mercredi 13 octobre 2021

Véronique Margron, le visage compatissant de l’Eglise catholique

Par    Publié le 13 octobre 2021

Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, à Paris, le 9 septembre 2021.

Depuis la publication du rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique (Ciase), mardi 5 octobre, on s’arrache Véronique Margron.

Entretiens à la presse, invitation sur France Inter, vendredi, à « C Politique » sur France 5, dimanche : les médias ont vite reconnu en la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) le visage compatissant de l’institution catholique pour réagir à cette estimation impensable jusqu’alors : 216 000 personnes majeures aujourd’hui auraient subi des violences sexuelles par un prêtre ou un religieux depuis 1950. Ils seraient 330 000 si l’on y ajoute les laïcs en mission pour l’Eglise.

Quand le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Eric de Moulins-Beaufort, s’empêtre dans une expression malheureuse concernant le secret de la confession – « il est plus fort que les lois de la République », a-t-il déclaré sur Franceinfo le mercredi 6 octobre –, son alter ego de la Corref parle d’abord et presque exclusivement des victimes. Depuis une semaine, elle évoque « un peuple de vies brisées, fracassées, à l’intérieur de l’Eglise » avec « à chaque fois une histoire personnelle, un visage ».

Elle ne tergiverse pas sur le constat. Elle affirme que les institutions catholiques « ont failli » à protéger les victimes et à signaler les faits. Elle reconnaît « le caractère systémique, presque endémique » des violences sexuelles et du silence qui les a entourées. « Je ne sais pas comment intérieurement, il est possible de s’en remettre », constate-t-elle, désolée.

Révélation en 2016

Si la parole de Véronique Margron sonne aujourd’hui si juste, c’est que cette provinciale (supérieure) des Sœurs de charité dominicaines de la Présentation n’a pas attendu le constat implacable de la commission présidée par Jean-Marc Sauvé – créée à la demande conjointe de la CEF et de la Corref – pour prendre la mesure des ravages causés par les violences sexuelles. La révélation date du début de son mandat à la présidence de la Corref, où elle a été élue en 2016. « Durant ces cinq ans, calcule-t-elle, plus de 70 % de mon temps aura été consacré à la question des agressions sexuelles. Certaines semaines, c’est plutôt 80 %. » Bien davantage que ce qu’elle pouvait imaginer au départ.

Des religieuses ou d’anciennes religieuses lui racontent avoir été abusées en situation d’emprise par un prêtre ou un religieux. Des supérieurs de congrégations qui « prennent de plein fouet » la découverte de dizaines de leurs « frères » auteurs de violences sexuelles, poussent sa porte et demandent à pouvoir en discuter.

Cette docteure en théologie morale, qui fut la première femme doyenne d’une faculté de théologie, celle d’Angers, décide vite de prendre le problème à bras-le-corps. Elle se demande comment faire en sorte que les victimes sachent à qui s’adresser. « Je commençais à voir des parcours du combattant, des personnes qui avaient frappé à je ne sais combien de portes et qui n’avaient pas été reçues par des évêques ou des supérieurs majeurs », se rappelle-t-elle. Comment penser tout cela ?

Pour y voir plus clair, en 2018, la direction de la Corref convie pendant une journée, à huis clos, des experts (juristes, magistrats, psychologues, anthropologues, militaires…) qui, tous, ont fait face à des situations de crises à travers leurs institutions. Une évidence s’impose alors : pour les surmonter, tous ont créé des instances indépendantes. « Nous nous sommes dit : c’est la seule chose à faire », conclut Véronique Margron. L’idée de la Ciase était née. Il fallait encore y faire adhérer la CEF. Ce fut chose faite, et annoncée, en novembre 2018.

Capacité d’écoute et d’empathie

Cette longue fréquentation des victimes de l’Eglise ne peut aller sans un coût personnel. « Si vous n’êtes pas touché dans votre humanité, vous ne comprenez rien, vous ne faites pas bien, vous restez dans l’idéologie ou dans le juridisme, tranche Véronique Margron. Et c’est ça, le drame, car tout le monde ne l’est pas. »

Elle met sa capacité d’écoute et d’empathie sur le compte d’un « psychisme qui tient le coup », d’une « formation qui résiste » et d’une pratique ancienne.

Cette native (en 1957) de Dakar, au Sénégal, revenue enfant en France, a d’abord fait des études de psychologie, qui l’ont conduite à brièvement enseigner avant de travailler pendant six ans à la protection judiciaire de la jeunesse, notamment avec de jeunes délinquants aux vies, déjà, « fracassées ». Plus récemment, elle a gardé un souvenir brûlant d’un séjour au Kivu, en République démocratique du Congo, auprès de femmes victimes d’actes de barbarie. Des tragédies de ces femmes, elle a tiré une conviction : « Si elles sont encore vivantes, comment pourrions-nous nous effondrer, nous qui ne faisons qu’écouter ? »

Pendant que la Ciase travaillait, la présidente de la Corref n’a pas levé le pied. Elle s’est efforcée « d’embarquer tout le monde » si divers de son institution, avec ses quelque 450 congrégations masculines et féminines, missionnaires, apostoliques, enseignantes, monastiques, contemplatives… Patiemment, pendant deux ans, elle les a conduites à bâtir une démarche de « justice réparatrice » pour préparer le cadre dans lequel pourront ensuite intervenir des décisions concrètes visant à « réparer l’irréparable ». Sans, pour autant, prendre des décisions avant que la Ciase rende son rapport.

« Quelle femme !, dit d’elle Jean-Marc Sauvé. Elle est impressionnante par sa capacité d’écoute, sa disponibilité, son empathie. Et elle a réussi le miracle de continuer à avancer, au sein de la Corref, tout en attendant le rapport. »

« Si notre génération ne prenait pas cette tragédie à bras-le-corps, ce serait pire que tout », estime Véronique Margron

Voici venue l’heure des décisions. En novembre, la CEF d’abord, puis la Corref ensuite, tiendront à Lourdes (Hautes-Pyrénées) leur assemblée plénière. Un mois après la publication du rapport de la Ciase, il leur reviendra de se prononcer sur ses recommandations.

Que changer dans l’Eglise pour démanteler les causes « systémiques » des violences sexuelles ? « C’est une bonne partie de notre théologie qu’il faut reprendre », écrivait Véronique Margron dans un livre publié en 2019, Un moment de vérité (Albin Michel).

« Si notre génération ne prenait pas cette tragédie à bras-le-corps, ce serait pire que tout, insiste aujourd’hui la religieuse. On ne va pas se contenter de dire qu’avant nous, c’est un beau scandale, ils auraient dû faire face et ils ne l’ont pas fait. Aujourd’hui, c’est nous qui sommes là. Alors, on fait quoi ? »


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