mercredi 3 novembre 2021

C’est fou tout ce qu’on peut faire dans un lit

par Lucas Sarafian   publié le 2 novembre 2021 à 17h58

Dans un voyage historique et anthropologique autour du lit, les chercheurs Brian Fagan et Nadia Durrani expliquent les évolutions des pratiques culturelles de l’homme dans sa chambre à coucher.

Churchill y a combattu Hitler. Shakespeare y recevait du monde. Et même Bowie l’utilisait dans ses clips. Dormir n’est pas la seule fonctionnalité d’un lit : on mange, on rêve, on fait l’amour, on naît… Un tiers d’une existence humaine se passe dans sa chambre, rappellent Brian Fagan et Nadia Durrani dans leur livre Une histoire horizontale de l’humanité (Albin Michel). Petit panorama des pratiques de l’être humain autour du lit, avec ces deux spécialistes de l’archéologie

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Oui, il est possible de dormir avec des inconnus dans un lit

Douze personnes qui ne se connaissent pas et dorment pourtant dans le même lit. Situé dans une auberge, le grand lit de Ware, en Grande-Bretagne, possède des dimensions impressionnantes permettant à de nombreux voyageurs d’y passer la nuit. Il est tout à fait fréquent de dormir avec des inconnus au XVIe siècle. La raison ? Se tenir chaud et profiter d’un sentiment de sécurité. Une pratique venue de la période préhistorique où les hommes dormaient les uns sur les autres près du feu pour lutter contre les températures difficiles. Dans l’histoire, l’intimité n’a jamais été une priorité quand il est question de sommeil. Ainsi, chez les Romains, la notion de «vie privée» n’existe pas. C’est l’invention de l’imprimerie à la Renaissance qui révolutionne la lecture et favorise, par conséquent, le besoin d’avoir accès à un lieu solitaire et privé. Aujourd’hui, la chambre à coucher est un refuge pour l’intimité. L’un des seuls cas où le sommeil est partagé avec des inconnus reste les voyages en avion.

Non, on n’a pas toujours dormi allongé dans un lit

Au Moyen Age, la position horizontale est associée à la mort. Alors, il est plutôt commun de dormir à demi allongé, de biais et parfois presque assis en disposant de nombreux coussins. Il est aussi connu que le peintre Rembrandt dormait presque à la verticale dans sa maison d’Amsterdam. Mais certains hommes refusent de dormir avec des coussins car ils estiment que ces objets sont associés à la féminité. Alors, il est courant d’utiliser une bûche pour poser sa tête la nuit.

Oui, dormir dans un lit est signe d’élévation sociale

Dans l’Europe médiévale, il suffit d’un peu de foin, une fine couverture et un sol plat pour le peuple. Les plus riches utilisent des matériaux nobles et vont jusqu’à ajouter de longs rideaux autour de leur lit. Avant la question du confort, il s’agit d’abord d’impressionner et de montrer sa richesse. La possession de plusieurs lits est synonyme de fortune. Dans ce cas, le «plus beau des lits» est disposé dans la salle principale de la maison pour que les visiteurs puissent se rendre compte de la fortune de l’hôte.

Oui, les somnifères existent depuis toujours

Si le premier somnifère a été inventé en 1903 et que l’usage de médicaments pour lutter contre l’insomnie s’est aujourd’hui industrialisé, les hypnotiques n’ont rien de nouveau. L’empereur romain Valérien utilisait une plante aux vertus apaisantes pour s’endormir (devenue la «valériane»). En Egypte antique, il était conseillé de réaliser un mélange de camomille, de lavande et d’opium avant de se coucher. Plus tard, l’opium sera mêlé à de l’alcool dilué et parfois à du sucre. Cette boisson sera très consommée jusqu’au XIXe siècle. Moins cher qu’un verre de vin ou de gin, ce «vin d’opium» est connu pour engendrer des effets similaires à la morphine. Aujourd’hui, la consommation de somnifères est très répandue. La raison ? Il est nécessaire de se lever très tôt pour «être au travail à l’heure et se plier à une durée de travail imposée». Depuis la révolution industrielle, l’ère capitaliste impose un emploi du temps autoritaire auquel l’être humain doit désormais s’adapter.

Non, on ne fait pas que dormir dans un lit

Accoucher, faire l’amour, mais aussi rendre la justice. A Westminster, Henri III utilise une grande salle qui sert à la fois d’audience et de chambre à coucher. De l’autre côté de la Manche, ce sont les rois de France qui respectent à la règle cette tradition : le lit du roi doit «toujours se trouver là où il rend la justice». Mais il peut être aussi le lieu des décisions politiques les plus importantes puisque se réunit autour de son lit un conseil composé de courtisans et des plus hauts officiers. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Churchill gouverne et reçoit des hommes politiques, allongé dans son lit où de nombreuses piles de documents rencontrent parfois son plateau du petit-déjeuner. Peut-être Yoko Ono et John Lennon se sont-ils inspirés de cette hospitalité en mode horizontale quand ils ont organisé leur «bed-in» ? Pendant six jours à l’hôtel Hilton à Amsterdam, puis à l’hôtel Reine Elizabeth de Montréal pendant huit jours en 1969, le leader des Beatles et l’artiste japonaise restent couchés. Le couple reçoit de nombreux invités – comme l’activiste du mouvement des droits civiques Dick Gregory ou le défenseur de l’usage du LSD Timothy Leary – et transforme sa chambre en lieu de débats politiques. Leur but : promouvoir la paix dans le monde en pleine guerre du Vietnam.

Oui, le lit peut être une œuvre d’art

Draps tachés, tests de grossesse, bouteilles d’alcool et cendriers renversés. L’œuvre de la plasticienne Tracey Emin baptisée My Bed n’est pas passée inaperçue en 1998. A la suite d’une rupture amoureuse, l’artiste déprime plusieurs jours et refuse de se lever de son lit. Il deviendra une œuvre vendue à près de 2,8 millions d’euros en 2014. S’il a provoqué les foudres de la critique se demandant s’il s’agit bien d’art, ce lit raconte une histoire bien plus intéressante : il est un objet qui retrace la vie humaine dans ses traits les plus intimes.

Une histoire horizontale de l’humanité, Brian Fagan et Nadia Durrani, Albin Michel, 304 pp.


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