lundi 11 octobre 2021

Pédagogies innovantes : à Nice, le bien-être à la lettre


 


par Mathilde Frénois, correspondante à Nice et photos Eleonora Strano. Hans Lucas

publié le 10 octobre 2021
Dans son collège REP +, la professeure de français Gaëlle Assoune prône une pédagogie bienveillante, s’appuyant sur les sciences cognitives et les neurosciences affectives.

Elle n’est pas le genre de prof à installer une bibliothèque dans sa chambre. La table du salon avec ordinateur portable fait office de bureau, trop encombrant. Trop lourd, le cartable a vite cédé sa place au tote bag. Chez Gaëlle Assoune, 42 ans, il y a bien un tableau noir, mais c’est celui de sa fille de 4 ans, peint pendant le confinement. «J’ai surtout ma clef USB. J’ai des copies bien sûr, mais je fais de plus en plus de dématérialisé, expose-t-elle. Ça me permet d’avoir accès aux ENT [espaces numériques de travail, ndlr], aux blogs, aux tchats, aux forums. Cette pratique hybride permet plein de fonctionnalités.» Gaëlle Assoune n’entre pas dans les cases. Prof de français dans un collège REP + de Nice, elle a été sélectionnée parmi les 50 finalistes du Global Teacher Prize pour sa manière«d’élargir les horizons de l’enseignement au-delà des limites du système national». Son dossier est ressorti au milieu de 8 000 candidatures.

L’histoire avec l’école n’a jamais été une évidence. En classe, Gaëlle Assoune ressent une différence. «J’ai toujours été à part en tant qu’élève. On m’a mis une étiquette. Dès la maternelle, les enseignants disaient à ma mère que je les regardais de façon insolente, se souvient-elle. Comment peut-on dire ça d’un enfant de 3 ans ? Aujourd’hui, on ne peut pas faire l’économie des études qui montrent l’importance des émotions dans l’apprentissage.» En sixième, son prof de maths l’envoie en retenue à chaque cours. En terminale, «le tampon absentéiste» figure sur son carnet. De petits diplômes de plongée et autant de rencontres avec des profs bienveillants lui redonneront confiance. Il faudra trois tentatives pour décrocher le bac, trois oraux pour le Capes. Entre les deux, Gaëlle Assoune apprend qu’elle est précoce, valide un master et mène une carrière en entreprise. Contractuelle pour l’Education nationale dès 2006, elle sera titularisée en 2015.

«Elle a su capter mon attention»

De ce passé chamboulé sur les bancs de l’école, Gaëlle Assoune tient sa pédagogie. Elle conçoit ses cours à partir d’études sur les sciences cognitives de l’apprentissage (enseignements s’appuyant sur les connaissances de l’apprentissage du cerveau), auxquelles elle intègre les neurosciences affectives et sociales. Sa théorie : un enfant en confiance améliore ses fonctions exécutives, sa compréhension et sa mémorisation. Le stress est mis à la porte. Dans sa classe du collège REP + de Nice, elle installe un «cadre de confiance» et un «climat bienveillant» : un petit salon pour lire, des ordinateurs, des murs épurés, une odeur de lavande, une porte ouverte. Surtout, elle mise sur «l’empathie». On s’apaise avec des bols tibétains et des sabliers, on s’exprime avec des émoticônes. On peut se lever et bouger à volonté. «Je favorise l’ocytocine, l’hormone de l’attachement, en faisant des choses qui plaisent aux élèves. Ça part de leur envie, explique, volubile, cette adepte des méthodes d’enseignement positif. On a étudié Poil de carotte parce que j’ai vu le livre posé sur le devant de la bibliothèque. La prouesse, c’est de le faire dans la seconde.»

Le Royaume de Kensuké, roman d’aventures sur une île perdue du Pacifique, fait découvrir les cinq sens et les émotions. L’Apache aux yeux bleus, livre traitant des droits des Indiens lors de la colonisation, permet de travailler l’identité et les stéréotypes. Darki Abdou-Mfoungouo était en cinquième quand il a eu «Madame Assoune» comme prof de français. «Je n’étais pas très bon élève mais elle a su capter mon attention via ce que j’aimais, se souvient celui qui est aujourd’hui un éducateur sportif de 23 ans. J’étais un jeune qui dessinait énormément. Elle a surfé dessus pour créer une BD avec un dialogue et corriger toutes les fautes.» Saïdou Niang, également ancien élève du collège : «Même quand c’était difficile de se concentrer, car on avait des classes perturbatrices, elle nous intéressait par nos centres d’intérêt. Par la musique, par exemple. Elle ne nous laissait jamais à la dérive.»

«Pour les enseignants différents, c’est compliqué»

Des pédagogies que Gaëlle Assoune a développées après la découverte de la maternité et un burn-out professionnel. Elle reçoit chez elle. Il était impossible de suivre un cours dans son établissement : veto de l’administration. Un manque d’évaluation de la méthode lui serait reproché. Chose impossible avec le confinement et sans suivi des élèves sur le long terme, répond-elle. «En France, il y a une forte hiérarchie, estime-t-elle. Pour les enseignants différents, qui ne sont pas formatés, c’est compliqué tant que leurs innovations ne sont pas reconnues. J’espère que dans le futur, on arrivera à changer cela.»

Dans la bibliothèque du quartier et avec son association, Gaëlle Assoune anime des ateliers de philosophie et d’empathie. Si elle remporte le million de dollars promis au vainqueur, elle achètera une grande propriété où elle développera sa pédagogie – ce ne serait plus dans le cadre de l’Education nationale, donc, mais avec son association. «Quand on est enseignant aujourd’hui, on ne peut pas enseigner autre chose que le XXIe siècle. Le XXIe siècle, c’est être un enfant conscientisé de l’urgence climatique, du développement durable, du respect, de l’écoute. dit-elle. En français, certes il y a la conjugaison et l’orthographe. Mais ce qu’il y a d’important, c’est avoir l’esprit critique, prendre des décisions ou s’intéresser à des sujets de société.»


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