jeudi 2 septembre 2021

Dépression Comment s’en sortir


 



Anne-Laure Lebrun   

Dépression Comment s’en sortir

Pour arrêter de broyer du noir, des thérapies efficaces existent. Elles doivent être mises en œuvre après un diagnostic solide et une évaluation précise de la gravité de la dépression.

On l’appelle la vague psychiatrique : il s’agit du fort impact psychologique et émotionnel de la pandémie du Covid. En avril dernier, 22 % des Français souffraient d’un état dépressif, soit 12 points de plus que le niveau hors épidémie. Plus généralement, au moins un Français sur cinq sera concerné par un épisode dépressif au cours de sa vie. Chaque année, 3 millions de personnes environ sont suivies pour une dépression. Une pathologie fréquente mais qui est, en réalité, sous-diagnostiquée et sous-traitée, en particulier chez les patients souffrant d’une maladie chronique ou les personnes âgées. Environ 40 % des personnes dépressives n’ont pas recours à des soins.

LA RECONNAÎTRE

Avoir « le blues », « un coup de cafard », « le moral dans les chaussettes »… De nombreuses expressions françaises décrivent la déprime, ce sentiment de tristesse passagère qui affadit tout, perturbe le sommeil et nous rend las et tendus. Nous y sommes tous confrontés, même les plus optimistes d’entre nous. Ce petit coup de mou n’a rien d’inquiétant. En quelques jours, la bonne humeur et le sourire sont de retour. Mais si le moment de déprime perdure plus que de raison et devient incompatible avec la vie quotidienne, alors ce peut être le signe d’une dépression qui s’installe. Mieux vaut consulter son médecin généraliste pour mettre des mots sur ses difficultés.

Les symptômes

Pour diagnostiquer la dépression, le médecin évalue certains symptômes et cherche à savoir depuis quand ils sont là. Les signes les plus courants sont la tristesse intense, la perte de plaisir, l’abattement, la grande fatigue, les difficultés de concentration, la perte d’appétit ou encore le sentiment d’inutilité. Plusieurs classifications de ces symptômes ont été proposées. La Haute Autorité de santé (HAS) en retient deux, dont la suivante, décrite dans la Classification internationale des maladies (CIM-10) et qui les divise en deux catégories.

Les symptômes principaux :

  • Perte d’intérêt, abattement
  • Humeur dépressive 
  • Perte d’énergie 
  • Augmentation de la fatigabilité.

Les autres symptômes :

  • Perspectives négatives et pessimistes pour le futur 
  • Diminution de l’estime de soi et de la confiance en soi 
  • Concentration et attention réduite 
  • Troubles du sommeil 
  • Perte d’appétit
  • Sentiment de culpabilité et d’inutilité 
  • Idées et comportement suicidaires.

Si au moins deux symptômes de chacune des catégories sont présents, le diagnostic de dépression est posé. En langage médical, on dit que l’épisode dépressif est caractérisé. Ces symptômes « doivent l’être durant une période minimum de 2 semaines, presque tous les jours », précise la HAS.

Un diagnostic plus délicat chez le sujet âgé

Un épisode dépressif se manifeste parfois par des signes plus diffus ou des plaintes somatiques, en particulier chez les personnes âgées. « Chez ces dernières, l’humeur triste n’est pas forcément au premier plan. On observe davantage de la fatigue, des insomnies, une perte de poids, des douleurs non expliquées par une pathologie sous-jacente, des plaintes de la mémoire, un retrait social, une majoration de l’utilisation des médicaments anxiolytiques, de l’alcool… Elles sont aussi plus irritables, peuvent adopter un comportement hostile ou des attitudes régressives », décrit le Dr Jean-Pierre Schuster, du service universitaire de psychiatrie de l’âge avancé au CHU de Lausanne (Suisse). Ces symptômes atypiques de la dépression compliquent son diagnostic. En outre, du fait de la plus haute fréquence des maladies chroniques et/ou neurodégénératives chez les personnes âgées, ces symptômes peuvent être confondus ou masqués par celles-ci.

Un lien avec l’anxiété

Par ailleurs, le syndrome dépressif est rarement isolé. De nombreux patients présentent également un trouble anxieux, qui correspond à une forte inquiétude sans lien avec un danger réel. Des pathologies si souvent concomitantes qu’elles sont parfois confondues. En réalité, ce sont deux maladies bien distinctes. Les troubles anxieux regroupent six troubles différents, parmi lesquels l’anxiété généralisée (sentiment persistant de persécution, inquiétude permanente et excessive). Dans la majorité des cas, l’anxiété précède la dépression, mais l’inverse se produit aussi. En tout état de cause, les deux pathologies coexistent souvent. Des relations de causalité sont même suspectées. Les neurosciences indiquent, d’ailleurs, qu’elles ont des mécanismes communs. Le rôle de la séro­tonine est mis en avant, ce qui expliquerait pourquoi certains antidépresseurs diminuent l’anxiété.

