mercredi 6 octobre 2021

Rajeunir toujours plus, le sacerdoce des femmes


Antony Chanthanakone publié le 

Le 2 septembre dernier, l’ancienne assistante dentaire devenue starlette de téléralité Maeva Ghennam a provoqué une polémique en partageant sa chirurgie esthétique vaginale à ses quelques trois millions d’abonnés sur Instagram (et presque autant sur TikTok). Un « faux-pas » qui, au-delà de la décision personnelle questionnable de la jeune femme, remet le doigt sur un éternel problème : l’implacable diktat du jeunisme face au vieillissement des femmes, dont les femmes sont souvent elles-mêmes à la fois victimes et complices.


« Je trouve que c’est super important d’avoir un beau vagin. J’ai vraiment de la chance, je n’ai pas les lèvres qui dépassent […] C’est trop bien. Là, c’est comme si j’avais 12 ans. » Dans une vidéo filmée en mode selfieMaeva Ghennam, 24 ans, starlette de la téléréalité révélée dans l’émission Les Marseillais vs. le reste du monde, s’est félicitée de sa nouvelle transformation physique, obtenue par « radiofréquence et mésothérapie sans injection ». Un rajeunissement vaginal – car il s’agit bien de cela – qui a créé une polémique sur les réseaux sociaux, ses détracteurs lui reprochant d’entretenir les complexes des femmes au sujet de l’aspect de leur sexe, tout en employant un vocabulaire déplacé à propos des filles prépubères. 

Le tollé suscité par ces propos renvoie sans doute à un problème de société plus large. La nymphoplastie ou labioplastie est un phénomène socialqui ne cesse de gagner du terrain chez certaines femmes, et pas seulement les plus âgées. Un nouveau « canon de beauté » s’est de toute évidence installé dans l’inconscient de nombreuses (principalement jeunes) personnes, selon lequel un « beau » sexe est une vulve avec une simple fente sans petites ni grandes lèvres qui dépassent (à ce titre, précisons que Ghennam parlait en fait de sa vulve et non de son vagin).

Rester jeune, un impératif de survie sociale ?

Soixante-dix ans avant ce (micro)-événement médiatique, Simone de Beauvoir nous mettait déjà en garde contre la juvénilisation imposée aux femmes dans les normes sociales. C’est essentiellement dans ses études sur la vieillesse que se lit cette critique des archétypes féminins. Vieillir est un drame pour la femme, dont Beauvoir nous partage l’expérience sans détour et de façon très personnelle, pensant à partir de son propre corps : « Déjà à quarante ans, je suis restée incrédule quand, plantée devant mon miroir, je me suis dit : “J’ai quarante ans” », écrit-elle dans La Vieillesse (1970).

L’injustice réside dans le fait que la société pense différemment le vieillissement des hommes et des femmes – bien qu’aujourd’hui, le jeunisme gagne aussi les hommes à une allure affolante… Dans les représentations sociales classiques en tout cas, l’homme ne subit jamais la vieillesse de la même manière qu’elle le décrit. Beauvoir rappelle que l’expression « beau vieillard » existe alors que « belle vieillarde » n’existe pas. Ainsi, « la vieillesse n’a pas le même sens ni les mêmes conséquences pour les hommes et pour les femmes », écrit-elle dans Le Deuxième Sexe (1949). Cette idée a été par ailleurs remarquablement reprise par l’essayiste et militante Susan Sontag en 1970, dans son article « The double standard of aging », où elle note que l’idéal masculin est décliné en deux modèles continus (le jeune éphèbe et l’homme mûr) [héritiers du canon grec classique] tandis que l’idéal féminin est très souvent la lolita.

Simone de Beauvoir en relève les conséquences ravageuses : « Tandis que[l’homme] vieillit continûment, la femme est brusquement dépouillée de sa féminité », autrement dit, elle n’existe plus socialement. Vieillir, entendu comme état de la femme ne répondant plus aux standards de la jeune fille, est un synonyme de mort. Rester jeune est donc un impératif de survie sociale pour la femme, sommée d’user de subterfuges pour défier le passage du temps et le poids social de la vieillesse : « Elle lutte. Mais teinture, peeling, opérations esthétiques ne feront jamais que prolonger sa jeunesse agonisante » (Le Deuxième Sexe). La chirurgie de Maeva Ghennam est explicitement formulée par la première intéressée comme telle : prolonger la jeunesse, envers et contre tout.

