mercredi 22 septembre 2021

Expérimentation Réalité virtuelle : une «machine à empathie» contre la récidive des auteurs de violences conjugales

par Marlène Thomas  publié le 24 septembre 2021 à 7h01

Marchant dans les pas de l’Espagne, le ministère de la Justice s’apprête à lancer ce vendredi à Villepinte, Lyon et Meaux une expérimentation d’utilisation de la réalité virtuelle pour lutter contre la récidive des auteurs de violences conjugales.

«Tout est parfait.» Dans un salon cossu du ministère de la Justice, casque de réalité virtuelle vissé sur la tête, nous sommes projetés dans l’intimité d’un couple. Ils pourraient être n’importe qui. Le film immersif de douze minutes, tourné en prises de vues réelles à 360°, s’ouvre sur une scène anodine de dîner aux chandelles. Champagne, jus d’orange et rose rouge, visiblement pour fêter l’annonce d’une grossesse. La banalité du quotidien comme amorce d’une escalade de la violence.

Tout se joue entre la cuisine et le salon. Tour à tour, nous nous fondons dans la peau du mari violent, de sa femme victime de ses agissements et de l’enfant, victime collatérale et témoin direct des souffrances de sa mère. Les années s’égrènent, traînant avec elles emprise, menaces, violences verbales, contrôle coercitif, isolement et violences physiques. Le prévenant «tout va bien ?» a laissé place au «t’as compris, tu ne me parles pas comme ça, tu fermes ta gueule».Les coups pleuvent. Impossible de détourner le regard.

A l’occasion du premier anniversaire du bracelet électronique antirapprochement, une des mesures phares du Grenelle contre les violences conjugales, le ministère de la Justice parie sur une innovation pour lutter contre la récidive des auteurs : la réalité virtuelle. Si ses résultats sont probants, elle viendra compléter un arsenal dont les failles ont été, ces derniers mois encore, crûment mises en exergue. Ce projet, impulsé par le Laboratoire de recherche et d’innovation de la direction de l’administration pénitentiaire et conçu par la start-up lyonnaise Reverto avec l’aide de psychiatres et psychologues, a été présenté à la presse jeudi. Ici pas de jeux vidéo, le casque se mue en «machine à empathie», résume Guillaume Clere, fondateur de Reverto. Une étude publiée dans Nature en 2018 avait montré les effets bénéfiques de cet outil sur ce public, notamment sur la reconnaissance des émotions. «Le fait de commettre les actes violents est souvent lié à l’absence d’empathie et de capacité de la part des agresseurs à se mettre à la place de leurs victimes», constataient les chercheurs.

Effet Proteus

Le top départ de cette expérimentation de trois mois, dont le coût s’élève à 117 000 euros, s’apprête à être donné lors du déplacement du garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, à Poitiers ce vendredi. Les antennes de Villepinte, Lyon et Meaux des Service pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) seront les premières à y prendre part, marchant ainsi dans les pas de nos voisins espagnols. Un dispositif analogue a été lancé en 2019 dans des prisons catalanes, notamment celle de Tarragone, où «pour certains, il y a eu un vrai choc et une prise de conscience par le biais de la réalité virtuelle», fait valoir la chancellerie, qui affirme que cette expérimentation a eu des «résultats très positifs», selon les échanges informels ayant eu lieu entre les services français et espagnols. Aucune donnée concrète ne permet cependant pour l’heure de l’étayer. Une évaluation d’une durée d’un an a d’ailleurs été confiée à l’université de Rennes pour mesurer à court terme les conséquences de l’expérimentation en France.

En donnant frontalement accès aux émotions de la victime, le casque permet de se mettre à la place d’autrui «sans effort». C’est ce que les chercheurs appellent l’«Effet Proteus». «Quand on se met dans le corps de quelqu’un d’autre, on s’approprie ses caractéristiques», développe Guillaume Clere. Une façon aussi d’éviter le déni, courant chez les agresseurs. Une fois dans le casque, impossible de fuir la réalité. Le ministère abonde : «Les zones du cerveau impliquées lors d’une séance de réalité virtuelle sont les mêmes que dans la vie réelle, cela laisse la possibilité de duper le cerveau.» Si cet outil peut, au premier abord, sembler «gadget»«on n’a pas inventé l’eau chaude. Cet outil vise à donner un énorme coup de pouce, d’ouvrir des fenêtres cognitives pour déconstruire le cycle de la violence par d’autres formes d’expression comme la parole», estime le fondateur de Reverto.

Futur outil de formation ?

Vingt-huit détenus ou prévenus ayant reconnu les faits en feront l’expérience. «Nous avons privilégié les profils ayant le plus de chances de récidiver», précise le ministère. Deux protocoles sont prévus : un visionnage dans le cadre d’un entretien individuel puis une projection lors d’une séance de groupe à Meaux. A Lyon et Villepinte, le visionnage individuel s’inscrira dans un programme de prévention de la récidive comportant huit à dix séances de travail étalées sur plusieurs mois. Lors du point presse, le ministère a aussi réaffirmé sa volonté de continuer à développer l’existant en dressant le bilan du bracelet : au 13 septembre, 379 bracelets de ce type avaient été prononcés et 268 étaient actifs, contre 59 en mai. Une augmentation que le ministère attribue notamment aux «féminicides ayant marqué l’actualité à cette période-là»Ces dispositifs ont mené à 754 appels des forces de l’ordre. Le contrôle judiciaire renforcé, expérimenté à Nîmes et Colmar, sera aussi étendu à huit nouveaux sites.

Ce premier pas dans la réalité virtuelle pourrait en appeler d’autres. «Le but premier est d’être délivré aux auteurs de violences conjugales, mais cela pourrait devenir un outil de formation des magistrats, de la police, pour comprendre que les violences conjugales ne sont pas que des violences physiques», avance le ministère. L’immersion sonore et visuelle est totale. En seulement douze minutes, ce film, où la violence monte crescendo, bouleverse. Il nous laisse la gorge serrée. De quoi espérer un vrai déclic chez les principaux concernés.


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