mardi 17 août 2021

Erosion du désir, impuissance, déprime… Des hommes lèvent le voile sur le tabou de l’andropause

Par    Publié le 21 août 2021

Bien des hommes connaissent, avec l’âge, des signes proches de ceux de la ménopause. Mais ils restent désemparés et silencieux, faute de considération pour ce phénomène physiologique et social impensé. Cinq d’entre eux se sont confiés au « Monde ».

Le jeune homme, abdominaux sculptés et pectoraux saillants, sourit vers l’horizon, la vingtaine fière. Mathias – les hommes interrogés ont souhaité conserver l’anonymat – observe le cliché en noir et blanc dans son salon montreuillois, en désignant le léger renflement qui tend désormais son tee-shirt et les sillons sur son visage.

« C’est plus ce que c’était », préfère plaisanter l’ancien acrobate, 46 ans aujourd’hui, informaticien et père de trois garçons. Ces « affres du temps »et leurs « désagréments » ne l’auraient pas tellement troublé si sa compagne ne lui avait confié, voilà un an, sa crainte de ne plus le sentir désirant, cachant peut-être une attirance pour d’autres, plus jeunes ? Mathias n’aime pourtant qu’elle. Mais ne désire plus tout court…

La bascule fut plus abrupte pour Laurent : un matin, son corps a lâché « burn-out de tout », dit le quinquagénaire, formateur dans le Gard. Peut-être surtout des injonctions à la performance pesant sur ses épaules d’homme. « Etre un bon salarié, un bon amant, un bon père, un bon fils, avoir un bon niveau social. Un homme fort, un vrai, qui assure sans jamais faillir », égrène-t-il. Quand soudain : « dépression, plus capable de rien et sexuellement le néant ».

A 67 ans, François, médecin généraliste, évoque lui un « glissement »renvoyé en miroir par les patients de son âge : « coup de vieux », spleen, embonpoint, perte musculaire, osseuse, de pilosité, nuits agitées, sueurs, bouffées de chaleur, problèmes de prostate… Ces femmes « qui ne vous regardent plus », ces fils « qui vous distancent à vélo ». Et ce « ça ne fonctionne plus en bas », balbutié tête basse, pour ne pas prononcer le mot qui entaille la virilité : « impuissance »« On ne se sent plus l’homme qu’on était, limité, l’impression d’entrer dans l’antichambre de la vieillesse », poursuit Eric, 69 ans, divorcé et fonctionnaire retraité en Bretagne. « Une chandelle s’éteignant », complète Jean-Pierre, 76 ans, ancien proviseur en banlieue.

Déficit androgénique

Ce ne sont que cinq hommes parmi tant d’autres partageant ce même bouleversement hormonal si souvent tu. Ils parleront de « crise de la cinquantaine », d’« âge critique », de « retour d’âge ». Moins d’andropause, ce terme dont peu sont coutumiers avant d’y être confrontés.

Mathias l’a découvert en cherchant sur Internet s’il existait « un équivalent de la ménopause pour les hommes ». Désemparé, Jean-Pierre n’en aurait peut-être pas entendu parler s’il n’était tombé, dans une revue de sa mutuelle, sur cet article « providentiel » signé par son futur andrologue : « pour la première fois, je me sentais compris en tant qu’homme ». Il réalisait avoir, lui aussi, des hormones, qui pouvaient être fluctuantes.

Mal considéré et défini faute de consensus médical, impensé et tabou entachant l’imaginaire de la puissance physique, sexuelle et procréative masculine, prétendue éternelle… Le déficit androgénique, soit un déclin progressif de la production de testostérone, hormone-clé du désir et de l’humeur, touche pourtant bien des hommes, avec l’âge.

Ce phénomène physiologique débuterait autour de la trentaine, à raison d’une baisse annuelle moyenne de 1 %, sans effet notable. Avant d’affecter, en vieillissant, certains hommes – tous n’étant pas concernés. Difficile de déterminer précisément sa prévalence : l’andropause toucherait 1 % à 5 % des hommes entre 40 et 50 ans, 5 % à 10 % entre 50 et 60 ans, plus de 20 % des 60-70 ans et plus de la moitié après 70 ans, selon les estimations. Plus rarement les plus jeunes. Avec des variations des uns aux autres : plus ou moins marquée, rapide, précoce, accentuée par des événements.

