mercredi 1 septembre 2021

Prévention Surdoses aux opiacés : la France dans l’urgence

par Charles Delouche-Bertolasi  publié le 31 août 2021

Lutter contre les overdoses, prévenir les risques et diffuser de la meilleure des manières la naloxone : tels sont les chantiers auxquels le pays doit faire face pour éviter une hausse des morts liées à la consommation de drogues. 

C’est une épidémie dont on parle moins mais qui sévit dans l’ombre. Ce mardi, à l’occasion de la journée internationale de sensibilisation aux surdoses lancée en 2001, des associations et des professionnels de santé alertent les pouvoirs publics sur les dégâts liés aux overdoses. Et de rappeler que la France est loin d’être prête à faire face à une flambée des overdoses. Au-delà des retards en matière de réduction des risques et de prévention, les derniers chiffres publiés en avril par l’Agence nationale du médicament (ANSM) portant sur des données relevées en 2019 sont éloquents. Ils révèlent une augmentation des décès liés à la consommation d’opioïdes, licites ou non. Ainsi, en 2019, quelque 450 personnes sont mortes en France à la suite d’une overdose d’opioïdes et 77 après avoir fait une surdose de cocaïne.

Dans l’Hexagone, l’accoutumance aux opioïdes provoque cinq morts par semaine. Mais ces données sont très largement sous-estimées. En France, les hommes sont très majoritairement concernés par les surdoses, avec un âge moyen situé à 38,7 ans.Généralement, on y meurt en raison d’une surdose liée à un médicament de substitution comme la méthadone plus qu’après un shoot d’héroïne.

«Endormir des grands mammifères»

Depuis 1999 outre-Atlantique, la crise des opioïdes aurait tué près d’un demi-million de personnes. Quelque 130 personnes y meurent chaque jour d’une overdose aux médicaments antalgiques qui créent une forte dépendance. «Le principal problème est devant nous, assure Bertrand Leibovici, médecin addictologue spécialisé dans la réduction des risques liés à la toxicomanie. On ne peut pas exclure qu’il y ait une arrivée massive de Fentanyl en Europe continentale.» Le Fentanyl ou les fentanyloïdes non pharmaceutiques issus du marché clandestin sont 100 à 10 000 fois plus puissants que la morphine. C’est le cas du Carfentanyl, le plus puissant des opioïdes, qui n’a aucune indication en médecine humaine mais sert à «endormir des grands mammifères tels que des éléphants ou des rhinocéros», rappelle le médecin.

En Angleterre, au pays de Galles mais surtout en Ecosse, le nombre de décès causés par la drogue n’a jamais été aussi élevé qu’en 2020, selon un rapport publié début août. Un taux de 76,7 par million d’habitants, soit un bond de 3,8 % par rapport à 2019. Des chiffres jamais vus depuis l’instauration de ces relevés en 1993. Une tendance liée à la consommation d’opiacés mais aussi à l’augmentation des morts à cause d’autres substances telles que la cocaïne. Pour Bertrand Leibovici, «la Grande-Bretagne donne le “la” pour le reste de l’Europe continentale, en matière de vêtement, de musique, et de drogues».

Antidote indispensable

En France, aussi, l’évolution des consommations est préoccupante. Pour Bertrand Leibovici, il est important de rappeler que les overdoses sont «des urgences médicales qui se déroulent dans un contexte d’insécurité juridique» : «Le gouvernement devrait s’engager à ne pas poursuivre les gens qui appellent les secours pour rapporter une overdose. Et leur faire passer le message. Car souvent, les personnes se sauvent et laissent la personne seule.» Pour le praticien, une autre façon de prévenir les overdoses serait de mettre à disposition de «la famille mais aussi les camarades de «défonce» des kits de naloxone [antidote aux opiacés ndlr]».

Face aux overdoses, les professionnels de santé et les consommateurs disposent en effet d’une arme redoutable : la naloxone. Commercialisée pour la première fois dans les années 70 aux Etats-Unis, c’est une molécule qui, une fois injectée ou inhalée, peut stopper instantanément l’overdose. Un remède indispensable.«Mais la naloxone ne suffit pas. Il faut surveiller l’usager après lui avoir administré la dose. Surtout s’il a fait une overdose de méthadone, qui est un opiacé lourd. Trois ou quatre heures après avoir reçu la naloxone, le consommateur peut en refaire une. La méthadone reste longtemps dans le corps, tandis que la naloxone a une durée d’action très brève», insiste Bertrand Leibovici. Pour Nicolas Authier, psychiatre spécialisé en pharmacologie et addictologie, la situation française n’est pas comparable à celle des Etats-Unis ou de l’Angleterre : «Les médecins y prescrivent beaucoup plus de médicaments antalgiques opioïdes que nous. La population est donc beaucoup plus exposée. C’est pour ça que la France doit diffuser dès maintenant la naloxone afin d’éviter une crise similaire. En matière d’overdose, prévenir c’est efficace. Guérir, c’est souvent trop tard.»

«Manque de volonté politique»

En 2019, à l’occasion de la journée internationale de sensibilisation aux overdoses, le ministère de la Santé avait publié une feuille de route pour faire face aux surdoses d’opioïdes. Objectif : élargir le circuit de délivrance de la naloxone et fournir des kits aux services de secours, pompiers et police. Depuis décembre 2020, après le retrait du marché de l’unique distributeur, seule une forme de naloxone est disponible : le Prenoxad, injecté par voie intramusculaire. L’association Aides a diffusé mardi undocumentaire pour alerter sur la pénurie dans le pays de naloxone en spray nasal, plus simple d’utilisation et sans risque. Une spécificité française, à l’inverse de nombreux pays européens qui disposent des deux formes. «L’absurdité de cette situation révèle un manque de volonté politique : des solutions existent, notamment les importations parallèles qui consistent à faire venir d’autres pays un médicament non distribué en France», dénonce Camille Spire, présidente de Aides dans un communiqué.

Un communiqué interassociatif, publié mardi matin rappelle au gouvernement qu’il est «temps d’agir». Et pointe le taux de 15 % de morts par surdoses supplémentaires durant la pandémie. Pour Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction, une«action plus volontariste et soutenue» des pouvoirs publics est urgente : «Le confinement et la pandémie ont permis de débloquer des projets en attente depuis près de dix-huit mois telle que lacampagne de communication sortie au mois de juin afin de sensibiliser autour de la problématique des overdoses […] Mais les pouvoirs publics nous avaient aussi dit que le nyxoid [un analgésique à base d’opiacés ayant largement contribué à la crise des opioïdes (1)] , la nouvelle forme nasale, devait être disponible en fin d’année 2020. Ce n’est toujours pas le cas. On avance, mais de manière trop timorée.»

(1) Le Nyxoid est développé par la firme Mundipharma, filiale du géant Purdue Pharma, propriété de la famille Sackler, condamnée pour les ravages de l’OxyContin aux Etats-Unis.


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