mardi 14 décembre 2021

Covid-19 : avec 90 % de la population éligible ayant reçu au moins une dose, la France a-t-elle atteint son plafond vaccinal ?

Par  et   Publié le 14 décembre 2021

Le rythme des primo-injections stagne en décembre à son plus bas niveau depuis presque un an et les marges de manœuvre pour convaincre les 6 millions d’adultes non vaccinés apparaissent désormais limitées.

Il y a les réfractaires, les antivax, les personnes qui ont peur ou qui hésitent encore… Alors que la France a atteint un niveau élevé de vaccination contre le Covid-19, avec plus de 90 % de la population éligible (12 ans et plus) ayant reçu au moins une dose en décembre, soit près de 78 % de la population totale, environ six millions de Français éligibles ne sont pas vaccinés.

A l’heure où la campagne de rappel bat son plein, le chiffre des non-vaccinés n’évolue plus que très lentement, depuis deux mois, hormis un très léger rebond intervenu fin novembre, après l’annonce de l’ouverture à toute la population majeure de la dose supplémentaire. Les nouvelles injections stagnent au-dessous des 30 000 par jour en moyenne depuis la mi-octobre, et sont même descendues à 20 000 doses en décembre. Soit un rythme qui n’a jamais été aussi bas, hormis lors des premiers jours de la campagne, il y a près d’un an.

Depuis que la barre des 50 millions de vaccinés a été franchie, à la mi-septembre, le gouvernement se garde d’afficher un nouvel objectif chiffré en matière de primovaccination. Pas question cependant de renoncer, assure-t-on au ministère de la santé, où l’on insiste sur la poursuite des opérations d’« aller vers » pour toucher ces publics, ou encore sur la « file prioritaire », ouverte aux non-vaccinés dans les centres de vaccination. Les nouvelles primo-injections représentent « 100 000 à 200 000 personnes par semaine, ce n’est pas rien, c’est l’équivalent d’une ville moyenne qu’on arrive à grappiller », pointe-t-on Rue de Ségur.

  • Quel est le profil des personnes non vaccinées ?

Si l’on pose une loupe sur la carte de France, plusieurs fractures apparues au fil de la campagne se confirment. Outre les territoires ultramarins, qui accusent les retards les plus forts, en métropole, le Sud-Est se distingue par un niveau de vaccination moindre que dans le reste du pays. Et, plus largement, les territoires situés au sud d’une diagonale allant du Haut-Rhin à l’Ariège, selon les données par département de l’Assurance-maladie, arrêtées au 5 décembre.

A l’échelle plus fine des intercommunalités, une autre grille s’impose : les quartiers défavorisés des grandes métropoles demeurent en tête des territoires les moins vaccinés. Les quartiers nord marseillais des 14e, 15e et 16e arrondissements ; Dugny, Clichy-sous-Bois, Villetaneuse, Stains, en Ile-de-France ; dans le Rhône, Saint-Fons, Vaulx-en-Velin ou encore Vénissieux. Au moins 30 % de la population reste « à vacciner » dans ces communes – jusqu’à 44 % dans les quartiers nord de Marseille. Certains territoires ruraux reculés, avec un nombre d’habitants plus réduit, se situent également fortement en retrait, comme la communauté de communes du Diois, dans la Drôme, ou celle du Genevois, en Haute-Savoie.

« La simple énumération du nom des territoires les moins vaccinés suffit à lier la cause de cette non-vaccination à l’éloignement, sous ses diverses formes, analyse le géographe Emmanuel Vigneron.Qu’il s’agisse des distances géographiques, économiques et sociales, de la distance au pouvoir, à l’accès aux soins, à l’éducation à la santé… »

Du point de vue des classes d’âge, les 12-17 ans, dernière catégorie à avoir eu accès à la vaccination, en juin, demeurent en deçà de leurs aînés, avec un taux de 78,6 % ayant reçu au moins une dose, selon les données de l’Assurance-maladie. Les personnes âgées de 18 ans à 64 ans se situent aux alentours de 90 %, quand celles de 64 ans à 75 ans battent le record, avec 94,6 % de vaccinés. Chez les plus de 75 ans, le taux redescend à 91,3 %.

