vendredi 8 octobre 2021

Juliette, Emilie, Alexandra… Elles racontent leur cancer du sein triple négatif, parmi les plus compliqués à soigner

Par Sandra Favier.  Publié le 06 octobre 2021 




Le 1er octobre 2020, Emilie Daudin apprend qu’elle a un cancer du sein. Elle a alors 33 ans, un fils de trois ans et demi et une fille d’un an. Sur le coup, « tout s’est effondré », dit-elle un an plus tard. Ce n’est que plusieurs jours après, dans la froideur anonyme d’un train, qu’Emilie comprend pourquoi ses proches lui ont instamment recommandé un hôpital parisien, pourtant éloigné de son domicile rouennais : son cancer est un triple négatif, un sous-type particulièrement agressif du cancer du sein. « “Vous me l’avez caché, les filles”, a-t-elle alors mécaniquement reproché à sa sœur et à sa meilleure amie. Mais, en fait, on me l’avait dit, j’étais juste devenue sourde dès que j’ai entendu le mot “chimiothérapie”. »

Le cancer du sein dit triple négatif représente environ 15 % des cancers du sein et touche chaque année quelque 7 500 femmes en France, selon le centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy. Il tient son nom de l’absence des récepteurs hormonodépendants aux œstrogènes, progestérone ou HER2, fréquemment identifiés dans les cancers du sein et permettant des traitements ciblés.

Aujourd’hui, aucune stratégie thérapeutique spécifique n’existe, du fait, notamment, de la grande hétérogénéité de la tumeur. « Comme elle [la tumeur] est très changeante, c’est parfois cauchemardesque d’identifier le bon traitement au bon moment », avance Suzette Delaloge, oncologue médicale à Gustave-Roussy.

Le diagnostic d’un triple négatif s’oppose alors frontalement au lieu commun, faussement rassurant, qui veut qu’un cancer du sein se soigne bien. Au stade localisé, les « taux de guérison restent élevés, autour de 80 % pour les stades 2 et 3, et encore plus pour les stades 1, explique encore la docteure Delaloge. Mais ce cancer a tendance à métastaser et à rechuter plus facilement et il devient alors généralement encore plus agressif et surtout résistant aux traitements ».

Particulièrement agressif, le triple négatif se développe vite et touche des femmes jeunes – environ 40 % des patientes ont moins de 40 ans au diagnostic. Sa vitesse de propagation et sa cible le rendent difficile à détecter… parce qu’à 30 ans « c’est normal d’avoir mal aux seins » et « de toute façon le cancer ne fait pas mal », s’est vu opposer Emilie lorsqu’elle s’est inquiétée, auprès d’une sage-femme, d’une petite boule douloureuse dans son sein droit.

Emilie Daudin montre les perruques qu’elle portait lors de sa maladie, à Rouen, le 29 septembre 2021.

Une deuxième professionnelle lui a soutenu qu’il ne s’agissait que d’une déchirure musculaire, lui conseillant d’aller consulter un ostéopathe, mais lui prescrivant « en dernier recours » une échographie mammaire.

Juliette G., « miraculée » après deux rechutes

Ce ne sera finalement que près de neuf mois plus tard que mammographie, biopsie puis IRM mammaire identifient six tumeurs cancéreuses, sans atteinte ganglionnaire. « C’est là que tout part en live », se souvient Emilie, assise en tailleur sur le canapé vert de son salon.

La jeune femme reçoit chez elle, une maison de ville sur cinq étages, baignée par la lumière et décorée avec soin. Sous un pull épais, Emilie ne cache pas l’asymétrie de sa poitrine due à une mastectomie qui a pris son sein malade il y a six mois. Sur son compte Instagram, EmilieBrunette, la créatrice de contenu fait désormais de la prévention auprès de ses 150 000 abonnés.

Comme Emilie, c’est parce qu’elle a insisté auprès de trois professionnels de santé différents que Juliette G. a finalement passé, en août 2018, l’échographie et la mammographie qui ont révélé son triple négatif. Elle avait alors 31 ans, une petite boule à la surface de la peau et comme « des coups d’aiguille » dans le sein gauche. Après son diagnostic, Juliette s’est rapidement fait retirer le sein qui contenait une tumeur de trois centimètres, avant de subir chimiothérapie et radiothérapie près de chez elle, à Caen. Au début de l’été 2019, la jeune femme reprend son activité professionnelle en mi-temps thérapeutique et fait du sport, l’un des moyens reconnus pour diminuer les risques de récidive.

Mais, comme un rappel de l’agressivité du triple négatif, le cancer métastase en novembre 2019. Des cellules cancéreuses sont trouvées dans ses poumons et son omoplate, et Juliette n’est désormais plus guérissable, seule la rémission – lorsque aucune cellule cancéreuse n’est détectée, la guérison n’intervenant potentiellement qu’après un certain délai supplémentaire – reste envisageable.

Juliette G., dont les différents rendez-vous médicaux ont transformé son rapport au corps, à Caen, le 29 septembre 2021.

Remise grâce à l’immunothérapie, Juliette fait toutefois une nouvelle rechute un an après, en décembre 2020, lorsque quatre lésions cérébrales sont identifiées. Leur taille et localisation permettent une radiothérapie micro-ciblée, qui, en six séances, ne laisse que des cellules nécrosées inactives. « C’est une miraculée », admire Emilie, qui a travaillé avec elle au sein du collectif #MobilisationTriplettes. D’autres n’ont pas eu cette chance : une fois métastasées, ces femmes ont une médiane de survie de quatorze mois.