Divers degrés de sévérité

Ensuite, il est essentiel d’évaluer l’intensité de la dépression. Celle-ci dépend du nombre de symptômes et de leur retentissement dans le quotidien du patient : isolement, passivité, incapacité à aller au travail, à se nourrir, etc. Elle peut ainsi être qualifiée de légère, modérée ou sévère. Une désignation importante, car elle définit par la suite la prise en charge.

Une dépression est qualifiée de légère si le patient présente peu de symptômes (deux symptômes principaux et deux autres symptômes), si ces derniers perturbent peu son quotidien ou s’il réussit à poursuivre ses activités au prix d’un certain effort. Elle sera dite sévère si le patient présente une multitude de symptômes (trois symptômes principaux et au moins quatre autres), s’il a de grandes difficultés à continuer à travailler ou doit s’arrêter, à voir ses proches, à prendre soin de lui ou s’il est hanté par des idées suicidaires… Entre ces deux situations, la dépression est dite modérée.

Au moment du diagnostic, l’épisode dépressif peut d’emblée être modéré ou sévère. En effet, la dépression n’est pas une maladie qui évolue « en palier ». Une forme légère ou modérée n’évoluera pas forcément en une forme sévère. C’est pourquoi la prise en charge entre deux patients dépressifs sera bien souvent différente.

Êtes-vous à risque de dépression ?

Ce questionnaire, simple et rapide, a été conçu pour détecter la plupart des dépressions chez les seniors. Répondez aux 4 questions suivantes en vous resituant dans la semaine qui précède (et non dans la vie passée ou dans l’instant présent).

1. Vous sentez-vous découragé(e) et triste ?
2. Avez-vous le sentiment que votre vie est vide ?
3. Êtes-vous heureux (se) la plupart du temps ?
4. Avez-vous l’impression que votre situation est désespérée ?

Si vous avez répondu une fois OUI aux questions 1, 2, 4 ou NON à la question 3, il est probable que vous souffriez de dépression. Vous devriez consulter votre généraliste.
(Test adapté du « miniGDS pour Geriatric Depression Scale » de l’université de Standford aux États-Unis.)

LA TRAITER

Sortir d’un épisode dépressif demande du temps. La psychothérapie se déroule généralement sur 4 à 6 mois. Les anti­dépresseurs, lorsqu’ils sont nécessaires, mettent quelques semaines à faire effet. Les experts expliquent que la prise en charge d’une dépression peut se diviser en deux grandes périodes : le traitement d’attaque, en vue de la rémission ­complète des symptômes ; la phase de consolidation, d’une durée minimale de 6 mois, qui vise à prévenir la rechute.

Rebondir grâce à la parole

Quelle que soit l’intensité de la dépression, la psychothérapie fait partie intégrante de la prise en charge. « Le traitement médicamenteux ne se substitue pas à la psychothérapie », rappelle la HAS. Elle recommande des approches brèves et limitées à une quinzaine de séances. Elles sont réalisées par un psychologue, un psychiatre ou encore le médecin généraliste si le patient a pleine confiance en lui et préfère être suivi par lui.

Parmi toutes les méthodes existantes, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) sont celles qui ont le plus fait leurs preuves. Elles consistent à cerner les schémas de pensée négatifs que l’on observe chez les patients dépressifs : une autodévalorisation, la sélection préférentielle des mauvais souvenirs, l’exagération d’incidents mineurs, la conviction qu’ils ne peuvent échapper à la dépression, etc. Ces travers cognitifs guident leurs actions et renforcent leur mal-être. L’objectif est de leur d’apprendre à repérer ces pensées automatiques et négatives et, surtout, à les déconstruire et à en sortir.

Une autre approche a également été validée par de nombreuses études, il s’agit de la thérapie interpersonnelle (TIP). Elle se concentre sur l’impact d’événements récents (deuil, conflit dans le couple ou au travail, survenue d’une maladie…) et sur les relations avec les autres qui peuvent créer ou renforcer des pensées et des sentiments dépressifs.

La HAS recommande aussi la psychanalyse (mais sous forme de thérapies brèves) qui « a pour but de faire revenir au niveau conscient chez le patient, par la parole, les conflits et traumatismes enfouis dans l’inconscient à l’origine de troubles psychiques actuels ». Outre ces thérapies structurées qui ont pour objectif principal de traiter la dépression, la HAS préconise la psychothérapie de soutien. Cette technique repose sur une écoute empathique permettant au patient d’exprimer ses émotions et de lui apporter un soulagement immédiat. Elle passe le plus souvent par les médecins généralistes – près des trois quarts la pratiquent –et elle peut suffire. Si le praticien estime qu’une autre thérapie est nécessaire, il orientera alors son patient vers un psychologue ou un psychiatre.

