jeudi 23 décembre 2021

Impensé Violences conjugales: plus de 1 100 suicides forcés dans l’Union européenne en 2017

par Marlène Thomas   publié le 21 décembre 2021

Selon un rapport rendu à la Commission européenne en novembre et dévoilé par «le Parisien», 209 femmes victimes de violences psychologiques ont été poussées au suicide en France en 2017.

Elles font partie des oubliées, des invisibles : 1 136 femmes se sont donné la mort en 2017 dans l’Union européenne à cause de violences psychologiques répétées de leur conjoint ou ex, selon les conclusions d’un rapport du Projet européen sur les suicides forcés, remis en novembre à la Commission européenne. En France, ce sont 209 femmes qui ont été poussées au suicide. «C’est donc près d’une femme victime par jour que font les violences au sein du couple en France en 2017, et non une tous les trois jours, comme il est rapporté habituellement si l’on considère restrictivement les seuls féminicides», appuie le rapport, dévoilé ce mardi par le Parisien.

L’équipe de travail est composée du comité d’experts indépendants Psytel et de l’ancienne avocate pénaliste Yael Mellul, qui a porté la reconnaissance de cette nouvelle infraction en France dans le sillage du Grenelle contre les violences conjugales. Ce nouvel article du code pénal, adopté par les parlementaires en juillet 2020, prend la forme d’une nouvelle circonstance aggravante ajoutée au délit de harcèlement moral sur conjointe ou conjoint.

Les auteurs du rapport ont «déterminé le pourcentage de tentatives de suicide attribuables aux violences au sein du couple» à «11%». Pour cela, ils se sont penchés sur différentes études et notamment l’enquête Virage, réalisée en France en 2015. Ce taux a ensuite été appliqué au nombre de suicides de femmes dans chaque pays. «Ce n’est pas scientifiquement assuré, mais cela donne un ordre de grandeur raisonné», est-il précisé. Dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, le comité d’experts avait déjà estimé que 217 femmes s’étaient donné la mort en 2018 dans des circonstances similaires.

Contactée par Libération, Yael Mellul martèle : «Cette estimation va dans le sens de l’intime conviction que nous avions tous : nous avons à faire à un véritable fléau et un angle mort des mortalités liées aux violences conjugales.» Déplorant l’absence de comptage officiel de ces décès au même titre que les féminicides, recensés par le ministère de l’Intérieur, elle rappelle «que cette nouvelle infraction de suicide forcé concerne aussi la tentative de suicide avec les mêmes peines». L’auteur encourt 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

«Conséquence traumatique la plus extrême»

Bémol : si la France est le seul pays d’Europe et le deuxième au monde avec l’Inde à reconnaître cette infraction, l’application de la loi est poussive. Pour l’heure, une seule plainte a été déposée et une seule instruction ouverte. Très peu au regard de l’ampleur des femmes et des familles concernées. «Il ne faut pas s’arrêter là. Pour que la loi soit appliquée, il faut une communication gouvernementale, une formation de tous les acteurs de la chaîne pénale, une circulaire du ministère de la justice adressée à chaque parquet de France», déroule l’ancienne avocate en notant l’importance de médiatiser ce sujet encore trop peu connu. Elle tonne : «Ce n’est pourtant pas un phénomène en marge. Ces femmes, ces familles sont invisibilisées dans leur souffrance, ne sont pas reconnues en tant que victimes.»

La spécialiste des violences conjugales parie aussi sur l’Union européenne pour faire avancer le combat sur cet impensé des violences. La prochaine étape ? L’élaboration d’un guide destiné à chaque Etat membre. Et dans le viseur, un objectif plus ambitieux : faire inscrire le suicide forcé dans la convention d’Istanbul, texte de référence du Conseil de l’Europe sur les violences faites aux femmes. Si les violences psychologiques y sont intégrées, il faut désormais aller plus loin, exhorte Yael Mellul. «La conséquence traumatique la plus extrême des violences psychologiques est le suicide forcé», insiste-t-elle. Elle compte sur la présidence française de l’UE s’ouvrant en janvier «pour soutenir ce projet». Elle conclut : «Emmanuel Macron a l’habitude de parler du modèle européen, ce serait cette fois-ci le modèle Français qui s’appliquerait à l’Europe.»


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