Expliquer « la maladie grave et le cycle de la vie »

Le cancer remet en cause l’envie de maternité de Juliette – « à chaque récidive, guérir devient une plus grande priorité », estime-t-elle. Neuf embryons issus de la fécondation de ses ovocytes ont toutefois été congelés avant le début des traitements, mais elle doit attendre une année sans récidive pour ne serait-ce qu’envisager d’avoir un enfant.

Juliette G. porte une prothèse pour remplacer le sein qui lui a été retiré, à Caen, le 29 septembre 2021.

C’est une grossesse qui a, en revanche, peut-être sauvé Alexandra. Alors qu’elle a accouché d’un petit garçon en avril 2019 près de Grenoble, une sage-femme détecte une boule dans son sein lors d’une visite post-accouchement, en juin. « Je pensais que c’était une mastose [maladie bénigne du sein] comme j’avais déjà eu, j’étais à 10 000 lieues de penser au cancer », se souvient-elle. Une échographie mammaire « de précaution » révèle finalement une masse cancéreuse de sept centimètres, « qui avait envahi tout le sein et touché les ganglions ». Elle avait 33 ans, une fille de quatre ans et un bébé d’à peine deux mois.

D’abord, « c’était le chaos, j’étais effondrée psychiquement et physiquement », puis il a fallu commencer les traitements et les faire comprendre aux enfants. Le pronostic peu encourageant des médecins a ainsi poussé Alexandra « à aborder avec [sa] fille des sujets comme la maladie grave et le cycle de la vie » dont elle ne lui aurait pas parler si tôt sinon. Même si elle ne posait que peu de questions, la fillette tendait l’oreille dès que sa mère en discutait dans la pièce voisine et a été perturbée par la perte de cheveux d’Alexandra – « j’ai porté des foulards sur la tête tout le long pour la préserver », explique la jeune femme.

« Fermer cette parenthèse »

Le triple négatif ravage la vie de ces jeunes femmes, dans tous ses aspects. Dans la trentaine à peine, Alexandra était à un tournant de sa carrière. Alors qu’elle devait prendre plus de responsabilités, son employeur et la médecine du travail l’accompagent aujourd’hui, après un arrêt de travail de près de deux ans, dans une procédure de reclassement à un poste moins stressant et porteur d’une moindre charge émotionnelle – Alexandra était jusque-là assistante sociale en quartier prioritaire. Emilie, elle, n’a pas pris de congé maladie. Chef d’entreprise, elle n’avait pas renvoyé les papiers de sa souscription à un organisme de prévoyance. Si travailler a été « très compliqué psychologiquement et physiquement », surtout pendant la période de chimiothérapie lourde, Emilie estime aussi que cela l’a sauvée. « Ça m’a permis d’oublier, certains jours, que j’étais malade. Sinon on mange et on dort chimio, on vit cancer. »

Au moment de boucler ces lignes, Emilie est en rémission. Un an après son diagnostic – et alors qu’elle reste sous chimiothérapie orale jusqu’en novembre –, un examen récent n’a montré aucune cellule cancéreuse, mais elle attend les résultats de sa mammographie pour crier victoire. Les perruques sont rangées au fond du placard et une rage de vivre dévore ses pupilles claires. Juliette a fêté, en septembre, sa première année sans chimiothérapie. Toujours sous traitement anticancéreux – elle est porteuse de la mutation génétique BRCA1, prédisposition génétique à développer un cancer du sein –, elle n’a pas vu de signe de rechute de son cancer depuis décembre 2020. Quant à Alexandra, elle espère bientôt reprendre le travail pour « fermer cette parenthèse de maladie » dans sa vie. Sa dernière IRM a toutefois décelé une masse dans son désormais unique sein, faisant toujours planer le doute et la menace d’une rechute.

Un programme expérimental du centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy

Pour ces femmes, l’urgence est de trouver des traitements qui fonctionnent. Selon le centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy, au cours des quinze dernières années, aucune innovation thérapeutique n’a émergé pour ces femmes atteintes d’un cancer triple négatif, qui rechutent dans l’année suivant la fin de leur protocole de traitement standard. Environ 40 % des patientes sont concernées par cette récidive précoce, estime Suzette Delaloge, oncologue à Gustave-Roussy.

Ces femmes qui présentent déjà un cancer agressif, rendu d’autant plus résistant par la succession de traitements lors de la phase localisée, ne sont pas éligilibles à l’immunothérapie, réservée aux rechutes dites tardives – plus d’un an après la fin des traitements. Une « totale impasse thérapeutique », regrette ainsi la docteure Delaloge.

Pour y faire face, le centre a lancé le projet « Compass »(« Choose of the most active strategies for short term recurring triple negative breast cancer », soit « Choisir les stratégies les plus efficaces contre le cancer du sein triple négatif en rechute précoce ») afin d’expérimenter, sur près de deux cents femmes en situation de rechute métastatique précoce, de nouvelles combinaisons de traitements innovants.

Le programme de trois ans comprendra aussi plusieurs études cliniques de phase I et II, et, en fonction des résultats de ces phases précoces, des essais de phase III seront menés à l’issue du programme auprès d’un plus grand nombre de patientes afin d’élargir l’accès aux stratégies thérapeutiques les plus efficaces.


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