vendredi 20 août 2021

Baie-Mahault, Sarreguemines : quand des prisons tentent de récompenser les détenus qui se font vacciner

par Anaïs Condomines  publié le 19 août 2021

Plusieurs prisons ont tenté de mettre en place un dispositif de réduction de peine pour les détenus justifiant d’un parcours vaccinal complet. En vain : en Guadeloupe, comme à Sarreguemines dans le Grand-Est, l’initiative a été avortée. 

Au centre pénitentiaire de Baie-Mahault, en Guadeloupe, la petite fiche n’est pas passée inaperçue. Début août, un formulaire est distribué aux 620 détenus que compte l’établissement. Dans un contexte de flambée des contaminations sur l’archipel, la vaccination contre le Covid-19 leur est proposée – il suffit pour cela de cocher une case – ou plutôt, très fortement conseillée. En bas du formulaire apparaît en effet cette précision, indiquant que «l’attestation de vaccination sera prise en compte dans les dossiers de demandes de permission, d’aménagement de peine et l’octroi des RPS [réduction de peine supplémentaire, ndlr]».

L’info, parvenue aux oreilles des anti-pass, fait polémique : ils y voient une forme de «chantage à la vaccination». Même si, dans les faits, un octroi de RPS n’équivaut pas systématiquement à un ticket de sortie. Dans le système judiciaire français, il existe deux types de réduction de peine. La première, automatique, s’applique à tous les détenus. Elle est calculée en fonction de la durée de la peine. La seconde, la réduction dite «supplémentaire», s’ajoute au dispositif automatique. Elle est uniquement accordée sous certaines conditions, dans le cas où le détenu manifeste des «efforts sérieux de réadaptation sociale», laissés à l’appréciation du juge d’application des peines (JAP). Dans ce cas précis, la vaccination est en fait considérée comme un geste citoyen, un effort vers la réinsertion.

Mais pour les syndicats, la démarche est bancale«Ce document émane du chef d’établissement» fait savoir à Libé Jean-Jacques Racamy, le secrétaire général Ufap-Unsa Justice de Guadeloupe, qui espère qu’une concertation a été mise en place avec les acteurs judiciaires. «On ne sait pas si les magistrats ont été mis au courant et s’ils prendront réellement en compte le certificat de vaccination dans l’appréciation des remises de peine. Il faut que l’administration respecte ses engagements, sinon ça peut faire exploser la prison.»

Craintes fondées

Une promesse de récompense jamais honorée ? Les craintes syndicales s’avèrent en partie fondées, car dès le 16 août, l’initiative n’était déjà plus d’actualité et le formulaire bien vite remballé dans les cartons. Le ministère de la Justice, sollicité par Libération, confiait alors : «Il s’agit d’une initiative locale qui ne correspond pas aux directives de l’administration pénitentiaire.» Vérification faite : cette proposition d’octroi de RPS post-vaccination n’a lieu dans aucun autre établissement, nous assure-t-on encore.

Pourtant, au-delà du cas en Outre-mer, une initiative similaire est portée à notre connaissance, cette fois-ci en métropole. A la maison d’arrêt de Sarreguemines, dans le Grand-Est, la mesure est communiquée aux détenus dès le 10 août dans la soirée. Et a le mérite d’avoir été élaborée conjointement par la cheffe d’établissement, le juge d’application des peines et le parquet de Sarreguemines, en une concertation soignée. La note aux détenus, que Libération s’est procurée, propose alors jusqu’à deux mois de réduction supplémentaire de peine, en échange de la justification d’un parcours vaccinal complet. Très concrètement, les prisonniers ayant reçu leurs deux doses de vaccin doivent «transmettre immédiatement leur attestation de vaccination remise par l’unité sanitaire au greffe de la maison d’arrêt, afin d’être audiencés à la prochaine commission d’application des peines». La mesure concerne chaque détenu qui dispose d’un reliquat de réduction supplémentaire de peine (tout prisonnier dispose de trois mois par an, deux en état de récidive légale) à l’exception, indique toutefois la note, des «détenus condamnés pour des faits commis au sein de la sphère familiale et les détenus condamnés pour des faits de nature sexuelle».

«Insécurité juridique»

Quant à ceux qui refusent la vaccination, le document ajoute qu’ils ne «seront nullement pénalisés», cette procédure étant «bien entendu non exclusive de la procédure classique d’étude des réductions supplémentaires de peine». Comprendre : les efforts de réinsertion comme l’indemnisation des victimes, le suivi d’activités ou d’un travail en détention, devraient de toute manière être pris en compte dans les réductions de peine comme d’habitude, pour tous les détenus, vaccinés ou non. La note poursuit : «Ils bénéficieront juste du traitement de droit commun, à l’inverse des détenus non vaccinés qui pourront prétendre à la procédure exceptionnelle dont la mise en œuvre doit se comprendre comme un dispositif visant à encourager la vaccination, dans le but d’atteindre l’immunité collective.» Procédure visant, selon le juge d’application des peines de Sarreguemines, «à valoriser le sens de la responsabilité collective chez les détenus» et récompensant «un effort sérieux de réadaptation sociale comme le souhaite le législateur».

La mesure aurait dû s’appliquer dès la commission d’application des peines de septembre prochain, mais là encore, elle ne verra jamais le jour. L’expérimentation a tenu une dizaine de jours avant d’être stoppée dans son élan. Quelques heures après notre sollicitation du ministère pour réaction, Olivier Glady, le procureur de Sarreguemines nous informe «se désengager» du projet. Motif : une «insécurité juridique susceptible d’affecter les décisions rendues par le juge d’application des peines», qui aurait été repérée suite à «une analyse juridique complémentaire intervenue depuis la diffusion initiale de la note». En fait, selon une source proche du dossier, un problème d’égalité de traitement par rapport aux détenus d’autres établissements, posé par l’automatisation d’une récompense dans le cadre d’une procédure de réduction de peine qui doit, justement, s’appliquer au cas par cas. Officiellement, le ministère de la Justice se limite au même constat que celui émis lors de l’épisode Baie-Mahault : «C’est une initiative locale. La loi fixe les critères de réductions de peine, que le juge apprécie individuellement.»


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