mardi 31 août 2021

Le métabolisme humain revisité, de la naissance au quatrième âge

Par   Publié le 30 août 2021

En mesurant les dépenses énergétiques de près de 6 500 personnes âgées de 8 jours à 95 ans, sur quarante ans, une équipe internationale a identifié quatre périodes de la vie, et invalide nombre d’idées reçues. 

Comment nos dépenses énergétiques varient-elles avec l’âge ? La réponse, publiée dans la revue Science du 12 août, a été mesurée chez 6 421 personnes âgées de 8 jours à 95 ans – dont 64 % de femmes – originaires de vingt-neuf pays.

Elle révèle plusieurs surprises. Vous pensiez que la puberté, la trentaine ou la quarantaine et la ménopause marquaient autant de ruptures dans nos dépenses énergétiques de base ? Eh bien non. « Cela peut sembler étrange, mais le calendrier des différentes périodes métaboliques de notre vie ne coïncide pas avec ces étapes majeures de l’existence », résume Herman Pontzer, de l’université Duke, à Durham (Etats-Unis). Il est le premier auteur de cette étude internationale coordonnée par John Speakman, de l’université d’Aberdeen (Royaume-Uni).

Les chercheurs ont eu recours à une technique de référence – fiable, précise et non invasive – utilisée depuis les années 1980 pour mesurer la dépense énergétique humaine, en situation de vie quotidienne. Il s’agit de la « méthode de l’eau doublement marquée ». Le principe : la personne ingère une dose d’eau enrichie en deux isotopes stables (non radioactifs), le deutérium (2H) et l’oxygène 18 (18O). Sur des échantillons d’urine prélevés régulièrement durant une à trois semaines, on mesure la cinétique d’élimination de ces deux isotopes. Cela permet de calculer la quantité de gaz carbonique (CO2) produit, d’où l’on déduit les dépenses énergétiques. Cette méthode, cependant, nécessite un traceur et des analyses en spectrométrie de masse, longues et onéreuses. D’où l’intérêt de cette mise en commun des données collectées par une demi-douzaine de laboratoires depuis quarante ans.

Des bébés très dépensiers

Leur analyse dessine un modèle en quatre étapes, une fois les données moyennées et ajustées selon la masse maigre de chacun.

La petite enfance, d’abord. A masse maigre égale, les tout-petits présentent les dépenses énergétiques maximales – qui grimpent en flèche durant la première année de vie. Entre l’âge de 9 et 13 mois, elles sont 50 % plus élevées que celles des adultes, toujours à masse maigre égale. Est-ce parce que les enfants triplent leur poids de naissance durant leur première année de vie ? Pas seulement. « Il se produit, à l’intérieur des cellules d’un bébé, des processus qui les rendent plus actives – et dont nous ignorons la nature », observe Herman Pontzer.

Ce métabolisme très énergivore expliquerait en partie pourquoi les carences alimentaires, durant cette période-clé, entraînent de sévères troubles de croissance qui peuvent engager le pronostic vital.

Après l’âge de 1 an, le niveau du métabolisme humain décroît lentement – d’environ 3 % par an – jusqu’à l’âge de 20 ans. C’est là une autre surprise : même la puberté, avec ses bouleversements hormonaux et son impressionnante poussée de croissance, n’infléchit pas cette lente chute. Les besoins énergétiques propres à cette période continuent de décroître, une fois la taille corporelle prise en compte. Cet infléchissement est sensible même chez des étudiants de 18 à 20 ans. « Quand ils terminent leur master, ils brûlent moins de calories que quand ils l’ont commencé », indique au New York Times Samuel Klein, de l’université Washington de Saint-Louis (Etats-Unis), qui n’a pas participé à l’étude.

Quant à la suite, elle livre un autre sujet d’étonnement. On croit souvent qu’à partir de la trentaine la prise de poids est une fatalité. « La faute au métabolisme » ? Fausse excuse ! La sédentarité et/ou une alimentation trop riche, bien plus sûrement, expliquent un tour de taille épaissi à la trentaine ou à la quarantaine. Mais pas le métabolisme. Car, durant quatre décennies, de 20 à 60 ans, le niveau de nos dépenses énergétiques est remarquablement stable. Même la grossesse, en soi, n’affecte pas les besoins énergétiques de la future mère, si l’on prend en compte le poids croissant de l’enfant à naître.

Un seul chiffre, pour illustrer ces dépenses. Pour un jeune adulte dont la masse maigre est de 40 kilos, par exemple, les dépenses énergétiques totales atteignent un maximum d’environ 10 mégajoules (2 388 kilocalories) par jour, dont 50 % à 70 % sont brûlés par le seul métabolisme de repos.

Autre idée reçue à revoir : le niveau métabolique des femmes, en réalité, est comparable à celui des hommes, à masse maigre égale. Par ailleurs, les niveaux de métabolisme varient, bien sûr, selon les individus. Certaines personnes montrent des niveaux supérieurs de 25 % à la moyenne de leur âge ; pour d’autres, ils sont inférieurs de 25 %. Mais ce modèle en quatre étapes reste valide lorsque les niveaux individuels d’activité physique sont pris en compte.

Après 60 ans, les cellules au ralenti

Ce n’est qu’à partir de la soixantaine que le niveau du métabolisme adulte commence à décroître, d’environ 0,7 % par an. La perte de la masse musculaire (sarcopénie) explique en partie ce lent déclin : les muscles brûlent plus de calories que le tissu adipeux. Mais cela ne fait pas tout. « Une fois la masse musculaire prise en compte, ce déclin persiste. Il provient donc d’un fonctionnement ralenti des cellules elles-mêmes », indique Herman Pontzer.

« L’incidence des maladies chroniques non infectieuses commence à croître à la soixantaine, et cela ne peut pas être une coïncidence »,relèvent de leur côté, dans Science, Timothy Rhoads et Rozalyn Anderson, de l’université du Wisconsin, à Madison (Etats-Unis). Un métabolisme plus lent, à partir de 60 ans, pourrait s’expliquer par une physiologie altérée du cœur, du foie, des reins ou du cerveau, des organes qui consomment 65 % de l’énergie que nous dépensons au repos.

La soixantaine marquerait donc un point de rupture. Pour autant, « il faut attendre l’âge de 90 ans pour voir nos dépenses énergétiques chuter de 26 % : c’est ce qui m’a le plus surpris », confie Philippe Froguel, de l’Imperial College à Londres (Royaume-Uni) et de l’Institut Pasteur de Lille (CNRS), qui n’a pas participé à l’étude. Il est permis de trouver ce fait rassurant.

Quid des retombées médicales de cette analyse ? Elle ne change rien à ce sage constat : quand une personne grossit, c’est qu’elle ingère plus de calories quelle n’en dépense. Mais l’étude pourrait conduire à mieux ajuster les doses d’un médicament chez l’enfant et chez la personne âgée, par exemple. Elle devrait aussi conduire à revoir les modèles de recherche sur les maladies liées à l’âge. « Les voies métaboliques faciles à cibler chez les jeunes animaux en phase de croissance ne sont sans doute pas aussi sensibles ni réactives chez les animaux plus âgés », estiment Timothy Rhoads et Rozalyn Anderson. Une humanité débarrassée du fléau des maladies liées à l’âge : ce n’est certes pas pour demain, mais cette étude trace peut-être une ébauche de piste vers ce lointain Graal.




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