lundi 4 octobre 2021

Pour une approche politique de la santé mentale

par Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie au CHU Henri-Mondor à Créteil et secrétaire national adjoint du Parti socialiste  publié le 4 octobre 2021 

Si les mesures annoncées à l’occasion des assises de la psychiatrie sont une avancée indéniable, avec notamment la mise en place d’un numéro téléphonique national de prévention du suicide, elles seront loin de résoudre la crise catastrophique que connaît ce secteur.

La distinction entre «psychiatrie» et «santé mentale» peut avoir l’apparence d’un débat sémantique entre spécialistes. Il s’agit pourtant aussi d’une question de fond essentielle, celle de la vision politique de la place des troubles psychiques dans la population et dans la société. Mon point de vue est qu’on ne peut pas traiter séparément psychiatrie et santé mentale.

Certes, il existe des maladies psychiques sévères et persistantes, comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires, favorisées par des facteurs biologiques divers et nécessitant des soins spécialisés. Des moyens massifs doivent être investis pour mieux soigner ces affections fréquentes (plus de deux millions de personnes en France), bien au-delà de ceux annoncés récemment par le président de la République. Mais ces pathologies ne sont pas en discontinuité nette avec les souffrances psychiques de l’ensemble de la population. Il existe, en effet, de nombreux points de rapprochement et des comorbidités, et tous les troubles de santé mentale ont des déterminants sociaux et environnementaux communs et puissants : la pauvreté, la solitude, le chômage, les migrations, la vie urbaine et ses polluants divers, le stress professionnel, la précarité alimentaire et écologique, etc. Lutter contre les souffrances sociales ne peut être que bénéfique pour prévenir la détresse psychique «commune» mais aussi les maladies psychiatriques, et, en tout cas, leur gravité et leur retentissement. Les outils de prévention que sont l’information, l’éducation à la santé et à la psychologie, la connaissance sur les drogues, ou encore l’implication des médecins généralistes dans le repérage précoce des souffrances peuvent réduire les risques de décompensation grave de tous les types de troubles.

Cette vision unitaire de la santé mentale a non seulement un intérêt pragmatique direct pour orienter les politiques préventives et sanitaires, mais elle est aussi susceptible de modifier le regard social sur les personnes souffrant de troubles psychiatriques dans le sens d’une meilleure inclusion sans stigmatisation, et il reste beaucoup à faire à ce sujet.

Une loi globale de santé mentale, dans le cadre d’une grande cause présidentielle définissant des objectifs de résultat, est plus que jamais nécessaire pour asseoir cette vision et promouvoir une psychiatrie citoyenne et humaniste garantissant l’accès aux soins mais aussi tous les droits des personnes concernées. Cette loi devrait poser le principe d’une politique territoriale basée sur une évaluation chiffrée des besoins de la population, en concertation avec tous les acteurs et, en particulier, les élus locaux et les représentants des usagers.

Même si l’apport des mesures annoncées lors des Assises de la psychiatrie et de la santé mentale est indéniable, avec notamment la mise en place d’un numéro téléphonique national de prévention du suicide, elles seront loin de résoudre la crise catastrophique que connaît ce secteur. La question des effectifs soignants dans le système public est cruciale, car il s’agit de la principale ressource thérapeutique et d’accompagnement. L’estimation des besoins se situe autour de 10 000 postes, pour les centres de consultation et les services d’hospitalisation, alors qu’environ 1 000 créations au total ont été seulement annoncées.

Par ailleurs, de nombreuses réformes sont nécessaires pour augmenter l’attractivité de ces postes et fidéliser les personnels, comme la limitation des charges administratives pesant sur les soignants au détriment de la présence auprès des patients, et un renforcement des formations. En plus de ces postes visant à la qualité de l’accueil et des soins en psychiatrie, il faut ouvrir des lieux de vie adaptés au handicap psychique, pour éviter que de nombreux patients restent hospitalisés sur de très longues périodes par défaut de places dans les structures médico-sociales. Rien de cela ne figure dans les mesures annoncées. Enfin, la mise en œuvre du remboursement des consultations de psychologues par l’assurance maladie est une très bonne chose, mais les tarifs prévus et leur plafonnement, sans possibilité de dépassement, sera un obstacle majeur à l’accès à des thérapies adaptées (plus complexes et plus longues) pour les patients souffrant de troubles sévères.

Finalement, la prise en compte des enjeux transversaux de la santé mentale doit se concrétiser par la création d’une délégation interministérielle, et non pas seulement ministérielle comme c’est le cas actuellement, afin d’associer l’ensemble des institutions aux politiques publiques dans ce domaine. Il englobe, en effet, en plus de la santé, des secteurs très variés comme l’éducation nationale, la jeunesse, la justice, le travail, ou le sport. Cette délégation, placée auprès du Premier ministre, permettrait d’affirmer le caractère prioritaire de la santé mentale dans les objectifs politiques, afin de préserver le bien-être de chacun mais aussi le «bien vivre ensemble» au sein de notre République.


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