lundi 8 novembre 2021

La folie du CBD en six questions

 LSA

SYLVIE LEBOULENGER  PUBLIÉ LE 11/11/2021

Depuis quelques mois, un nouvel ingrédient a fait irruption dans la vie des consommateurs : le cannabidiol, plus connu sous le sigle CBD. Cette molécule issue de la fleur de chanvre se retrouve dans des produits aussi différents que des huiles de massage, des cosmétiques ou encore des boissons, ce qui a de quoi intriguer. Explications d’un phénomène qui marquera 2021… et les années suivantes.


Dès avril, Monoprix a testé un corner contenant des produits au CBD dans les espaces La Santé au quotidien de quatre magasins. Depuis, ce principe a été dupliqué dans 250 Monoprix.
Dès avril, Monoprix a testé un corner contenant des produits au CBD dans les espaces La Santé au quotidien de quatre magasins. Depuis, ce principe a été dupliqué dans 250 Monoprix.

Chiffres
  • 2,8 Mrds € : le marché mondial en 2021
  • + 21,2 % : estimation de la croissance annuelle entre 2021 et 2028
  • 7 millions de Français consommeraient du CBD, soit 10 % d’entre eux (16 % en Europe)
  • 300 M € Les estimations des ventes sur le marché hexagonal pour 2021
Sources : étude Grand View Research/Brightfield
  • Avec 6,5% du total mondial, la France est le 3 e producteur de chanvre après la Chine et le Canada
Sources : associations française et européenne du chanvre industriel, Interchanvr

Un secteur plein de promesses. Après avoir investi les marchés nord-américains et européens plus libéraux que la France en matière de cannabidiol (CBD), cet ingrédient qui se niche dans la fleur de chanvre – cannabis sativa en langage botanique – commence à séduire de nombreuses catégories des PGC. Citons les tisanes, les cosmétiques, les compléments alimentaires, les boissons, le vin… Les analystes tablent déjà sur 300 millions d’euros de ventes en France pour les produits contenant cette molécule. Le CBD n’est pas une épice. Ses qualités sont de l’ordre du bien-être, mot magique au sortir de la pandémie de Covid-19. Reste que, comme tout nouvel ingrédient, le CBD pose de nombreuses questions sur sa définition, la réglementation, la filière agricole, les réseaux de commercialisation… LSA répond à six d’entre elles.

1. De quoi parle-t-on ? 

« Ah oui, c’est de la fumette, c’est comme du cannabis quoi ! », « Connais pas… », « Mais si, ça soulage les douleurs »… Beaucoup de fantasmes, d’amalgames, voire de l’ignorance, circulent autour du CBD. Les trois lettres signifient cannabidiol, l’une des molécules synthétisées dans les fleurs de chanvre. Elle est non psychotrope et non addictive, contrairement à une autre molécule également contenue dans cette fleur, le THC (tétrahydrocannabinol) qui, elle, est stupéfiante. C’est le THC qui compose les « pétards » ou autres « joints ». Et c’est la ­raison qui a motivé la France à publier, le 22 août 1990, un arrêté interdisant la culture des variétés de chanvre dépassant 0,2 % de THC. À l’époque, le CBD était inconnu.

Cependant, depuis plus d’un an, après l’ouverture d’environ 2 000 magasins spécialisés dans tout l’Hexagone et avec une offre devenue foisonnante également sur internet, le consommateur français commence à découvrir les nombreuses vertus du CBD. Cette molécule apaiserait les maux de tête, les douleurs musculaires et articulaires, réduirait l’anxiété et favoriserait l’endormissement. Magique car tous ces maux sont encore plus fréquents à l’heure où les Français sortent d’un long isolement provoqué par la pandémie. Reste qu’il n’est pas encore possible d’alléguer ces promesses. Notons qu’en mars, Olivier Véran, le ministre des Solidarités et de la ­Santé, a donné son feu vert pour expérimenter le cannabis à des fins médicales, afin de mesurer ses qualités apaisantes. Résultats attendus d’ici à deux ans.