Globalement, la population restant à vacciner se situe d’abord dans les rangs des plus jeunes, dont les relations sociales souvent plus fortes peuvent jouer un rôle moteur dans la circulation virale : près de 4 millions de non-vaccinés ont moins de 50 ans, selon les données du ministère de la santé. Mais les inquiétudes se cristallisent autour des populations plus âgées, les plus à risque de développer une forme grave de la maladie nécessitant une hospitalisation – les plus de 60 ans représentent 93 % des morts dues au Covid-19 depuis le début de l’épidémie. Plus de 2 millions de personnes de plus de 50 ans ne sont pas vaccinées.

  • Quel rôle ont-ils dans la vague actuelle ?

« On ne peut pas dire que la circulation virale est uniquement restreinte aux non-vaccinés, souligne Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie à l’université de Montpellier. Sinon, on n’observerait que des clusters plus ou moins grands, mais localisés. » Si les vaccins sont très efficaces contre les infections, les hospitalisations et les morts quel que soit l’âge, comme l’a confirmé une étude basée sur des données israéliennes en vie réelle publiée le 8 décembre dans The New England Journal of Medicine, on sait qu’ils ne bloquent pas entièrement les infections. « Il n’est pas possible d’évaluer précisément le rôle des vaccinés dans la circulation du virus pendant cette cinquième vague, souligne Mircea Sofonea. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il s’agit d’une population moins infectée. » Mais le comportement a aussi un rôle dans la propagation du virus : « On sait que, potentiellement, les vaccinés peuvent avoir des comportements plus à risque. »

En revanche, les personnes non vaccinées sont surreprésentées dans les admissions quotidiennes à l’hôpital, précipitant les vagues hospitalières qui embolisent le système de soins. Selon les données de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publiées le 10 décembre, entre le 1er et le 28 novembre, les 9 % de personnes non vaccinées de 20 ans et plus représentent 40 % des admissions en hospitalisation conventionnelle, 51 % des entrées en soins critiques et 39 % des décès. Le risque d’hospitalisation croît avec l’âge. Pour les entrées en soins critiques, il « est maximal pour [les] 60-79 ans », précise la Drees. De son côté, Santé publique France a évalué que, entre le 1er septembre et le 25 novembre, chez les moins de 65 ans, les non-vaccinés représentaient 76,2 % des cas admis en réanimation. Une proportion qui s’élève à 49,5 % chez les plus de 65 ans.

Pour Rodolphe Thiébaut, professeur de santé publique à Bordeaux, il faut en définitive distinguer trois cas de personnes non ou mal vaccinées : « Les personnes n’ayant reçu aucune dose, les personnes vaccinées il y a cinq-six mois et dont la protection face à l’infection s’amenuise avec le temps nécessitant une dose supplémentaire, et enfin des personnes dans certains pays qui aimeraient avoir accès au vaccin. » Des profils très divers mais qui participent, tous, à la circulation virale. « Tant que le virus circulera sur la planète, il y aura toujours des personnes vaccinées qui se contamineront,souligne l’épidémiologiste. Si la couverture vaccinale était très forte au niveau mondial, on arrêterait la pandémie. »

  • A-t-on atteint un plafond de verre de l’adhésion vaccinale ?

