lundi 22 novembre 2021

Médecine Les mystères de la patiente «guérie du VIH»

par Eric Favereau  publié le 17 novembre 2021

Chez une femme argentine, on ne retrouve plus la moindre trace du VIH, sans que l’on sache si cela est dû au virus ou bien à son système immunitaire.

«C’est un beau et c’est un gros travail virologique, mais on ne peut rien en déduire», nous dit le professeur Willy Rozenbaum, un des artisans majeurs de la découverte du sida, en 1983. Il réagissait à un article publié ce lundi 15 novembre dans les Annals of Internal Medicine qui faisait état d’une patiente qui aurait «guéri naturellement du VIH grâce à son système immunitaire».

C’est l’histoire d’une femme argentine, que ses médecins ont baptisée «la patiente d’Esperanza», en écho à la ville où elle vit. Cette femme a donc été diagnostiquée séropositive au VIH en 2013. Cette femme n’a jamais suivi de traitement, sauf pendant quelques semaines autour de sa grossesse. Et voilà donc que l’on ne retrouve plus la moindre trace de virus dans son organisme. Ses médecins, associés à l’équipe du professeur Xu Yu du General Massachusetts Hospital à Boston et du Ragon Institute, ont fait des études virologiques très poussées. En 2017, 2018 et 2020, ils ont cherché à voir si le virus se reproduisait ou pas dans son organisme. Ils ont également mesuré sa charge virale (le taux de particules virales circulant dans le sang). Un travail de recherche dans 1,2 milliard de ses cellules sanguines mais aussi au sein de 500 millions de cellules de son tissu placentaire. Ils n’ont rien trouvé. Et les chercheurs en ont déduit que la jeune femme avait guéri «naturellement».

«On ne peut faire que des hypothèses»

Il s’agit du deuxième cas de ce genre. Loreen Willenberg, une Californienne de 67 ans, serait la première. Chez elle, on a identifié un marqueur génétique qui aiderait les lymphocytes à lutter contre les agents étrangers. Trois hommes sont également répertoriés pour avoir guéri du VIH, mais leurs guérisons sont intervenues grâce à des «cures de stérilisation». Timothy Ray Brown (mort en 2020 d’une leucémie), Adam Castillejo et le «patient dit de Düsseldorf» avaient ainsi reçu une greffe de cellules souches de donneurs, présentant tous une anomalie génétique rare qui a favorisé la capacité des cellules immunitaires à se défendre. Mais ce traitement, considéré comme très lourd, ne pouvait en aucun cas être élargi à d’autres personnes infectées.

Que déduire de ce nouveau cas ? «D’abord, il faut rappeler que cette femme fait partie des 1 % de personnes infectées par le virus dans le monde et qui le contrôlent naturellement, nous explique le professeur Rozenbaum. C’est-à-dire que, dans ce petit groupe, ces patients ont un contrôle spontané de la reproduction du virus, avec une charge virale indétectable sans traitement. Dans ledit groupe, si le virus ne se reproduit pas, on retrouve pour autant des traces de sa présence. Là, chez cette patiente, c’est différent. Ils ont effectué trois prélèvements [sur lesquels ont été menées les études, ndlr]. Des prélèvements qui ont été congelés – et on ne peut exclure que cela entraîne des changements. Ensuite, ils ont fait un énorme travail virologique de recherche et ils n’ont rien retrouvé.» Après ? «C’est un constat, et on ne peut faire que des hypothèses», insiste Willy Rozenbaum. «Peut être a-t-elle été infectée par un virus dit défectif, c’est-à-dire un virus qui ne se reproduit pas. On n’en sait rien. Le virus a peut-être muté aussi, tout est possible.»

«Les cellules tueuses de virus»

Pour les chercheurs à l’origine de ce travail, on peut parler néanmoins d’une guérison qui serait due «à une réponse particulièrement puissante des lymphocytes T, les cellules tueuses de virus». Le professeur Rozenbaum ne se montre pas aussi catégorique. «Soit c’est le virus lui-même qui a disparu, faute de la présence de certains gènes. Soit c’est le système immunitaire de la patiente qui l’a fait disparaître. A l’heure actuelle, on ne peut pas affirmer que l’on est devant une guérison.»


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