vendredi 15 octobre 2021

Pédocriminalité dans l’Eglise : le secret professionnel, la confession et la loi

par Christian Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier de Paris, ancien président du Conseil national des barreaux  publié le 14 octobre 2021

La jurisprudence a mis sur le même plan le médecin, l’avocat ou le ministre du culte qui sont amenés à recevoir des confidences en raison de leur fonction. Il est question d’un changement de loi pour créer une obligation de dénonciation pour les prêtres. Mise au point de l’avocat Christian Charrière-Bournazel. 

Le rapport Sauvé sur les crimes et les délits sexuels commis par le clergé ou les assistants de l’église catholique a provoqué une légitime stupéfaction et entraîné l’ouverture d’un débat autour du secret. Rappelons, en cette matière, l’état du droit et de la jurisprudence.

L’article 226-13 du Code pénal dispose : «La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.»

La jurisprudence a mis sur le même plan le médecin, l’avocat ou le ministre du culte qui sont amenés à recevoir des confidences en raison de leur fonction. Deux autres articles du même code pénal, qui se complètent l’un et l’autre, répriment la non-dénonciation des délits et des crimes dans des conditions précises.

L’article 434-1 dispose : «Le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.»

L’article 434-3 énonce : «Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.»

Zone non définie

Mais, l’un et l’autre de ces articles précisent qu’ils ne s’appliquent pas aux personnes tenues au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 qui vient d’être cité. La jurisprudence opère une distinction entre les circonstances dans lesquelles le crime ou le délit commis ou susceptible d’être commis ou renouvelé, ont été révélés. S’il s’agit d’une confidence faite en raison de la fonction exercée par le destinataire du secret confié, l’obligation de dénonciation ne s’impose pas. En revanche, ne commet pas de délit de violation du secret, nous dit la Cour de cassation, un évêque dès lors que les informations qu’il a reçues, relatives aux actes pédophiles d’un prêtre de son diocèse, résultent non pas d’une confidence de ce dernier mais d’une recherche effectuée par l’évêque lui-même. Ainsi, en l’état actuel de notre droit, les médecins, les avocats, et les ministres des cultes qui recueillent des confidences dans l’exercice de leurs missions ne sont tenus à aucune obligation de révélations.

Pour autant, pas plus qu’aucun droit, le droit au secret n’est absolu.

Les médecins sont tenus de signaler aux autorités les suspicions qu’ils peuvent avoir concernant, par exemple, les enfants secoués. Les avocats ont l’obligation, dans l’exercice d’une activité juridique et non judiciaire, de déclarer à leur bâtonnier le soupçon qu’ils peuvent concevoir sur une opération de blanchiment dont pourrait se rendre coupable leur client. Depuis, une nouvelle directive européenne contre laquelle les institutions représentatives de la profession ne se sont pas élevées, l’avocat fiscaliste est tenu de faire connaître à l’administration fiscale le schéma juridique légal en vertu duquel il a permis à son client une optimisation fiscale.

A côté de ces violations que la loi impose du secret professionnel, il existe une zone non définie qui exonère le professionnel de toute poursuite pour violation de son secret quand il estime devoir révéler ce qu’il a appris sous la foi du secret et qui entre dans le champ des articles cités plus haut, institués pour la protection contre des crimes et des délits commis contre des enfants ou des personnes en état de faiblesse. Cette dénonciation est totalement légitime lorsque l’information n’a pas été reçue sous le sceau du secret. Elle pose davantage de difficultés lorsque, en l’absence de toute obligation légale, la révélation de ces faits est laissée à l’arbitraire du professionnel qui l’a reçue sous le sceau du secret.

Devoir légal

Que devient alors la sécurité de la personne qui, navrée d’avoir accompli les actes qu’elle vient révéler à son confident nécessaire, se verra aussitôt dénoncée au prétexte d’une éventuelle possibilité de récidive ? Le problème est particulièrement difficile à cerner pour ce qui concerne le prêtre. Certes, le droit canonique ne peut pas davantage prévaloir sur la loi républicaine que la loi interne polonaise sur les traités de l’Union européenne. L’absolution que donne le prêtre aux pénitents dans le secret du confessionnal n’entraîne d’aucune manière une immunité quelconque au regard de la loi. L’absolution est censée manifester le pardon de Dieu à celui qui se repend auprès du prêtre considéré par les croyants comme son envoyé ou son mandataire.

Ce qui est de l’ordre du mythe religieux n’a rien à voir avec la relaxe ou l’acquittement d’un délinquant ou d’un criminel déféré à la justice. Dieu est censé absoudre sans enquête. Mais le juge républicain instruit, vérifie et juge. La seule conciliation possible entre le religieux et le laïc consiste en une nouvelle relation des fidèles avec le prêtre. Il faut que les fidèles cessent de penser que, parce qu’ils se sont confessés, ils sont absous. Ils le sont peut-être dans l’autre monde, s’il existe. Mais ils ne sont pas quittes avec la loi républicaine. La confession ne saurait leur servir d’alibi. On enseignait autrefois dans les écoles religieuses la phrase du roi Louis IX dit Saint-Louis : «Si je voyais un prêtre dans le crime, je le couvrirais de mon manteau royal !» Heureusement, nous n’en sommes plus là.

Il est question d’un changement de la loi pour créer une obligation de dénonciation. Que les fidèles sachent donc désormais que leur relation avec le sacré ou la transcendance relève de leur parcours intérieur, mais que ce qu’ils révèlent au prêtre, qui a tout lieu de penser qu’une récidive est possible ou qu’un état abominable peut continuer à se perpétuer, lui imposera le devoir légal de le dire aux autorités judiciaires. C’est déjà le cas du médecin qui doit le faire en présence de faits graves comme des mauvais traitements infligés à des enfants ou des adultes en état de faiblesse.

Pas plus que la charia, le droit canonique ne l’emporte sur la loi républicaine.


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