de son allocution, le 9 novembre, Emmanuel Macron a établi un lien entre la réforme des retraites qu’il souhaite remettre en chantier et les enjeux du vieillissement de la société. « C’est par le travail, a-t-il déclaré, que nous permettrons à nos aînés de vivre plus longtemps chez eux ou d’être mieux accompagnés. » Quant au service public de l’autonomie, « nous le finançons et le financerons par davantage de travail ».

Ces propos ont redonné des motifs d’espoir aux acteurs du secteur, pour qui le chantier législatif ne doit surtout pas devenir une affaire classée. « Il faut absolument coupler les deux réformes en début de quinquennat », martèle Dominique Libault, auteur du rapport « Concertation grand âge » remis au gouvernement en mars 2019 et ancien directeur de la Sécurité sociale. « J’irais jusqu’à dire que sans un volet grand âge, le futur gouvernement ne pourra pas faire aboutir le dossier des retraites. »

A gauche, ceux qui militent pour une loi se gardent bien de plaider pour un allongement de la durée du travail, susceptible de dégager des marges de financement pour le soutien des plus âgés. Mais « on n’arrivera pas à embarquer la société derrière une loi, explique François Ruffin, député (La France insoumise) de la Somme, sans la présenter comme une opportunité pour la jeunesse de trouver des perspectives de métiers. » M. Ruffin défend l’idée d’un « nouveau contrat intergénérationnel ». Un point commun avec MmeBourguignon. La ministre avait intitulé « Générations solidaires » le texte qu’elle projetait de défendre au Parlement. Le titre existe. Les chapitres restent à écrire.


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