vendredi 3 décembre 2021

Emmanuel Grégoire sur le crack: «Il faut des moyens spectaculaires pour l’accompagnement des consommateurs»

par Charles Delouche-Bertolasi  publié le 3 décembre 2021

Pour le premier adjoint d’Anne Hidalgo, le gouvernement se contredit sur le dossier du crack, partagé entre ambitions sécuritaires et mesures médico-sociales. Selon lui, la réponse doit être collective.

Deux mois qu’un mur de briques a été bâti à la va-vite entre la porte de la Villette et Pantin pour tenter d’empêcher la circulation des consommateurs de crack. Depuis fin septembre, le bras de fer entre la mairie de Paris et l’Etat est au point mort. Il y a bien eu l’annonce de la création «de nouveaux lieux dédiés à l’accueil et au repos […] soutenue par les services de l’Etat», puis la prolongation pour trois ans des structures expérimentales accueillant de la consommation de drogues. Mais depuis ? Pas grand-chose, déplore Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo.

Quelles sont les pierres d’achoppement du travail engagé entre la mairie de Paris et l’Etat sur le dossier du crack ?

On a apprécié l’arbitrage du Premier ministre sur les lieux d’accueil mais nous sommes dans une forme de «en même temps» macroniste inconfortable. Le gouvernement est d’accord pour promouvoir les salles de consommation rebaptisées «haltes soins addictions», un terme qui recouvre une réalité plus globale que le simple sujet de la consommation supervisée, mais en même temps l’Etat ne se donne pas les moyens de les ouvrir.

On le voit à Lille, avec l’ouverture de la salle de consommation bloquée depuis fin octobre. La mairie a travaillé avec les associations et finalement le lieu a été changé sur décision de l’Etat au dernier moment, rendant de facto quasiment impossible l’ouverture de la salle. On a besoin d’un alignement des pouvoirs publics.

Comment expliquez-vous ces réticences ?

En dépit de l’arbitrage clair de Matignon sur les salles de consommation, on voit que des tensions internes au gouvernement subsistent, que des contre-pouvoirs extrêmement puissants continuent de se déployer via la branche sécuritaire de l’exécutif. Le ministre de l’Intérieur n’a pas caché son opposition personnelle et radicale à cette solution. C’est baroque, du jamais-vu. Mais nous restons optimistes : quand j’entends le préfet de police dire que la réponse est d’abord médico-sociale, je me dis qu’une bataille culturelle est en train d’être gagnée.

Pourquoi la mairie de Paris ne propose pas un agenda plus clair au sujet de la mise en place des futures structures ?

Nous effectuons un travail de fond avec l’agence régionale de santé et la préfecture de région. Nous le gardons confidentiel car le mettre en place publique l’exposerait à une instrumentalisation dégueulasse. Ce que fait le conseiller régional Pierre Liscia en publiant sa carte des soi-disant nouveaux lieux de consommationest doublement grave.

D’abord, c’est un mensonge de laisser penser qu’on va créer des dizaines de salles de consommation dans la capitale. La deuxième faute est morale : cela jette l’opprobre sur des structures de réduction des risques qui marchent extrêmement bien et qui font preuve de leur efficacité et de leur excellente insertion urbaine. Que ce soit Rachida Dati ou Valérie Pécresse, tous formulent des idées dignes du café du commerce. C’est un déferlement de haine, de bon sens populaire radical.

Pensez-vous qu’il sera possible de régler une question aussi polémique en pleine campagne présidentielle ?

On a tout intérêt à la régler avant la présidentielle. Car c’est bien Paris qui subit cette scène de consommation massive depuis quarante ans. Cette situation est liée à la centralité de la ville, à sa facilité d’accès, aux quartiers de gares qui ont toujours été pourvoyeurs de trafic en tous genres. L’installation du camp au square Forceval dans le XIXe arrondissement est le cul-de-sac de cette stratégie de rotation de scènes. Et le mur construit entre Paris et Pantin vient incarner cette impuissance des pouvoirs publics.

Quelle est la principale urgence pour sortir de cette situation ?

Il faut des moyens spectaculaires pour l’accompagnement des consommateurs, une réponse médico-sociale et une politique d’hébergement d’urgence pour les sortir de la rue. L’objectif est de créer 200 places de plus. On ne parle pas de 15 000 mais de 500 personnes au grand maximum, un noyau dur de consommateurs dans la région qui a une visibilité particulièrement forte.

Il faut aussi tarir les trafics, arrêter les vendeurs de drogue. On a le sentiment que les sites de consommation successifs, de la porte de la Chapelle, au jardin d’Eole et aujourd’hui au square Forceval, sont la théorisation d’une forme d’impunité sur l’achat et la vente de ces drogues. Une situation que la police accepte de fait, car elle permet de concentrer le problème. Mais cette stratégie ne règle pas le problème.


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