La chirurgie esthétique comme arme de séduction massive

Le plus étonnant (et, pour beaucoup, choquant) est la joie partagée par une jeune femme de 24 ans d’avoir un vagin d’une fille « de 12 ans »Son cas montre que l’idéal masculin de la prépubère semble bien ancré dans tous les âges de la vie pour beaucoup de femmes. Un fait là encore signalé par Beauvoir dans Le Deuxième Sexe. Très tôt, avant même que d’être maîtresse de son propre désir, la jeune fille est incitée à se mettre au service de celui des hommes : « Pour la jeune fille, la transcendance érotique consiste, afin de prendre, à se faire proie. Elle devient un objet ; et c’est avec surprise qu’elle découvre ce nouvel aspect de son être : il lui semble qu’elle se dédouble ; au lieu de coïncider exactement avec soi, voilà qu’elle se met à exister dehors. » Elle ne vit plus pour elle (le pour-soi) mais pour autrui (l’en-soi). Devenue objet, sa raison d’être est dès lors passive (et, en l’occurrence, sensible à toutes les remarques masculines).

Or, ce désir est très marqué par l’idéal traditionnellement masculin de l’éternelle jeunesse féminine. Beauvoir, elle, voit la jeune fille comme un signe social de pureté et de virginité, permettant à l’homme d’accomplir ses désirs les plus transgressifs et inavoués, dans un esprit de domination : « Lapureté de la jeune fille permet l’espoir de toutes les licences et on ne sait quelles perversités se dissimulent dans son innocence ; encore proche de l’animal et de la plante, déjà docile aux rites sociaux, elle n’est ni enfant ni adulte. » Cette force va jusqu’au sentiment masculin de pouvoir défier la mort dans une relation sexuelle avec une jeune fille : « La femme se présente aussi comme le ‘truchement entre l’humanité et Dieu’, porte du diable aussi bien que porte du Ciel. » Cet idéal à atteindre n’est pas réservé qu’aux femmes considérées comme trop vieilles. Ce logiciel de séduction est même intégré très tôt, dès l’âge adulte : « C’est encore jeune que [la femme] perd l’attrait érotique […] d’où elle tirait, aux yeux de la société et à ses propres yeux, la justification de son existence et de ses chances de bonheur », continue Beauvoir dans Le Deuxième Sexe.

Les femmes, complices du “patriarcat” ?

Pour les féministes, l’un des drames de cette injonction à ne pas vieillir est qu’elle est a priori intégrée non seulement par les hommes, mais aussi par un grand nombre de femmes. Ainsi, si des associations de défense des droits des femmes ont regretté la promotion de cette mutilation volontaire, elles l’ont fait avec une certaine bienveillance. L’association Osez le féminisme a par exemple jugé que « quand une femme confond vagin et vulve, et traite son corps comme un objet de performance esthétique à améliorer selon des normes objectifiantes et pédocriminelles, c’est au système patriarcal qui lui a inculqué ces notions [qu’il faut s’attaquer]. » Un discours un peu facile, dans l’air du temps et pour le moins très réducteur.

Cette injonction sexiste est-elle pourtant une fatalité ? En philosophe existentialiste, Simone de Beauvoir rappelle, dans ses combats comme dans ses écrits, que les représentations peuvent toujours changer car « l’image qui nous a été fournie par les autres et qui nous effrayait, rien ne nous impose intérieurement de nous reconnaître en elle ». Entre autres leviers possibles, le rôle de l’éducation des garçons comme des filles se révèle essentiel pour espérer voir les choses évoluer. Il semble à ce titre indispensable que des personnes aussi suivies sur les réseaux sociaux par les jeunes que Maeva Ghennam prennent conscience de l’influence « culturelle » qu’elles ont sur une certaine partie de la population. Seront-elles seulement prêtes à sacrifier quelques partenariats publicitaires, comme c’était le cas avec cette opération de com’ de Maeva Ghennam, pour assurer une attitude et des valeurs responsables vis-à-vis de leurs fans ?


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