En dehors des centres médico-psychologiques (CMP), les consultations de psychologues sont à la charge du patient. Certaines complémentaires les prennent en charge, mais très peu. Toutefois, depuis le mois de mars, les personnes couvertes par une complémentaire santé sont remboursées. Cette prise en charge va jusqu’à 60 € par séance dans la limite de 4 séances avant le 31 décembre 2021.

Soigner son assiette - Utile contre les symptômes légers

Les personnes dépressives ont une attirance plus prononcée pour le gras et le sucre, délaissent les fruits et légumes et perdent le rythme habituel des repas. Ceci crée un cercle vicieux : une mauvaise alimentation induit des carences qui accentuent les manifestations de la dépression. À l’inverse, bien manger et cuisiner sain et équilibré permet de diminuer les symptômes dépressifs légers chez les seniors. En outre, adopter une alimentation riche en oméga 3 (présents notamment dans les poissons gras), en vitamine B9 ou folates, en vitamine D, en association avec un antidépresseur, augmenterait les chances de guérison et diminuerait les risques de rechute. Au point que, depuis 2016, le réseau canadien de prise en charge des troubles de l’humeur et de l’anxiété (Canmat) encourage les médecins à évaluer l’état nutritionnel de leurs patients et à corriger, si besoin, des déficits.

Quand prendre des antidépresseurs

En plus de la psychothérapie, des médicaments peuvent s’avérer nécessaires en fonction de l’intensité de la dépression.

Pas utiles contre une dépression légère. Les dernières recommandations de la HAS préconisent de ne pas prescrire d’antidépresseur. L’usage de médicaments à base de millepertuis (Arkogelules millepertuis, Mildac, Procalmil…) peut être envisagé. Plusieurs essais ont montré une efficacité supérieure au placebo pour traiter un épisode dépressif léger à un dosage de 300 mg 3 fois par jour. Mais ces médicaments ne sont pas indispensables ni anodins. Gare aux interactions : le millepertuis est contre-indiqué en cas de prise d’anticoagulants oraux, de traitements contre le VIH, d’immunodépresseurs, de contraceptifs oraux ou encore de digoxine.

Moins risquée, et bien plus bénéfique, l’activité physique est vivement encouragée. Une étude a montré qu’une pratique régulière (endurance et renforcement musculaire au moins 3 fois par semaine) pendant 3 mois est aussi efficace qu’un traitement médicamenteux ou une psychothérapie. Mieux encore, 6 mois après la fin des traitements, les participants à l’étude du groupe « exercice » avaient un taux de récidive plus faible que ceux des groupes traités par médicaments, seuls ou en combinaison avec un programme d’entraînement. L’ajout d’un médicament n’apporterait donc pas d’amélio­ration. En fait, en cas de dépression légère, l’effet placebo des antidépresseurs est très marqué. Un effet qui disparaît lorsque les traitements sont interrompus. Ce qui n’est pas le cas de l’exercice. Ainsi, bouger fait mieux que les antidépresseurs pour guérir la dépression légère et éviter les rechutes !

Au cas par cas, contre une dépression modérée. Comme pour la dépression légère, la psychothérapie et l’adoption d’un mode de vie actif sont à privilégier. Un antidépresseur peut venir en soutien « selon l’impression clinique du praticien ou le choix du patient », indique la HAS. Après 2 mois de traitement, le médecin devra en évaluer l’effet. Si le patient est en rémission complète, il recommande de poursuivre l’antidépresseur de 6 mois à 1 an et de continuer la psychothérapie. En revanche, si la rémission est partielle, le médecin pourra soit augmenter la dose de l’antidépresseur, soit changer de molécules. En cas de persistance ou d’aggravation des symptômes, le diagnostic peut être réévalué.

Préconisés contre une dépression sévère. Dans cette situation, la prescription d’emblée d’un antidépresseur est recommandée. Le médecin généraliste doit aussi orienter le patient vers un psychiatre. Là encore, la stratégie est évaluée toutes les 4 à 8 semaines. En cas de rémission, le traitement devra se poursuivre au moins 6 mois. Mais si les symptômes s’aggravent, une hospitalisation peut être envisagée.

Quel antidépresseur ?

Cinq classes d’antidépresseurs sont disponibles aujourd’hui. « Il n’existe pas de différence d’efficacité clinique démontrée entre les différents types d’antidépresseurs », précise la HAS. Il est donc conseillé de prendre l’antidépresseur le mieux toléré à dose efficace.