Usuel, le terme andropause – du grec andros (« le mâle »), pausis (« la cessation ») – est toutefois jugé inadéquat par les spécialistes : entre autres dénominations – « déficit androgénique lié à l’âge », « hypogonadisme » –, ils lui préfèrent celui de « syndrome de déficit en testostérone », qui permet de tenir compte du caractère progressif, partiel et inconstant de la diminution des fonctions testiculaires, par contraste avec l’arrêt complet et définitif de la fonction ovarienne et reproductive survenant de manière systématique à la ménopause, selon l’Association française d’urologie (AFU) et la Société francophone de médecine sexuelle. Ces dernières ont rédigé de récentes recommandations pratiques, espérant améliorer sa reconnaissance et sa prise en charge.

« Symptômes polymorphes »

Car ce déficit, courant, n’en demeure pas moins sous-diagnostiqué, faute d’être bien recherché : au carrefour de plusieurs spécialités, souffrant du faible réflexe à tester la testostérone en France, du défaut de normes précises et de la réticence de certains praticiens à le traiter, requérant une prise en charge globale qui ne peut être réduite à un simple problème mécanique…

Lorsque Mathias a suggéré l’andropause, sa femme, ménopausée, a eu « du mal à croire que ça existait chez les hommes », questionnant plutôt ses apnées du sommeil ou son stress. Son généraliste l’a orienté vers un pneumologue : malgré sa chute de libido mentionnée, l’andropause n’a pas été évoquée. Au contraire, le médecin de Laurent l’a encouragé à consulter un spécialiste.

« Toute la difficulté va être d’y penser face à des symptômes polymorphes, souligne Antoine Faix, urologue et andrologue, membre actif de l’AFU. Les troubles sexuels sont les plus évidents mais il ne faut pas négliger ceux psychiques et métaboliques – certains étant proches de ceux de la ménopause. Ou d’autres : ostéoporose, anémie, diabète… » Pour poser un diagnostic, les signes cliniques doivent être confirmés par un double dosage sanguin de la testostérone. Le cas échéant et sauf contre-indications (cancer de la prostate, du sein), urologues, gynécologues ou endocrinologues peuvent éventuellement proposer un traitement hormonal substitutif – dont certains sont remboursés.

Mais combien d’hommes parviendront à verbaliser ces maux intimes blessant leur masculinité, à franchir le cap de consulter, à savoir vers qui se tourner et à trouver confiance ? « Lequel vous parlera de son andrologue, comme une femme de son gynécologue ?, demande Lucien Chaby, qui exerce, fait rare, gynécologie et andrologie. Comme si les hommes étaient des êtres an-hormonaux, égaux à eux-mêmes, sans variations cycliques. »Dans son cabinet de banlieue populaire, son ancienneté rassurant, François tente d’accoucher la parole, retenue par les interdits culturels. Viagra et Cialis sont rarement demandés, il les propose.

L’homme derrière le stéthoscope n’arrive pourtant pas, chez lui, à briser le « non-dit » avec son épouse, malgré trente-sept ans de noces, deux enfants, l’amour intact. Elle a traversé sa ménopause en silence et cache maintenant son corps ; lui raille ses « érections peu vaillantes » avec les copains. Plus commode que de dire la tristesse et la gêne de « ce corps qui n’obéit plus comme avant ». L’acte sexuel devenu « un défi face à l’angoisse »inhibant chaque tentative. Etreindre sa compagne lui manque, pourtant ; belle, toujours, avec quelques kilos en plus, cheveux poivre et sel. Lui ne veut pas s’administrer de pilules, garde l’espoir que la retraite approchante leur offre de se retrouver, d’apprivoiser leur vieillissement, de « se réinventer ». Après avoir soutenu sa femme dans son climatère, Mathias ne doute pas qu’elle comprendra à son tour le sien.

« Oser en parler »

Plus que ses injections de testostérone, cette résilience du couple permet aussi à Laurent de « reprendre doucement [s]a place d’homme ». Plus jeune, sa compagne n’est pas ménopausée. Elle l’aide toutefois à repenser cette « pression de la pénétration, qu’elle ne cherche pas tout le temps », l’invitant à plus investir les préliminaires, à oser se laisser faire. Difficile apprentissage pour ceux, peu habitués à la passivité, qui se sentent « disqualifiés », « dévalorisés » au point de ne plus oser entreprendre. « C’est elle qui vient me chercher, confie-t-il. Notre sexualité étant basée sur la pénétration, ça touche à l’homme que l’on est. Quand la ménopause va surtout impacter la reproduction. »

Sa supplémentation hormonale ne suffirait pas sans soutien psychologique en face. « Réaliser qu’on n’est pas seul, que jouent le psychique et les hormones, déculpabilise », dit-il, invitant à « oser en parler ». La méconnaissance des hommes de leur vécu corporel reste un frein important au recours à la consultation. Au contraire des femmes, historiquement médicalisées et tôt familiarisées à la culture du dépistage.