2. Quels produits de grande consommation en contiennent ?

Il y a un tel engouement pour le CBD qu’il est mis à toutes les sauces… L’une de nos consœurs a remarqué qu’un boucher marseillais proposait des saucisses au CBD, annonce placardée en grand sur sa devanture. Des sites commercialisent du chocolat, du café ou encore des cookies au CBD. Une recherche sur Google a même fait apparaître un vin au CBD élaboré en France, le Burdi W. Il ne s’écoule pas une semaine sans qu’un nouveau produit contenant cette molécule ne soit annoncé. Les références les plus courantes sont cependant les tisanes, les huiles à usage externe, les huiles à usage alimentaire (pour mettre dans des cocktails, jus, pancakes, etc.), les cosmétiques, les boissons, bonbons et autres chewing-gums.

Ingrédient très recherché et pour le moment non produit en France à l’exception de quelques expérimentations, le CBD est une molécule chère, ce qui se constate sur les prix de vente. Ainsi, un flacon d’huile peut vite atteindre les 100 € si son contenu est bio et de qualité. Il existe, en outre, plusieurs façons d’extraire le CBD. Certaines utilisent des solvants et ne sont donc pas naturelles. À ce jour, la plupart des propositions sont issues de start-up françaises fondées par des entrepreneurs qui ont consommé du CBD et ont été convaincus par ses vertus. La concurrence étrangère, en avance sur ce sujet, est à nos portes. À titre d’exemple, la marque britannique de boissons et de compléments alimentaires Trip vient d’entrer à La Grande Épicerie de Paris et chez Cojean.

La Grande Épicerie de Paris
Mi-octobre, Yan Decock, créateur de Naka, a fait goûter sa boisson au CBD et à la rose à La Grande Épicerie de Paris.

3. Le CBD est-il un « Novel Food » ? 

Pas encore. « L’Efsa (l’agence européenne de sécurité alimentaire, NDLR) a reçu plus de 400 dossiers en attente d’évaluation pour obtenir un agrément Novel Food », assure Yan ­Decock, créateur de la boisson Naka. Rappelons qu’un agrément Novel Food autorise la mise sur le marché des aliments ou ingrédients qui n’étaient pas consommés de façon significative avant le 15 mai 1997 et qui sont donc considérés comme de nouveaux aliments. « Je suis confiant, poursuit Yan Decock. Cela fait cinq ans que cet ingrédient est autorisé aux États-Unis. Il n’a pas fait courir de risque sanitaire aux Américains. » « Dès que le statut Novel Food sera passé, il s’agira de respecter les dispositions propres à ce dernier, rien de plus. Nous sommes déjà en train de préparer tout cela », précise, de son côté, David Migueres, cocréateur de Chilled, une boisson présente dans 500 établissements du CHR, chez Casino et Monoprix Plus. Un autre acteur résume la situation ainsi : « En attendant qu’ils soient légaux, les produits alimentaires au CBD ne sont pas illégaux. Je ne vois pas bien comment les autorités pourraient arrêter cette vague. Des milliers d’emplois sont en jeu, tant dans l’agriculture que dans les start-up et les commerces. »

4. Existe-t-il une filière chanvre en France ?

Cocorico ! La France est le premier producteur européen, avec quelque 20 000 hectares recensés cette année. L’Hexagone produit ainsi près de 40 % du chanvre européen et 6,5 % du chanvre mondial, selon Interchanvre. Le chanvre français est utilisé pour des applications industrielles (BTP, textile, litières animales, etc.) et alimentaires, essentiellement à partir de la graine et de la tige de chanvre puisque, jusqu’ici, la France n’autorisait pas l’utilisation de la fleur. Selon les interprofessions, le marché français du chanvre pourrait atteindre le milliard d’euros d’ici à 2023 si la réglementation autorisait la vente des fleurs pour en extraire le CBD. « Les chanvriculteurs sont contraints par les limites du catalogue français. Celui-ci est en effet composé de semences fibreuses doté d’un taux de THC inférieur à 0,2 %. Elles sont adaptées aux secteurs du BTP, du textile ou de l’alimentaire mais nullement à l’extraction du CBD », remarque Antoine Roux, créateur de la marque de cosmétiques, huiles et tisanes Yogah. Ces semences contiennent en effet fort peu de CBD car il existe un ratio entre le taux de CBD et celui de THC. Plus il y a de THC, plus il y a de CBD…

