mardi 2 novembre 2021

Appel aux dons PMA pour toutes : gamètes over ?

par Marlène Thomas  publié le 1er novembre 2021 

Depuis l’extension de la PMA aux lesbiennes et aux femmes célibataires, le nombre de demandes a explosé. Face aux délais d’attente rallongés et aux craintes de pénuries, une campagne de mobilisation a été lancée pour encourager les dons de spermatozoïdes et d’ovocytes. 

«Dans tous les centres, on fait face à un tsunami.» Vice-présidente de la fédération des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), Nathalie Rives est formelle : après l’adoption de la loi ouvrant la PMA aux lesbiennes et aux célibataires, entrée en vigueur fin septembre, la vague de demandes ne faiblit pas et les centres ont absorbé en quelques semaines l’équivalent de trois à quatre fois leur activité annuelle. Egalement cheffe de service du laboratoire de biologie de la reproduction Cecos du CHU de Rouen, Nathalie Rives a recensé 130 demandes de dons de spermatozoïdes de la part de couples de femmes ou de célibataires, contre 30 à 40 en un an habituellement. Forcément, vu la demande, il manque des donneurs, de spermatozoïdes comme d’ovocytes.

D’où la mise en place d’une campagne nationale d’appels aux dons, lancée le 21 octobre par l’Agence de biomédecine. En 2019, 836 femmes ont donné des ovocytes et 317 hommes des spermatozoïdes, pour 1 396 enfants nés d’une procréation médicalement assistée.

La campagne entend répondre à un double enjeu : mobiliser de nouveaux donneurs mais aussi faire connaître les évolutions en matière de droit d’accès aux origines. Car les enfants issus d’une PMA réalisée après le 1er septembre 2022 pourront, à leur ­majorité, demander d’accéder à l’identité du donneur ou de la donneuse, ainsi qu’à certaines données non identifiantes. Un point longuement débattu et toujours pas consensuel. Pour respectivement 35 et 34 % des hommes âgés de 18 à 45 ans, le fait «que l’identité du donneur ou de la donneuse puisse être révélée à l’enfant à sa majorité» et «qu’une part de soi se retrouve dans la nature» constitue les principaux freins au don, selon un baromètre de l’Agence de biomédecine réalisé auprès d’un échantillon représentatif de 1000 personnes.

Une très longue attente

Ce manque de donneurs n’est pas sans conséquences sur les délais d’attente. Alors qu’en septembre, le gouvernement s’était fixé un objectif de six mois d’attente pour un don, le délai actuel est en moyenne de douze mois. Nathalie Rives estime qu’«il faudrait théoriquement multiplier par trois le nombre de donneurs». La directrice de l’Agence de biomédecine, Emmanuelle Cortot-Boucher, incrimine pour sa part «la capacité d’accueil des centres, les problématiques d’équipements et de ressources humaines» et se veut rassurante : «Le stock national de paillettes [tubes dans lesquels les spermatozoïdes sont conservés, ndlr] était de l’ordre de 100 000 fin 2020 et 6 900 ont été utilisés en 2019. Il permet de faire face quantitativement, et ce pendant plusieurs années, aux demandes de nouveaux publics mais aussi de personnes en attente au moment de l’adoption de la loi.» D’un point de vue arithmétique, ce nombre de spermatozoïdes est en effet suffisant à l’échelle nationale – si tant est qu’on puisse demander aux femmes qui ont attendu cette loi des années durant de patienter douze mois au lieu de six.

Ce chiffre national a cependant ses limites, puisque Emmanuelle Cortot-Boucher concède de grandes disparités selon les centres. En outre, le stock «n’est pas à l’image de la société française : pour certains couples ou femmes [noires ou asiatiques notamment], les délais peuvent encore être allongés», indique-t-elle. Une attente se comptant parfois en années. Quant aux stocks d’ovocytes, ils sont«en flux tendu et utilisés généralement très peu de temps après la ponction de la donneuse», avance l’Agence de biomédecine. Les difficiles conditions de recueil restent le principal frein au don pour 52 % des femmes interrogées.

«Un ressort de pure solidarité»

La loi entraînera-t-elle une baisse drastique des dons, ainsi que le prédisaient certains contempteurs de la PMA pour toutes ? Il est encore trop tôt pour le dire, estiment les expertes interrogées. «On n’a pas une chute des donneurs actuellement mais on pourra davantage observer ce qu’il se passe à partir de septembre 2022»,moment de l’entrée en vigueur du droit d’accès aux origines, présage Nathalie Rives. Emmanuelle Cortot-Boucher est optimiste : «Le baromètre montre que 55 % des personnes en âge de donner (18-45 ans) se disent prêtes à faire un don.» L’extension de la PMA aux femmes lesbiennes et célibataires est même une incitation supplémentaire à donner – ou du moins à y être plus favorable – pour un quart des Français.

Mais qui sont ces donneurs ? «Le point commun est la solidarité, l’envie de vouloir aider des couples ou femmes seules à concevoir des enfants», avance Nathalie Rives. En 2019, 55 % des hommes donneurs étaient sans enfant, indique l’Agence de biomédecine, et âgés d’environ 35 ans, complète la présidente de la fédération de Cecos.

Car depuis 2015, il n’est plus nécessaire d’être parent pour pouvoir donner ses gamètes. Dernière modification en date : la levée du consentement du conjoint ou de la conjointe. «De plus en plus de donneurs sont motivés par un ressort de pure solidarité, plus que par des difficultés rencontrées dans leur entourage pour concrétiser un projet parental», indique Emmanuelle Cortot-Boucher, en ajoutant «cela les prédispose plutôt de manière favorable par rapport au droit d’accès aux origines et à l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes célibataires et aux couples de femmes». Un changement «très net» constaté dès 2016 par Rachel Levy, cheffe du service de biologie de la reproduction Cecos de l’hôpital Tenon, à Paris. Insistant sur l’hétérogénéité des centres, elle dresse un portrait de donneurs se mobilisant davantage de façon spontanée, sans enfant, plus jeunes, souvent célibataires et très investis dans la procédure.

Dimension militante

Sur la période 2020-2021, à l’hôpital Tenon, si toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées chez les donneurs de spermatozoïdes, du côté des donneuses d’ovocytes se dégage plutôt une majorité de femmes de niveau bac +2 ou plus. Aux côtés des donneurs «universels» livrant sang, moelle et gamètes, Rachel Levy remarque un profil de personnes informées, plus jeunes, qui pour l’heure ne souhaitent pas avoir d’enfants. Cette année, 64 candidates aux dons d’ovocytes se sont présentées à Tenon, avec une moyenne d’âge de 32,1 ans. «60 % sont nullipares et elles sont plus nombreuses qu’en 2017 à faire un don sans solliciter d’autoconservation», remarque Rachel Levy. Un profil profondément altruiste, alors que les 40 % ayant des enfants sont guidées par l’envie de «faire partager le même bonheur à d’autres». Une dimension de «sororité, militante» transparaît aussi comme un moteur des donneuses de Tenon. Le règne du «ni vu ni connu» en matière de dons de gamètes semble en passe d’être révolu. Emmanuelle Cortot-Boucher abonde : «On conçoit de moins en moins le don comme un acte de conception ayant vocation à rester secret. Cette démarche est de plus en plus assumée par les donneurs.»


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