mercredi 1 décembre 2021

«L’école, c’était mieux avant» : un refrain entendu depuis l’Antiquité

par Marlène Thomas.  publié le 30 novembre 2021

Même si Parcoursup et les récentes réformes rendent l’avenir de l’école plus incertain qu’il y a cinq ans, la vision décliniste de l’Education nationale révélée par notre sondage Viavoice n’est pas une singularité du quinquennat Macron. Elle s’inscrit dans une défiance qui remonte au moins à la IIIe République.

C’est un ronron qui traverse la société jusqu’au sanctuaire de la salle des profs : l’école, c’était mieux avant. Cette vision décliniste, qui transparaît de notre baromètre Viavoice, n’est pourtant pas une singularité propre au quinquennat Macron. «C’est une vieille idée qu’il y [aurait] décadence de nos écoles et baisse du niveau»,confirme l’historien de l’éducation Claude Lelièvre. Il cite l’auteur Noël Deska qui écrivait dès 1956 : «La décadence est réelle, elle n’est pas une chimère, il est banal de trouver vingt fautes d’orthographe dans une même dissertation littéraire. Le désarroi de l’école ne date réellement que de la IVe République.» Un air de déjà-vu ? Ce discours était aussi déconstruit en 1989 dans l’ouvrage Le niveau monte – Réfutation d’une vieille idée concernant la prétendue décadence de nos écoles, des sociologues Christian Baudelot et Roger Establet. Pierre Merle, sociologue spécialiste des politiques éducatives et auteur de Parlons école en 30 questions, paru en septembre, remonte même plus loin. «Platon, Aristote disaient déjà que leurs élèves étaient de plus en plus faibles !»

Le «rôle quasi démiurgique» de l’école

«L’école souffre d’un excès d’honneur et d’indignité», tranche Claude Lelièvre. A la racine de cette défiance, il relève le «rôle quasi démiurgique accordé à l’école pour des raisons historiques». En d’autres termes, cette tendance pour des raisons politiques à penser que l’école est la clé de résolution des principaux problèmes traversant la société : des tensions autour des guerres de religion à la stabilisation des régimes en place, en passant par le développement économique, le chômage ou encore la réduction des inégalités – face à laquelle les Français estiment aujourd’hui l’école impuissante, et à raison, au regard des résultats de l’enquête de Pisa de l’OCDE plaçant la France en queue de classement. Considérer que l’école républicaine a toujours eu vocation à réduire les inégalités serait anachronique. «Toute la IIIe République ne s’en occupe pas du tout, c’est une ânerie historique de dire que l’école assurait alors un ascenseur social. La IIIe République voulait que cette mobilité reste exceptionnelle car elle était considérée comme dangereuse», rembobine Claude Lelièvre en parlant d’une école «démocratique [grâce aux lois Ferry rendant l’enseignant primaire obligatoire et accessible à tous, ndlr] mais pas démocratisante».L’éducation prend réellement part à ce combat lors des Trente Glorieuses.

Ce discours décliniste se nourrit pour lui d’une ambiguïté sur la notion centrale de lutte contre les inégalités sociales : souhaite-t-on faire monter tous les élèves au maximum de leur capacité ou pousser vers le haut uniquement les excellents élèves ? «Nous sommes un pays de concours», relève Claude Lelièvre, une notion intériorisée tôt dans la scolarité par un système d’évaluation classant. «On a plutôt une conception aristocratique de la démocratie.» Les réformes visant à s’occuper «de la masse des élèves plutôt que des meilleurs» provoquent souvent des «réactions de privilégiés qui ont peur du nivellement par le bas», complète l’historien, citant la Décennie des mal-appris, cri d’alerte contre le collège unique de François Bayrou en 1992, ou encore la Fabrique du crétin : la mort programmée de l’école de l’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli en 2005.

«Il n’est pas possible de donner une évolution générale»

Sur le long terme, difficile de mesurer avec exactitude l’amélioration ou le déclin du système scolaire. «Sur les questions des inégalités et des résultats, l’école de la IIIe République n’était pas mieux, au contraire, que la nôtre», affirme Claude Lelièvre. Pierre Merle estime de son côté que «si ce discours “c’était mieux avant” était fondé sur des données objectives, on n’aurait pas un accroissement continu de nos connaissances dans tous les domaines, comme la médecine, l’aérospatial». Les résultats d’enquêtes internationales comme Pisa montrent que le discours autour d’une baisse du niveau n’est cependant pas infondé. «Dans un certain nombre de disciplines, il y a une tendance à la baisse» ces dernières annéesconcède le sociologue, en évoquant notamment les dernières évaluations du Programme international de recherche en lecture scolaire (Pirls), menées en CM1, montrant un affaiblissement du niveau des élèves en français et en maths. Des résultats à prendre avec des pincettes, selon lui. «Il n’est pas possible de donner une évolution générale. Il faut nécessairement détailler par niveau d’étude, par discipline et, à l’intérieur de celle-ci, par types de compétences et écarts entre les meilleurs élèves et les plus faibles.» Pierre Merle résume : «Dire que l’école française s’effondre est schématique. Affirmer le contraire est tout aussi contestable.»

Quant aux réformes mises en œuvre sous Emmanuel Macron, si le dédoublement des classes de CP et CE1 en éducation prioritaire va dans le bon sens, selon le sociologue, les réformes du lycée, de Parcoursup et de la formation des enseignants «rendent l’avenir de l’école et des étudiants plus incertain qu’il y a cinq ans». Il développe : choix des enseignements de spécialité complexe au lycée, processus de sélection opaque de Parcoursup, formation des aspirants professeurs risquant d’aggraver la crise de recrutement… Cependant, nuance-t-il, «on a tendance à ne parler que des trains qui arrivent en retard, c’est un peu pareil pour l’école». Un exemple : «Dans l’enquête de victimation de 2018, les lycéens étaient plus de 90 % à considérer que le climat scolaire de leur établissement était bien ou plutôt bien.» Constat réconfortant face au discours décliniste ambiant ?


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