Cette année, Antoine Roux a planté une parcelle de chanvre dans l’exploitation familiale, non loin de Dax (Landes). Un test qui lui a permis de mesurer l’intérêt économique de cette culture : « Un hectare de maïs dégage sur notre exploitation un chiffre d’affaires de 2 700 €. Cette même surface cultivée avec du chanvre bio dégagerait un revenu de 560 000 € ! », a-t-il calculé. Pas mal à une époque où les agriculteurs cherchent des relais de croissance valorisés. Cerise sur le gâteau, le chanvre est vertueux. « Il absorbe quatre fois plus de CO2 qu’il n’en rejette. Il ne nécessite aucun traitement, aide le sol à se régénérer entre deux cultures et n’est pas gourmand en eau », énumère Alexandre Perez, le créateur de Divie, qui expérimente, lui, la culture du chanvre dans l’Aveyron.

Des stars au service de la tendance

Grâce à un ami commun, Alexandre Perez, un « enfant de la télé » reconverti dans le CBD, a rencontré le chanteur Mika. Celui-ci avait envie d’entreprendre dans un secteur d’avenir et, séduit par Divie, la start-up récemment créée par Alexandre Perez, il en est devenu actionnaire. « Son rôle est important. Il a une forte capacité à anticiper les tendances. Et puis, il a un regard acéré, le souci de chaque détail », apprécie le fondateur de cette marque d’huiles haut de gamme et made in France. Cependant, le chanteur anglo-libanais ne jouera pas les ambassadeurs de Divie, à la différence de Joey Starr, le chanteur et comédien qui prête son image à The Hemp Concept, franchise en plein développement avec une quarantaine d’emplacements en France, Allemagne et Espagne. Ce réseau peut également compter sur plusieurs sportifs : Matthias Dandois et Sylvain André, deux champions du monde de BMX, et Marion Haerty, quatre fois championne du monde de snowboard freeride. De son côté, la boisson au CBD Naka a repéré sur Instagram « l’artiste qui dessine le packaging des canettes », confie Yan Decock, l’ex-Michel & Augustin devenu le directeur général de Naka. Il s’agit d’un artiste chinois vivant à Londres, Jason Lyon. Et la jeune marque compte recourir à d’autres artistes pour que ses canettes soient à la fois un moyen d’expression pour un dessinateur et des œuvres d’art.

5. Où en est-on de la réglementation pour produire du CBD français ?

Elle vient de faire un grand pas. Le 20 juillet, la France a notifié à la Commission européenne son projet d’arrêté révisant celui du 22 août 1990, qui limitait la culture et l’exploitation du chanvre aux seules fibres et graines et excluait les fleurs. Le texte de juillet vise à mettre en conformité la réglementation française avec le droit européen. La Commission européenne ne l’ayant pas modifié dans le temps qui lui était imparti (trois mois), cet arrêté peut entrer en vigueur.

Voici ce qu’il contient : l’extension de l’autorisation de « la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale » des variétés de chanvre autorisées à toutes les parties de la plante de chanvre, non plus uniquement aux fibres et aux graines. Les fleurs et les feuilles de chanvre pourront être récoltées, importées ou utilisées « pour la production industrielle d’extraits de chanvre ». Ainsi, du cannabidiol, mais aussi d’autres cannabinoïdes non stupéfiants (CBG, CBC, etc.) pourront être fabriqués en France : une attente forte de la filière, qui voit donc l’ouverture de nouveaux marchés se profiler. Les fleurs et les feuilles de chanvre ne pourront pas être vendues aux consommateurs dans leur forme brute (type « fleurs à fumer » ou tisanes), cette interdiction se justifiant pour des raisons de santé et d’ordre public. L’arrêté prévoit aussi « un élargissement des variétés autorisées de chanvre en France à celles inscrites au catalogue européen (catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles) ».

