jeudi 5 août 2021

Le suicide des enfants, un passage à l'acte inimaginable en nette augmentation

Laure Dasinieres — 

Les médecins observent une hausse des tentatives de suicide et du nombre de morts à la suite de ce geste désespéré depuis les confinements.

Depuis l'automne 2020, les médias s'émeuvent d'une augmentation des gestes suicidaires chez les moins de 15 ans. La cause est toute trouvée: les confinements successifs. Pour autant, si les chiffres sont là –«davantage d'enfants sont morts par suicide pendant la crise sanitaire qu'à cause du Covid, et on a constaté que les tentatives de suicide chez les enfants sont plus graves qu'à l'accoutumée», explique le Pr Delorme, chef du département psychiatrique pour enfants et adolescents à l'hôpital Debré à Paris nous aurions tort d'attribuer ces actes à une cause unique.


Julie Rolling, psychiatre, médecin référent du Centre d'accueil médico-psychologique pour adolescent (CAMPA) aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, martèle: «Ce sont des facteurs multiples qui s'accumulent, et qui contribuent à créer un état de souffrance extrême où l'enfant ne voit pas d'autres solutions.» Même si nous tentions de décliner l'ensemble des facteurs généraux inhérents à la crise sanitaire –désociabilisation, temps passé sur les écrans, cyberharcèlement, climat anxiogène, etc. nous n'aurions pas le début d'une explication sur les causes de ces passages à l'acte. Nous pourrions, a contrario, nous dire qu'ils sont simplement davantage pris en compte par les parents et les proches alors qu'ils sont à l'accoutumée tus ou conservés sous le couvercle du tabou.

Un impensable

La plupart des spécialistes s'accordent sur le fait que le suicide des enfants est largement sous-évalué, parce que nous n'arrivons pas, en tant qu'adultes, à imaginer que des êtres si jeunes puissent vouloir attenter à leurs jours. En matière de représentations, nous avons peu avancé depuis 1855 où le médecin Maxime Durand-Fardel écrivait«L'idée du suicide est si peu compatible avec celle de l'enfance, qu'on se résigne difficilement à voir, dans leur rapprochement, autre chose qu'une monstrueuse exception.» Il apparaît que, bien souvent, face à cet impensable, des suicides ou tentatives de suicide sont pris pour des accidents domestiques ou pour des conduites à risque et non pour des actes volontaires de la part des plus jeunes.

«On ne sait que très peu de choses sur la sujet», confirme Charles-Édouard Notre-Dame, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent au CHU de Lille. D'une part, la littérature scientifique souffre de lacunes à ce sujet. D'autre part, plane le risque que l'on ne soit pas capables d'envisager les capacités suicidaires d'un enfant. S'ensuit un manque de prise en charge adapté pour l'aider face à la détresse psychique à laquelle il est en proie. On rencontre aussi des cas où l'enfant est laissé dans une famille dysfonctionnelle et toxique et d'autres où l'on n'apporte pas le soutien dont devraient bénéficier des parents qui ne vont pas bien.

La mort, une conception abstraite

Il faut aussi comprendre que les enfants n'ont pas le même rapport à la mort que nous. «La représentation de la mort n'est pas encore stabilisée avant 7 ou 8 ans, signale Charles-Édouard Notre-Dame. L'enfant met un certain temps à comprendre qu'elle est irréversible. Et, dans son esprit, elle peut ne pas être corrélée avec la notion de suicide.» Il n'est pas nécessaire d'avoir une idée précise de la notion de mort pour désirer se suicider. Julie Rolling note cependant que l'entourage de l'enfant peut lui faire comprendre plus tôt ces concepts, par exemple lorsque les parents sont eux-mêmes dépressifs, qu'ils ont des idées noires et des propos suicidaires.

Les comportements mimétiques sont à prendre en compte, y compris via les médias. «Il y a souvent peu d'élaboration et de préméditation», ajoute la docteure. C'est-à-dire qu'il existe un très court intervalle stress-suicide et que l'acte est moins planifié que chez les adolescents et chez les adultes.

«L'enfant met un certain temps à comprendre que la mort est irréversible.»
Charles-Édouard Notre-Dame, psychiatre

Il arrive, mais cela reste rare, que des enfants soient capables d'échafauder des plans: «C'est vraiment très inquiétant si l'enfant a une idée précise de la manière dont il peut se donner la mort. Cela ne fait normalement pas partie de son corpus de connaissances, et cela signifie soit qu'il s'est renseigné, soit qu'il a appris ces conceptions au contact de son entourage.»