Pour commencer, il est recommandé aux médecins de prescrire un médicament d’une des deux classes suivantes :

  • les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS). Ce sont les molécules citalopram (Seropram), escitalopram (Seroplex), fluoxétine (Prozac), sertraline (Zoloft)… Elles ont des effets secondaires tels que nausée, difficulté à dormir, nervosité, tremblements, troubles sexuels ;
  • les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN). Ce sont les molécules duloxétine (Cymbalta), venlafaxine (Effexor)… Elles ont des effets secondaires tels que nausée, somnolence, fatigue, constipation, sécheresse de la bouche.

« Chez les patients âgés, il est usuel de débuter par des posologies plus faibles que celles des sujets plus jeunes. La posologie peut être adaptée en fonction de l’efficacité et de la tolérance », explique le Dr Jean-Pierre Schuster.

Attention, les délais d’action des antidépresseurs sont longs. Leur efficacité se manifeste généralement entre la 3e et la 6e semaine, il faut donc s’armer de patience. Et elle n’est pas toujours garantie : environ un tiers des patients ne répondent pas aux premiers antidépresseurs prescrits.

En cas d’échec thérapeutique, les antidépresseurs imipraminiques (tricycliques), tels la clomipramine (Anafranyl) ou l’amitriptyline (Laroxyl), peuvent être utilisés, mais ils provoquent hypotension artérielle, rythme cardiaque irrégulier et convulsions. Il faut prendre garde à leur toxicité cardiovasculaire.

Puis viennent les antidépresseurs dits atypiques, tels l’agomélatine (Valdoxan), la mirtazapine (Noset) ou la tianeptine (Stablon), ayant eux aussi bien des effets indésirables.

Quant aux inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO), tels l’iproniazide (Marsilid) ou la moclobémide (Moclamide), ils ne sont utilisables qu’en tout dernier recours, en prescription spécialisée, du fait de leurs très nombreux effets indésirables et interactions médicamenteuses.

Comment arrêter les antidépresseurs

Contrairement aux traitements de l’anxiété (notamment les benzodiazépines), il n’y a pas de phénomène d’accoutumance. Toutefois, il existe une certaine forme de dépendance physique mais aussi psychique. De ce fait, l’arrêt d’un antidépresseur ne doit pas être brutal. La dose sera progressivement réduite, sur plusieurs semaines, et en lien avec le médecin pour éviter de voir surgir des troubles physiques (nausée, fatigue, maux de tête) et psychiques (anxiété, idées suicidaires). Des signes proches des symptômes de la dépression peuvent être pris, à tort, pour une rechute.

Lignes d’écoute gratuites et anonymes

  • France Dépression, accessible la semaine de 9 h à 12 h et de 14 h à 20 h, le samedi de 14 h à 20 h et le dimanche de 16 h à 20 h au 07 84 96 88 28
  • SOS Amitié, accessible 24 h/24, 7 j/7 au 09 72 39 40 50 ou par message sur leur site www.sos-amitie.com
  • SOS Suicide Phénix, accessible tous les jours de 13 h à 23 h au 01 40 44 46 45 ou par mail accueil@sos-suicide-phenix.org
  • Suicide Écoute, accessible 24 h/24, 7 j/7 au 01 45 39 40 00

Le suicide, un risque à part

Même si 60 à 70 % des personnes décédées par suicide souffraient d’une dépression, tous les patients gravement atteints ne font pas de tentative de suicide. « Les personnes suicidaires présentent des caractéristiques physiopathologiques, neuro-anatomiques et génétiques spécifiques. Aussi, la prise en charge d’un patient dépressif suicidaire et d’un dépressif devrait être différente », dit la Pr Émilie Olié, psychiatre au CHU de Montpellier. Il faut donc évaluer le risque suicidaire chez tous les patients dépressifs. « Un questionnement qui ne renforce pas le risque suicidaire,rassure-t-elle. Au contraire, il permet l’élaboration d’une stratégie de prévention comme un plan d’action d’urgence. » Conçu avec le patient, ce plan l’aidera à gérer une crise suicidaire. Il détaille les signes d’alerte, les situations à risque, mais surtout des stratégies (aller marcher, écouter sa musique préférée...) lui permettant de ne pas passer à l’acte. Si cela ne suffit pas, le plan contient la liste des proches ou des professionnels de santé à contacter.

Experts consultés : Dr Jean-Pierre Schuster, psychiatre au service universitaire de psychiatrie de l’âge avancé au CHU de Lausanne (Suisse) ; Pr Émilie Olié, psychiatre et responsable de l’équipe médicale « Troubles de l’humeur et personnalité borderline » au CHU de Montpellier.

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