jeudi 28 octobre 2021

Violences sexuelles : « Ne pas forcer les témoignages », respecter la parole des victimes, et leur silence

Par   Publié le 28 octobre 2021

Les femmes qui dénoncent des agresseurs célèbres courent le risque que leur histoire soit médiatisée, leur nom jeté en pâture et leur vie dévastée. Un obstacle à des divulgations qu’aucun journaliste ne peut enjamber sans faillir à sa déontologie.

Analyse. Dans moins d’un mois s’affichera de nouveau dans les rues et sur les réseaux sociaux la couleur violette avec le mot dièse #NousToutes comme étendard de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Il n’est cependant pas nécessaire d’attendre le 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, pour constater à quel point celle-ci continue de s’exercer. Pas besoin de faire l’expérience d’un dépôt de plainte pour viol dans un commissariat pour le vérifier. Cependant, tout comme mésestimer ce que les femmes disent quand elles parlent est insupportable, refuser de comprendre pourquoi il leur arrive de retenir leurs mots revient à leur imposer une injonction supplémentaire.

Le retour de « l’affaire Hulot »

Cette évidence, c’est Jean-Michel Aphatie qui nous incite à la rappeler. Au gré des plateaux de télévision et des studios de radio qu’il fréquente à l’occasion de la promotion de son dernier ouvrage, Les Amateurs (Flammarion, 280 pages, 19 euros), l’éditorialiste s’émeut de l’indifférence politique et médiatique qui a accueilli le témoignage des femmes qui auraient eu à pâtir du comportement de Nicolas Hulot. Il y a trois ans et demi en effet, le 9 février 2018, l’éphémère magazine Ebdo avait révélé que le ministre de la transition écologique et solidaire avait fait l’objet d’une plainte pour viol en juillet 2008. Classée pour prescription, elle avait été déposée par une femme qui ne demandait qu’à conserver l’anonymat.

« On ne peut pas dire, dans le sillage de #metoo, qu’il faut être attentif à la parole des femmes qui souffrent de la violence que, parfois, des hommes commettent (…), et quand un cas se présente, fermer les yeux », écrit le journaliste dans son livre. On ne saurait lui donner tort. Sauf qu’en disant cela, il laisse entendre que les médias sont restés indifférents aux affirmations accablant le populaire ministre, et ont préféré éviter d’enquêter sur lui. Ce qui n’est pas le cas général.

Il ne suffit pas de tendre un micro à celles qui ont enduré des comportements inappropriés pour que leur parole se libère

Bien avant Ebdo, des rédactions ont mené des investigations, sans qu’aucun article ne paraisse. Pourquoi ? « Dans ce genre d’affaire, on sait qu’on peut travailler pendant des mois et ne rien publier tant qu’on estime ne pas avoir suffisamment d’éléments », confient Emeline Cazi et Sylvia Zappi, qui ont enquêté sur le sujet pour Le Monde. « Nous ne répondons que de ce que nous publions », oppose à son tour Lénaïg Bredoux, journaliste et responsable éditoriale des questions de genre à Mediapart. Toute autre ligne de conduite reviendrait à laisser libre cours aux rumeurs, au mépris des faits. « On n’a pas à forcer les témoignages », martèle de son côté la journaliste de France Télévisions Elise Lucet, qui enquête depuis quatre ans sur le sujet. « Nous le faisons dans le respect de la parole des femmes, de la présomption d’innocence, et du nécessaire travail de vérification des faits », rappelle-t-elle. Autant d’étapes très chronophages mais indispensables sous peine, comme ce fut le cas dans cette affaire, de provoquer un fiasco.

Car il ne suffit pas de tendre un micro à celles qui ont enduré des comportements inappropriés pour que leur parole se libère. Prendre conscience des actes que l’on a subis, dépasser la culpabilité qui foudroie, nommer le traumatisme, accepter d’en parler (à des proches, à un psychologue, un médecin, un policier, etc.), se reconnaître comme victime ou assumer d’être regardée comme telle, rendre public ce que l’on aurait préféré taire, affronter les aléas d’un dépôt de plainte, etc. réclame un temps indéfini, et propre à chacune.

Risquer de voir sa vie dévastée

Et, dans le cas où l’agresseur désigné bénéficie d’une certaine notoriété, ces femmes courent le risque de voir leur histoiremédiatisée, leur nom jeté en pâture et leur vie dévastée par une publicité ni confortable ni désirée. Un obstacle à des divulgations qu’aucun journaliste ne peut enjamber sans faillir à sa déontologie. Respecter le mutisme des femmes, temporaire ou définitif, c’est les respecter, elles, dans l’intimité de leur conscience.

En 2018, l’affaire Hulot a fait pschitt. Mais tel un abcès mal crevé, et alors que le contexte post #MeToo donne à la lutte féministe une nouvelle ardeur, elle a fini par ressurgir. Début octobre à Tours, le mook féministe La Déferlante et l’ONG d’investigation Disclose ont annulé leur venue aux Assises du journalisme, qui se tenaient du 29 septembre au 1er octobre, afin de protester contre la présence de l’ancien présentateur de l’émission de télévision « Ushuaïa » (diffusée sur TF1 de 1987 à 1996) à un débat sur l’urgence climatique. L’inviter comme si de rien n’était, défendaient-elles en substance, revient à mépriser les femmes qui ont eu le courage de sortir du silence, et encourager celles qui n’ont pas su le briser à continuer de l’observer. Inversant en quelque sorte la logique de la « silenciation » (le mécanisme qui vise à effacer la parole que l’on ne souhaite pas entendre), des militantes ont empêché la tenue de la rencontre, contraignant l’ancien ministre à s’éclipser.

Une remise en question collective

La prochaine édition de ces assises, au printemps 2022, sera l’occasion d’une remise en question collective sur l’évolution, prétendue ou objective, des mentalités sur le sujet, a promis Jérôme Bouvier, le directeur de Journalisme & Citoyenneté, l’association organisatrice des Assises. A titre indicatif, on notera simplement que le traitement des accusations de viol et de violences sexuelles portées en février par plusieurs femmes contre Patrick Poivre d’Arvor n’a pas toujours été bienveillant pour les plaignantes. Quelques semaines plus tard, l’écho donné aux articles de Mediapart faisant état, en avril, de violences sexistes et sexuelles dont se serait rendu coupable Eric Zemmour, est resté faible.


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