lundi 1 novembre 2021

Malédiction «Tommy» Recco : 87 ans et toujours derrière les barreaux

par Ludovic Séré  publié le 4 novembre 2021

La 21e demande de mise en liberté du plus vieux détenu de France a été refusée ce jeudi. «Tommy» Recco avait été condamné à la réclusion à perpétuité pour deux triples meurtres qu’il a toujours niés. L’histoire de sa famille et en particulier de sa fratrie, a toujours été liée à la mort.

Quelques chiffres. «Tommy» Recco a 87 ans. Il a été condamné deux fois, en 1962 et en 1983. Il en est à sa 21e demande de sortie, toutes refusées. Et à la section victimes, sa page Wikipédia indique : «Au moins sept.» La demande de suspension de peine pour raison médicale de Joseph-Thomas dit «Tommy» Recco, le plus vieux détenu de France, a été rejetée ce jeudi par le tribunal d’application des peines de Bastia.

Condamné en 1983 à la réclusion criminelle à perpétuité pour deux triples meurtres, Tommy Recco avait déjà formulé plusieurs demandes de libération anticipée. En dépit de l’âge du détenu, la justice considère que le risque de récidive demeure présent, au regard du très lourd passé de Recco. Et si l’histoire de Tommy a été liée au sang et à la mort, cela fut aussi le cas pour sa famille, en proie à une étrange malédiction pour qui voudrait y croire.

La malédiction de la tortue

Né dans la petite ville corse de Propriano le 10 mai 1934, Tommy fait partie d’une fratrie d’onze frères et sœurs, sept garçons et quatre filles. Parmi eux, un enfant meurt en âge bas tandis qu’un autre se tue à 20 ans dans un accident de la route. En 1960, un des oncles de Tommy est retrouvé mort. Un des frères balance Tommy et, après avoir avoué puis s’être rétracté, ce dernier est finalement condamné à mort deux ans plus tard : il doit être décapité. Heureusement, pour lui, le général de Gaulle le gracie, la peine est commuée en perpétuité puis finalement à une peine de vingt ans de prison.

Comme raconté avec talent, et un certain nombre d’accents plus ou moins maîtrisés dont le présentateur a le secret, dans un épisode spécial de Hondelatte raconte sur Europe 1, les drames de la famille Recco font le tour de Propriano. Et ils ne seraient pas dus au hasard, mais plutôt à une malédiction. A la fin des années 1920, le père Recco aurait trouvé une tortue géante échouée sur la plage de Propriano. Tout le monde voulait la remettre à l’eau mais voilà : le père a préféré lui couper la tête pour garder la carapace. Il en aurait fait un parfait berceau qui, au fur et à mesure des années, a accueilli ses 11 enfants. Voici donc la raison pour laquelle le sort s’acharnerait sur la famille Recco. La malédiction des Recco serait en fait la malédiction de la tortue, qui a bon dos.

Car les malheurs familiaux sont loin d’être terminés. En 1973, un frère Recco s’embrouille avec son beau-frère… qui le tue d’un coup de fusil. Trois ans plus tard, Pierre, le frère qui avait balancé Tommy, est abattu sur la plage par deux hommes cagoulés. Enfin, Francine Recco, une des sœurs de Tommy meurt quelques années plus tard en chutant dans les escaliers. Cinq des onze enfants Recco sont morts.

Les meurtres

Tommy sort de prison le 7 novembre 1977 grâce à une mise en liberté conditionnelle. Il a 43 ans et n’a pas l’autorisation de retourner en Corse. Il trouve un job à Marseille, dans une boîte qui vend et livre du matériel de plongée dans tout le sud de la France. Sa vie se passe enfin calmement. Son patron le décrit comme un garçon exemplaire. Il changera d’avis quand il apprendra que Tommy Recco a détourné de l’argent de son entreprise deux années durant.

Au mois de décembre 1979, les journaux évoquent un hold-up sanglant dans un magasin Mammouth à Béziers. Un gangster a tué de sang-froid trois employées en leur mettant chacune une balle de Magnum dans la tête. Toutes les pistes s’orientent vers un tireur solitaire, un habitué du supermarché qui aurait une parfaite connaissance du lieu.

Un mois plus tard, en janvier 1980, une famille et un homme sont retrouvés assassinés dans une maison luxueuse de Carqueiranne, dans le Var. Une fillette, son père et un de leurs voisins ont tous été abattus d’une balle dans la tête. La petite fille, avant de mourir, a eu le temps d’appeler une collègue de sa mère pour lui dire que «le cousin de René» est venu, très énervé, parler avec son père. Plusieurs René sont interrogés et un cousin, un certain Tommy, au lourd passé judiciaire, est interpellé avec une arme de professionnel. Tommy Recco est désormais lié à un triple meurtre. Il nie d’abord puis avoue à un gendarme. Il avait un contentieux avec le père et a finalement tué la fille et le voisin pour qu’ils ne le balancent pas.

Il décrit précisément les meurtres, très froidement diront les gendarmes. Puis se rétracte et accuse les enquêteurs de l’avoir forcé à parler, de l’avoir frappé, de l’avoir violé. Des examens médicaux sont faits, «son anus est regardé à la loupe» et aucune trace de viol ni de traumatisme. Entre-temps, le lien est fait entre les meurtres de Carqueiranne et ceux de Béziers : la même arme a été utilisée. Trop léger pour le condamner. Mais un témoin reconnaît Recco dans le journal et se souvient l’avoir vu le 22 décembre 1979 dans le Mammouth de Béziers.

«Il se prend pour Jésus»

Quand Tommy se présente à son procès en 1983, il apparaît avec une longue chevelure brune. Avec ses yeux bleus, les commentateurs l’accusent de se prendre pour Jésus Christ. Mais il est «normal» : ni pervers, ni dément, jugent des experts. Il est responsable de ses actes et puisque à la barre il se prend pour le Christ, il finit crucifié : Tommy Recco est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en juin 1983 par la cour d’assises du Var à Draguignan pour les deux triples meurtres qu’il a toujours niés.

Le désormais octogénaire est aujourd’hui détenu au centre pénitentiaire de Borgo en Haute-Corse. Il a donc formulé une 21e demande de libération conditionnelle, rejetée par la justice. La chambre d’application des peines de la cour d’appel de Bastia avait rejeté une précédente demande, dans son arrêt du 7 juillet 2020. La même année, un rapport médical avait conclu à une compatibilité entre son état de santé et son maintien en détention.

En dépit de l’âge du détenu, la justice considère que le risque de récidive demeure présent, au regard du très lourd passé de Tommy Recco. «Je ne suis pas étonné, même si je suis déçu, a réagi Alain Lhote, un de ses deux avocats. Les contraintes légales sont insurmontables. Il faut que trois experts considèrent que votre état de santé est incompatible avec la détention, ce qui n’est malheureusement pas le cas.» Ses conseils envisagent déjà la suite sur un tout autre terrain : «Cette décision ouvre la porte à un nouveau contentieux hors du cadre légal en France, avec une saisine de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle appréciera si un homme peut rester aussi longtemps détenu sans qu’à un moment donné se pose la question du sens de la peine.»

Entre-temps, Antoine Recco, un autre frère de Tommy, a été condamné à trente ans de prison pour le viol de deux campeuses. La mère de Recco, elle, est morte à 75 ans, alors qu’elle se rendait, pour prier, à Lourdes.


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