Il est impératif de comprendre que dans tous les cas, le moindre geste suicidaire chez un enfant témoigne d'un état de souffrance intense et aiguë, qui peut résulter de facteurs de vulnérabilité préalables auxquels s'ajoutent de facteurs directs. Notre-Dame explique que, dans la tête des enfants, il s'agit de se libérer: «Le suicide est vu par les plus jeunes comme le moyen de sortir d'un état de souffrance. Il ne faut jamais banaliser des mots ou des gestes. En général, il faut y entendre un message double: “Je veux mourir pour cesser de souffrir” et “Je veux que l'on m'aide parce que je souffre”. Pour autant, on ne peut y voir un simple appel à l'aide ou encore moins un chantage affectif.»

Des mots lourds de sens

Il faut absolument tordre le cou à l'idée reçue selon laquelle ceux qui parlent de suicide sont ceux qui ne passent pas à l'acte. «Il ne faut jamais prendre à la légère un enfant qui a des propos suicidaires, répète la Dr Julie Rolling. Au contraire, il faut le féliciter d'avoir eu le courage d'en parler et il faut absolument l'emmener consulter un spécialiste de la santé psychique.»

Le site CléPsy, développé par le service de psychiatrie de l'enfant et l'adolescent de l'hôpital Robert-Debré AP-HP, recommande: «Si votre enfant présente des idées noires, écoutez-le de façon bienveillante sans le juger. Vous pouvez également lui poser des questions ouvertement sur le suicide, cela n'induira pas de passage à l'acte, mais vous permettra d'évaluer le degré d'urgence de la situation. En cas d'idées suicidaires, il est important de consulter rapidement un médecin (généraliste, pédiatre, service d'urgences le plus proche de chez vous), qui pourra évaluer l'urgence de la situation.»

Ceci vaut également pour les tentatives de suicide qui ne donnent pas toujours lieu à une consultation, si l'atteinte physique n'est pas sévère. «Les parents peuvent en premier lieu amener leur enfant aux urgences ou chez le médecin traitant afin d'initier une prise en charge en pédopsychiatrie. L'hospitalisation, assez rare, se décide selon une balance bénéfices/risques, précise le Dr Notre-Dame. La prise en charge se fait selon les besoins de l'enfant: nous faisons tout ce que nous pouvons pour le protéger et le soigner en composant avec ce qui existe. En général, on commence par évaluer son état ainsi que le contexte familial et environnemental. En premier lieu, on propose une prise en charge psychothérapeutique, puis, éventuellement, un traitement médicamenteux. Il faut sortir de l'idée reçue selon laquelle on place l'enfant dans une camisole chimique.»

Les parents doivent être associés aux soins, plaide de son côté Julie Rolling, qui ajoute: «On tente toujours d'impliquer les parents dans la prise en charge, tout en respectant bien sûr le secret médical. On propose souvent aux parents de consulter de leur côté.» Cela ne signifie pas que les parents soient nécessairement en cause dans le désir suicidaire de leur enfant. Au contraire, «ils éprouvent souvent une culpabilité intense face au geste de leur enfant. C'est normal», rassure Charles-Édouard Notre-Dame.

Des moyens de prévention

Il existe des moyens de prévenir le suicide chez les enfants, sans pour autant que cela crée de la culpabilité chez les parents en cas de passage à l'acte. «Les parents connaissent leur enfant mieux que quiconque, explique le psychiatre. Il faut être vigilant à tout changement de comportement. Il peut s'agir d'un repli sur soi, d'un refus de jouer ou de voir ses amis. Il peut également, à l'opposé, s'agir d'une instabilité, d'une impulsivité, de comportements de mise en danger qui n'étaient pas là auparavant.» Les troubles du sommeil et de l'appétit ou l'apparition de troubles fonctionnels peuvent également être des signaux d'alerte auxquels il est important d'être sensible. Les moments de deuil ou de séparation sont aussi des facteurs de risque.

Dialoguer et, surtout, laisser parler l'enfant sans hésiter à aller chercher de l'aide auprès de professionnels, sont les meilleures, sinon les seules options face au mal-être qu'expriment ces signaux. La souffrance psychique ne s'évalue pas en fonction d'une courbe de croissance ou d'une toise murale. Un enfant peut très bien être dépressif ou anxieux. Il importe avant tout de l'aider. Et de parler.

Quelques ressources utiles pour les parents: 

CléPsy

Phare

Améli

À noter: un numéro national de prévention du suicide sera activé le 10 septembre 2021

Pour les enfants:

Fil santé jeunes


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