mardi 19 octobre 2021

« On utilise trop la contention et l’isolement en France » : à Bron, un hôpital psychiatrique privilégie le « rétablissement » des patie

Par    Publié le 27 septembre 2021


REPORTAGE Pionnier de la « réhabilitation psychosociale », le professeur Nicolas Franck, de l’hôpital du Vinatier dans la banlieue lyonnaise, veut bousculer le traitement des maladies mentales et l’image de la psychiatrie.

C’est à Bron, en banlieue lyonnaise, au sein de l’hôpital du Vinatier, que se dresse le Centre rive gauche. En cet après-midi de septembre, les patients flânent librement dans le parc, le chant des oiseaux en fond sonore. La spécialité du lieu : la réhabilitation psychosociale, une approche innovante de la psychiatrie.

Ce centre, dirigé par le professeur Nicolas Franck, est une « unité pilote » qui doit présenter son projet aux Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, lundi 27 septembre. Ici, tout tourne autour de l’idée de « rétablissement ». Il ne s’agit pas de faire disparaître la maladie ou les symptômes, mais plutôt d’essayer de retrouver une forme d’équilibre et de bien-être.

« Avant, on considérait qu’un patient souffrant de schizophrénie ou de troubles bipolaires n’avait aucun espoir de rétablissement. Le poids de la stigmatisation sociale et médicale était lourd », explique le professeur Franck. La réhabilitation psychosociale tente de « redonner confiance aux patients ». « On va insister sur leurs capacités plutôt que sur leurs limites », explique le psychiatre. Cette approche veille à toujours impliquer le patient dans les décisions liées à son projet de soins, peu importe son état.

Art-thérapie, relaxation, psychoéducation

A l’intérieur du centre, comme à l’extérieur, les patients sont libres de se promener. « Chacun a sa propre chambre avec une salle de bains et ses clés », explique Muriel Le Breton, cadre supérieure de santé. Un moyen de leur octroyer une « intimité »« un sentiment de sécurité », poursuit-elle. Frédéric Boissié, cadre de santé, a lui aussi son trousseau de clés à la main, mais il s’en sert rarement. Ici, les portes restent ouvertes. « Bien sûr, on ne va pas laisser celles de la pharmacie ouvertes », tempère le médecin, interrompu par une patiente arrivée à l’improviste, pour saluer les présents d’un « check » du coude.

Nicolas Franck, chef de pôle au centre hospitalier Le Vinatier, à Bron (Rhône), le 22 septembre 2021.

Sur les panneaux d’affichage des couloirs, on trouve les plannings des patients. Au programme, art-thérapie, relaxation, ateliers de psychoéducation (qui permet aux patients d’être proactifs dans leur processus de rétablissement, en les informant eux et leurs proches sur leur maladie, les comportements à adopter pour éviter une rechute, les traitements adaptés, etc.). Les patients ont également accès aux plannings de leurs soignants. « C’est rassurant pour eux de savoir quand leurs soignants sont là », indique Muriel Le Breton.

L’équipe veut démontrer que ce changement est « possible ». Avant, l’établissement comptait trois salles d’isolement. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’une. Une a été transformée en salon d’apaisement, l’autre en salle de jeu. « On utilise trop la contention et l’isolement en France », juge Frédéric Boissié. L’équipe du centre hospitalier lutte contre cette approche « arbitraire » de la psychiatrie, qui va, selon elle, « à l’encontre des droits fondamentaux ». Dans l’unique salle d’isolement restante, la contention n’est possible que toutes les six heures, et l’isolement pendant douze heures maximum pour des patients en crise.

Groupe de parole

Au détour d’un couloir, une femme et un homme discutent. L’une de leurs activités favorites est le groupe de parole. « On peut faire remonter si quelque chose ne va pas », confie la femme. Aujourd’hui, elle a réclamé une nouvelle télévision. Cette patiente achève son deuxième mois au centre.

Son interlocuteur, en pleine instance de divorce, a été hospitalisé après plusieurs tentatives de suicide. Ses précédentes expériences en hôpital n’étaient d’après lui pas aussi positives. Il a rechuté. Ici, il affectionne particulièrement le salon d’apaisement. « C’est sensationnel, estime-t-il. J’y vais tous les jours pour m’endormir. »

Salon d’apaisement du centre hospitalier Le Vinatier, à Bron (Rhône), le 22 septembre 2021.

« C’est de la stimulation sensorielle, basée sur un modèle danois appelé “wavecare”explique Frédéric Boissié. Pour les patients qui ne se sentent pas bien, on diffuse une vidéo avec du son et des lumières. » Il fait défiler les différents thèmes sur le grand écran, sous les yeux d’un patient lové dans un pouf. « Forêt brumeuse, été indien, coucher de soleil sur mer… » Celui-ci opte pour une ambiance de bord de mer avec le bruit des vagues en fond.

Faciliter le parcours de soins

A l’étage, un patient venu pour une simple visite s’est installé dans le bureau du professeur Franck. Le docteur Cazet (le nom a été changé) est un ancien cancérologue, à la fin de sa réhabilitation. Pendant des années, il a vécu une « errance diagnostique » qui l’a précipité vers la retraite. Un deuil professionnel qu’il a toujours du mal à accepter.

C’est en 2013 que les premiers symptômes d’un « grand syndrome dépressif » sont apparus. Après une mutation et un divorce, il est hospitalisé une première fois. On lui prescrit plusieurs traitements qui déclenchent de nombreux effets indésirables « agressifs », selon lui, mais aucun résultat probant. Une situation qui le conduit à « toucher le fond » . « Je n’étais pas loin de faire des bêtises », relate-t-il. Le professeur Franck lui diagnostique alors un trouble bipolaire. Aujourd’hui, M. Cazet a un grand projet de centre de soins et de remise en forme pour aidants. « C’est un super projet, il était temps que vous rebondissiez ! », réagit le psychiatre. Les deux hommes échangent sur leurs vacances en Italie, avant de se donner rendez-vous dans six mois.

Pour Nicolas Franck, les Assises de la psychiatrie peuvent être l’occasion de gagner en visibilité. Il souhaite faciliter le parcours de soins en santé mentale. « Actuellement, c’est illisible. Les patients ne savent pas à qui s’adresser. Quel psychologue est adapté ? » Il aimerait que soit créé un site Internet « interactif » pour orienter les patients.

Un patient dans le parc du centre hospitalier Le Vinatier, à Bron (Rhône), le 22 septembre 2021.

De nombreuses structures ont désormais amorcé le virage de la réhabilitation psychosociale. Le professeur Franck veut également encourager la « pair-aidance » pour accompagner les personnes souffrant de troubles psychiques. Une personne ayant elle-même fait face à des troubles de santé mentale, explique le professeur Franck, bénéficie d’un « savoir expérientiel » que les médecins n’ont pas.



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