Sur le terrain, les professionnels de santé se retrouvent confrontés à la stagnation de la primovaccination. « J’ai le sentiment qu’on est arrivé au plafond de verre, reconnaît Clarisse Audigier-Valette, pneumo-oncologue au centre hospitalier de Toulon, qui s’occupe de l’unité Covid de l’établissement. On voit dans nos lits des patients non vaccinés qui ont passé la quatrième vague sans encombre, sans être jamais en contact avec l’aspect “maladie grave” du Covid dans leur entourage, et souvent qui s’en sont trouvés encore plus convaincus qu’ils n’avaient pas besoin de se faire vacciner, décrit-elle. Ils ne découvrent l’intérêt de se vacciner qu’une fois hospitalisés. »

Dans les cabinets des médecins généralistes, « cela n’avance plus tellement depuis la rentrée », reconnaît Jacques Battistoni, à la tête du syndicat MG France, pour qui « on a atteint un niveau très difficile à dépasser ». Si le médecin normand dispose bien de la liste de ses patients non vaccinés, comme l’ont demandé à l’Assurance-maladie 22 000 confrères, il a désormais déjà eu la discussion autour du vaccin avec la plupart d’entre eux. « Parfois, je n’essaie même plus, dit-il. On a le sentiment que les positions sont figées. » A ceux qui « attendent un vaccin français », qui « ne veulent pas de vaccin à ARN messager » ou encore qui s’élèvent « contre l’obligation », s’ajoutent désormais ceux qui voient dans le variant Omicron ou dans cette cinquième vague une « confirmation que le vaccin ne marche pas ».

  • Les dispositifs d’« aller vers » sont-ils suffisants ?

Pour gagner encore des points de couverture vaccinale, il faut passer de la vaccination de masse à celle « de dentelle », selon les spécialistes de santé publique. Dans les quartiers nord de Marseille, le médecin généraliste Slim Hadiji ne désespère pas d’aller plus loin. Avec l’association Santé environnement pour tous, il participe à diverses opérations, allant de la vaccination à domicile et dans la maison régionale de santé de Malpassé jusqu’à l’organisation de réunions pour répondre aux questions des habitants. « C’est long, mais ça porte ses fruits, on y arrive », dit-il, en comptabilisant quelque 7 000 personnes vaccinées au cours de ces actions.

Le médecin généraliste constate encore parfois des « problèmes d’accès », mais c’est d’abord le « manque de confiance dans le vaccin, dans les gouvernants » et « les discours contradictoires de certains médecins » qui reviennent dans la bouche des réfractaires. « Un cocktail explosif », observe-t-il, surtout chez des jeunes « abreuvés par Internet, YouTube, Facebook ». Ce problème essentiel de l’information est d’autant plus prégnant dans le désert médical des quartiers nord, où « il n’y a pas de médecin traitant qui puisse rassurer », note-t-il.

« Le cœur du problème, ce sont les inégalités sociales de santé,abonde Stéphane Troussel, à la tête du département de Seine-Saint-Denis, le moins vacciné de la région francilienne. Il y a la fracture numérique, la barrière de la langue, l’isolement plus marqué des personnes les plus précaires, l’éloignement des parcours de soins, la faiblesse de l’offre de médecine de ville, énumère l’élu socialiste, qui défendait l’obligation vaccinale, gage d’une politique publique d’ampleur en la matière. Cela n’a rien de nouveau, l’hésitation vaccinale est plus forte dans les catégories populaires, et c’est exacerbé avec le Covid. »

En Ile-de-France, où 1,2 million de personnes éligibles n’ont toujours reçu aucune dose, plus de 250 000 personnes ont pu être vaccinées depuis le début de la campagne grâce à quelque 3 000 opérations menées vers les publics précaires et en direction des territoires sous-vaccinés, comme les quartiers prioritaires de la politique de la ville, selon les chiffres de l’agence régionale de santé. Sans compter les campagnes ciblées menées par l’Assurance-maladie à l’échelle nationale, d’envoi de courriers, d’appels, de SMS et de mails… On le reconnaît néanmoins en coulisses : alors que la campagne de rappel concerne maintenant plusieurs millions de personnes et nécessite un effort conséquent d’organisation et de logistique, la primovaccination est « un peu moins » la priorité.



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