par Margaret Oheneba publié le 28 octobre 2021
«Je suis prise au piège. Je n’ai plus de vie sociale.» Cela fait un an que Nabela, 42 ans, vit presque en vase clos dans un appartement pour personne à mobilité réduite (PMR) qui n’est adapté ni à son handicap ni à son fauteuil électrique. Victime d’un accident de la route en 2015, cette ancienne DRH est atteinte de troubles cognitifs, conséquences de son traumatisme crânien, et d’une hémiparésie – une faiblesse musculaire – de la partie droite de son corps. Avant de s’installer dans son logement de Suresnes (Hauts-de-Seine), aux murs blancs car elle ne s’y «projette pas», celle qui ne peut plus travailler depuis son accident vivait à Courbevoie chez le même bailleur social, 3F. Là-bas, ce dernier avait fini par transformer la baignoire en douche mais son fauteuil ne pouvait pas entrer dans l’ascenseur de l’immeuble.
Pour son bailleur, c’est la particularité de son handicap qui pose problème dans son nouveau logement mais son cas est loin d’être isolé. «Un fauteuil roulant inutilisable par manque de place, un accès à sa douche impossible sans l’aide d’un tiers, […] et voilà que le logement devient contraint et subi, écrivaient les signataires d’une tribune publiée en 2018 dans Libération. Chaque tâche, chaque mouvement devient une lutte contre un espace non adapté […]. Loin d’être un refuge, […] le logement peut alors représenter un véritable danger pour son occupant.» Et c’est le cas pour Nabela et son F2, situé dans une résidence aux airs très chics. Les marches pour accéder à la terrasse et à sa douche, non munie d’un banc, constituent les premières entraves à sa liberté de mouvement et liberté tout court : elle s’est coupé les cheveux puisqu’elle ne pouvait les laver que dans le lavabo. Depuis, la brune arbore une coupe au carré. Elle ironise sur les modifications apportées par le bailleur : «Ils ont mis une douchette dans les toilettes : c’est très agréable, très gentil, merci.»
«Mon corps se détériore»
Il y a les marches donc, mais aussi la distance entre son appartement et l’ascenseur. Nabela se fait sarcastique : «Evidemment, on met des personnes en situation de handicap très loin de l’ascenseur.» Pour y accéder, elle doit sortir de chez elle en marche arrière dans son fauteuil «qui ne peut pas faire de rotation»dans le long couloir ou faire le chemin en déambulateur. Pour aller dans la rue, elle doit faire le tour du bâtiment sur le chemin dit accessible mais fait de pavés. Ni stable ni rassurant. «Une fois, j’ai réussi à atteindre le taxi qui m’attendait devant chez moi aidée par un proche, mais j’étais tellement épuisée que j’ai fait demi-tour.» «Mon fauteuil ne rentre pas dans le salon donc j’utilise mon déambulateur, ajoute Nabela, la partie gauche de son corps appuyée sur les coussins de son canapé d’angle pour pouvoir tenir la position assise. Pour accéder à ma chambre, je ne peux qu’utiliser ma canne pour faire le tour du lit. C’est là où je fais mes chutes. Une fois, quand je suis tombée, j’étais tellement désespérée que je leur ai envoyé une photo de ma jambe toute violette et enflée, poursuit-elle. Ils m’ont répondu : “On vous soutient.”»
Ces obstacles ont des conséquences directes sur sa santé. «Mon corps se détériore parce que j’ai perdu le peu de muscles que j’avais récupéré», soupire Nabela, qui tous les ans doit être hospitalisée entre deux et trois mois dans un centre de rééducation. Elle décrit ses progrès envolés maintenant qu’elle ne peut plus quitter son appartement pour ses soins réguliers. «Mon périmètre de marche a beaucoup réduit, se désole-t-elle J’étais à peu près à 100 mètres. J’étais très fière parce que j’ai mis trois ans pour y arriver. Maintenant, je n’arrive pas à faire le couloir.» Ses courses et la cuisine : elle se les fait livrer ou ce sont ses proches et une auxiliaire de vie qui s’en occupent.
Contacté par Libération, le bailleur 3F se justifie. L’appartement de Nabela correspondait à son handicap lors de son arrivée le 5 novembre 2020 dans les lieux. L’organisme vante les travaux réalisés depuis son emménagement : rehaussement d’un lavabo, installation d’une douchette ou ouverture des portes d’entrée de la résidence pendant 20 secondes. «Ce qui ne me sert à rien parce que maintenant, je compte en minutes», riposte Nabela. Le bailleur assure avoir cherché des solutions : quatre logements qu’elle aurait refusés. La locataire explique n’avoir reçu que deux propositions dont une près de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, certes renommé pour sa prise en charge des personnes handicapées, mais dont «les services seront transférés en 2024 à Boulogne-Billancourt». Les discussions semblent aujourd’hui au point mort. Vu le manque de logements sociaux, 3F regrette la non-coopération de Nabela. «Il y a 700 000 demandes en Ile-de-France, mais seulement 70 000 attributions», souligne Caroline Landeau, responsable du pôle social du bailleur, qui ajoute que les «publics prioritaires en attente, dont les femmes victimes de violence et les mal-logés» ne manquent pas.
904 euros mensuels
Le hic c’est que les logements sociaux sont souvent la seule solution abordable pour que les personnes handicapées puissent vivre en autonomie. Dans une enquête publiée en 2017 intitulée«les discriminations dans l’accès au logement», le Défenseur des droits notait que «leur situation de handicap les confronte en effet à la rareté de l’offre de logements accessibles et /ou adaptés, mais aussi parfois à des pratiques conduisant à écarter les candidat·e·s en situation de handicap dont les ressources ne proviennent pas d’un emploi et sont en moyenne inférieures à celles des personnes ne présentant pas de handicap». L’allocation aux adultes handicapés (AAH) ne s’élève qu’à 904 euros mensuels. La collision dont elle a été victime ayant été reconnue comme accident du travail, Nabela reçoit, elle, des indemnités de l’Assurance maladie.
Mais chez 3F, seulement «5 000 logements sont adaptés PMR» sur les 139 000 biens loués en Ile-de-France, fait valoir Caroline Landeau. A cette rareté de logements PMR, s’ajoute une autre réalité : ces derniers ne sont pas forcément loués aux personnes handicapées, admet la responsable du pôle social de 3F. Selon elle, cela s’explique par le nombre de réservataires – collectivités territoriales, Action logement, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et Etat – qui présentent des candidats pour un logement social, à loger en priorité.
3F espère néanmoins convaincre Nabela d’accepter de nouveaux travaux pour adapter son logement, comme abattre des murs pour lui permettre d’utiliser son fauteuil dans le salon. Mais elle n’en démord pas, elle veut partir. La dernière réunion organisée à son sujet, le 14 octobre n’a rien donné. Aucune proposition, aucun délai, selon elle. L’un des responsables du bailleur dans les Hauts-de-Seine lui aurait fait comprendre que son «comportement impactait défavorablement la motivation de ses équipes» : «J’ai l’impression qu’ils se disent qu’ils vont régler le problème d’ici six ou sept mois. Ils ne comprennent pas que c’est une histoire de jours, de semaines.»
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