mercredi 10 novembre 2021

Contre la charge mentale, vive la paresse maternelle

par Corinne Maier, Psychanalyste et essayiste. publié le 6 novembre 2021 

Toutes les femmes ne sont pas égales face à l’injonction de la société à «être une bonne mère». Alléger ce travail maternel rendra service à l’enfant autant qu’aux mères fatiguées, estime la psychanalyste Corinne Maier. 

par Corinne Maier, Psychanalyste et essayiste

#MeToo, ce sont des femmes qui prennent la parole pour dénoncer les violences, pressions, abus de pouvoir qu’elles subissent ou ont subi. Il était temps. Mais il faut aussi s’attaquer à l’une des racines de l’aliénation féminine : la maternité. C’est au moment où elles deviennent mères que les inégalités femmes-hommes au travail se creusent. C’est à ce moment-là, au fil des congés parentaux, des mercredis posés pour s’occuper des enfants, des rendez-vous ratés pour cause d’enfant malade, des soirées scotchées à la maison, que leur existence se rétrécit. Comme si c’était leur destin que d’avoir moins de choix que les hommes, moins de temps, moins d’argent, moins de liberté, moins de possibilités d’aller vers les autres. Pourtant, la société nous vend l’enfant qui rend heureux.

«Mon enfant est ma plus belle réussite», blablabla

En réalité les mères sont fatiguées. Baby blues, burn-out maternel, regret de certaines d’être mère : les femmes prennent en charge encore et toujours les deux tiers du travail domestique, et une grande partie des tâches éducatives. Des tâches qui ne cessent de s’alourdir : le temps qu’elles passent à s’occuper des enfants a été multiplié par deux et demi depuis les années 70 (source : ESRC-Centre for Time Use Research). La société ne cesse de culpabiliser les mères, elles n’en font jamais assez pour être à la hauteur de l’idéal inatteignable de la bonne mère. Il convient de nourrir l’enfant au sein pendant deux ans si l’on en croit l’OMS, de le porter tout le temps pour éviter les déséquilibres affectifs, de lui parler sans arrêt pour l’éveiller, de lui faire faire une multitude d’activités pour le rendre intelligent. Un sacerdoce. L’enfant qui épanouit les femmes ? Allons donc. Il est épanouissant pour les femmes riches, celles qui roucoulent dans les magazines : «Mon enfant est ma plus belle réussite», «Le sourire de mon fils pèse plus lourd que ma carrière», blablabla. C’est facile quand on est entouré de personnes qui prennent en charge l’organisation du quotidien et les corvées. Car la «pénibilité» de l’enfant s’accroît fortement à mesure que le revenu des ménages baisse. Quand on a du personnel, ce n’est pas la même chose que de s’en occuper tous les soirs de la semaine pendant quatre heures. Une «merdeuf» ordinaire passe plus de 20 000 heures à s’occuper d’un enfant jusqu’à ses 20 ans. Oui, j’ai fait le calcul, je crois être la seule : puisque nous sommes supposées prendre plaisir au maternage, pourquoi compter ? Mais, en réalité, ces heures ne sont rien d’autre que du travail gratuit.

Tout ce maternage hyperimpliqué, hyperprotecteur, pour quel résultat ? Le risque qu’ils deviennent des enfants surgâtés, des jeunes mollassons prisonniers de leurs écrans, incapables de quitter le giron familial et de subvenir à leurs besoins, est réel. Les jeunes qui n’étudient pas, ne travaillent pas et ne se forment pas à un métier sont plus de 14 millions en Europe, soit 14 % des 15-29 ans. Un chiffre en hausse à la suite de la crise sanitaire, qui leur a rogné les ailes. Mais n’est-ce pas aussi l’éducation qu’on leur a donnée qui les écrase ? Il est possible que trop d’attention, trop de «je t’aime», trop de «bravo» destinés à leur insuffler confiance en eux les paralysent et les empêchent de devenir adultes, car dans la vie adulte, on n’a pas si souvent que ça l’occasion d’entendre «bravo» et «je t’aime».

Aussi, on comprend que les jeunes femmes se méfient de la maternité et elles sont de plus en plus nombreuses à se revendiquer childfree. Il faut dire que la crise climatique et l’inquiétude devant l’avenir y sont pour quelque chose. Mais celles qui ont des enfants hésitent encore à dénoncer les contraintes de la maternité. La vague féministe en cours ne s’est emparée du sujet que timidement, alors qu’il est brûlant. Reconnaissons que les tabous sont forts : décrier la maternité, la déconstruire, c’est se désigner soi-même comme mauvaise mère et s’exposer à la vindicte. Je l’ai constaté lorsque j’ai publié mon livre No Kid. Quarante raisons de ne pas avoir d’enfant. Critiquer la maternité quand on est mère, c’est un blasphème. Halte au baby washing : nous, les femmes, sommes prisonnières des représentations idéalisées de la maternité et des injonctions sans cesse plus lourdes à s’occuper toujours davantage de nos rejetons. Nous maternons beaucoup trop, et ça ne rend service ni à nous ni à nos enfants. Dés-impliquons-nous, cela allégera nos emplois du temps, libérera nos esprits et présentera le grand avantage d’obliger les hommes à en faire davantage à la maison. Il faut dénoncer la «charge maternelle» pour desserrer le joug, montrer du doigt les pièges des modes éducatives toujours plus contraignantes au nom du «bien» de l’enfant. Toutes ensemble, il nous faut prendre des distances vis-à-vis de «l’uber maternité» et pratiquer sans culpabilité la maternité décontractée. Inventer la paresse maternelle sera notre chemin de libération.

Derniers ouvrages parus : Dehors les enfants ! (Albin Michel, 2021), No Kid. Quarante raisons de ne pas avoir d’enfant (Poche, 2009).


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