Comme Mathias, d’autres confient que l’andropause peut au contraire être « libératrice et reposante » : ils ne se sentent plus « le pantin » de leurs hormones et de leurs frustrations. Certains s’affranchissent enfin de ce rôle de « chasseur » qui les emprisonnait. Malgré ces « signes de déclin lui rappelant [s]a mortalité » et l’« ennuyeuse » remise au sport, Mathias se sent plus confiant et solide à 46 ans qu’à 20, avec ses attributs virils d’alors. Curieux, aussi, de la forme que prendra son désir d’après, qu’il devine « plus doux et tourné vers elle ».

Ce « cap » franchi, Eric n’a pas de mal à se présenter à ses partenaires comme « un homme andropausé : qu’elles ne se sentent pas en cause si ça ne marche pas ». Une acceptation décomplexée qui veut « rendre visible le vieillissement masculin et sortir du déni : pourquoi être mortifié ? Ce n’est pas une maladie et ça ne ferme pas la voie du plaisir ».

De là à libérer la parole masculine, le chemin semble long, quand la ménopause elle-même, longtemps reléguée, commence enfin à se raconter. Après des années harassantes entre la gestion d’un lycée difficile et de sa femme lourdement handicapée, Jean-Pierre a, grâce aux traitements, « retrouvé un corps et un esprit vifs, le goût de vivre, randonner, peindre, désirer ». Les jugements essuyés témoignent néanmoins de résistances fortes dès qu’on touche aux hormones – la controverse des traitements pour la ménopause n’est pas loin. « Comme si je n’acceptais pas de vieillir, je me dopais. Or ce n’est pas un accès de jeunisme ni vouloir être un surhomme, juste retrouver une vie agréable », appuie-t-il. Las, aussi, de « ce mythe phallocratique prêtant à l’homme d’être toujours désirant, quand notre sexualité peut être précaire ; de ces vieux beaux qui se défaussent sur la femme vieillissante ».

« Il faut sortir le traitement en testostérone du champ de la sexualité, insiste M. Faix. On peut certes vieillir heureux sans, avec un taux bas. Là, il ne s’agit pas de surdosage anabolisant ou de cure de jouvence pour performer, mais de ne pas condamner à la dégénérescence ceux qui souffrent de troubles gênants. » Il rappelle aussi que ce déficit peut exposer à des risques (cardiovasculaire, osseux…), être associé à un syndrome dépressif, justifiant de traiter certains.

Ces hommes-là joueront-ils un rôle de transmission avec leurs fils, tandis que leurs pères à eux n’ont pu parler ? Mathias a confié à ses garçons avoir découvert l’andropause. François, Jean-Pierre et Laurent préfèrent encore préserver les leurs, mais trouveront les mots « en temps voulu ». Paroles d’hommes.


Pour aller plus loin

« Andropause ton gun », une sombre histoire d’hormones, troisième épisode de « La série documentaire » (LSD) ; « Andropause : eh bien, bandez maintenant ! », « Les Pieds sur terre », France culture, mars 2021.

« La santé sexuelle masculine », Morgan Roupret, urologue et andrologue, « Les Discussions du soir avec René Frydman », France culture, 2017.

« Andropause et ménopause : une comparaison des images de la vulgarisation médicale francophone »,Virginie Vinel, 2007, Féminin, masculin : anthropologie des catégories et des pratiques médicales, archives HAL-SHS.

« Andropause et ménopause : la sexualité sur ordonnance », Véronique Moulinié, 2013, Clio, Femmes, Genre, Histoire (n° 37).

L’Andropause, une vérité qui dérange ?, Lucien Chaby, 2008, Ellipses.

« Garder le cap. Corps, masculinité et pratiques alimentaires à “l’âge critique” », Nicoletta Diasio, Vulca Fidolini, 2019, Ethnologie française (Vol. 49).


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