Ce texte a été salué par la profession. Reste cependant quelques zones d’ombre sur son application concrète ainsi que sur la définition de normes pour garantir la qualité du CBD. « L’adoption du nouvel arrêté est une étape indispensable pour l’émergence d’une filière française d’excellence des extraits de chanvre. Il s’agit maintenant de donner à nos entreprises la possibilité d’investir pleinement ces marchés en clarifiant les réglementations applicables aux différents produits finis et en les alignant sur celles de nos homologues européens et anglais », précise Ludovic Rachou, président de l’Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre.

6. Qui commercialise des produits à base de CBD ? 

Les grandes surfaces à dominante alimentaires (GMS) ont longtemps été frileuses dans le référencement de produits contenant du CBD. Monoprix a cependant vite saisi la ­mesure du phénomène en installant un corner La Santé au quotidien dans quelques magasins tests dès avril 2021 puis dans 250 points de vente quelques mois plus tard. On y trouve quatre signatures au CBD : Kaya, Peace and Skin, Harmony et What the Hemp (« hemp » signifie « chanvre » en anglais). La Grande Épicerie de Paris propose plusieurs boissons au CBD comme Naka et Trip. Casino a également référencé des produits au CBD. Selon nos informations, plusieurs nouveautés sont en attente d’une validation des services juridiques pour entrer chez Carrefour. Et E. Leclerc fait plancher son service qualité, notamment pour accueillir des cosmétiques, huiles et tisanes dans ses parapharmacies.

Lors du dernier salon de la franchise, sept enseignes proposant du CBD ont tenu un stand. Elles ont, en quelque sorte, pris le relais des franchises de cigarettes électroniques, si tendance voilà cinq ans. Citons Purple Store, qui se décrit comme le spécialiste du chanvre et du bien-être. Dirigée depuis 2020 par Brice Masseix, elle compte une cinquantaine d’adresses. CBD Shop France, ­enseigne créée début 2018 à Antibes (06) par Franckie Rugolo, dispose de 94 magasins. « La rentabilité est très vite arrivée », apprécie Marie, franchisée CBD Shop France dans la région Rhône-Alpes.

Des produits divers et variés

  • Sels de bains, produits cosmétiques, tisanes multiplantes, boissons et huiles font partie des principaux PGC au CBD. Des produits souvent onéreux car le CBD est une molécule rare et recherchée, donc chère.
Sels de bain
La marque Équilibre, fondée en 2020 par Léa Ruellan, se décline notamment en deux sels de bain, l’un à la rose, l’autre à l’eucalyptus. Ce sont des grains de sel de l’Himalaya infusés au CBD puis combinés aux plantes précitées et à des huiles hydratantes. PVC: 30 € le sachet de 220 g.
Huile
Deux gouttes sous la langue une heure avant le coucher faciliteraient l’endormissement. C’est l’une des promesses qui circulent sur les huiles au CBD. Elles font partie des références phares des marques promouvant cet ingrédient. Ici, l’huile Divie à la menthe. Elle existe en trois concentrations : 5% (PVC: 35 €), 10% (69 €) et 20% (95 €).
Boisson
Chilled, l’une des premières boissons françaises à base de CBD, se décline dans un parfum abricot. Cette marque respectera les dispositions du statut Novel Food propre au CBD dès que celui-ci sera connu
Tisane
Les fleurs de chanvre sous forme de tisanes sont également des produits d’appel pour les marques. La tisane bio Gong signée Yogah contient 40% de chanvre associés à des plantes apaisantes (mélisse, tilleul aubier, marjolaine, verveine, tilleul fleur, camomille, fenouil et lavande). PVC: 14,9 € le sachet de 34 g.

 

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