dimanche 1 août 2021

A gauche, le combat féministe balance entre espoirs et malentendus

Par   Publié le 30 juillet 2021

L’élue EELV Alice Coffin manifeste, devant l’hôtel de ville de Paris, en faveur de la démission de Christophe Girard, le 2 février 2021.
Sans faire consensus à gauche, la question féministe fait son apparition dans les débats en vue de l’élection présidentielle et divise, au nom de l’universalisme, au risque d’occulter la réalité des luttes.

C’est presque devenu un passage obligé pour les candidates et candidats, affichés ou probables, à l’élection présidentielle. Le mouvement #metoo les amène à prendre en compte, de près ou de loin, un combat féministe difficile à passer sous silence. A gauche surtout, le féminisme fait son apparition dans les professions de foi, mais si beaucoup l’emploient, rares sont ceux qui s’accordent sur sa définition.

Pour faire discuter les gauches de féminisme, rien de tel que la dernière interview accordée au magazine Elle par Emmanuel Macron. Début juillet, le chef de l’Etat jugeait l’extension du délai d’avortement à seize semaines « traumatisant », ou se montrait défavorable au « crop top » à l’école. Quant au féminisme, le sien« est un humanisme », disait-il. « Je suis du côté universaliste. Je ne me reconnais pas dans un combat qui renvoie chacun à son identité ou son particularisme. » Sur la question féministe, comme sur celle de l’antiracisme, le débat pour la présidentielle est traversé par la question de l’universalisme, au risque d’être caricaturé par ses opposants en énième controverse « islamo-gauchiste ».

Cette réduction du débat, les gauches s’en accommodent parfois, la dénoncent aussi. Ainsi, le chef de file de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon. Lors d’une conférence de presse, le 1er juillet, le candidat a réagi à l’interview d’Emmanuel Macron : « Il y avait plus intelligent à trouver, quand le féminisme fait l’objet de mobilisations spécifiques, d’un discours qui vient interpeller tous les compartiments de la société, que d’essayer de le diluer dans une autre formulation, la pire qui soit : opposer l’universalisme aux composantes différentes qui en constituent l’essence et la raison d’être. » Ou le féminisme, sujet de débat entre des candidats… masculins.

Vieilles amitiés politiques bouleversées

Sandrine Rousseau, candidate à la primaire écologiste, relève le manque de modestie généralisée de ses collègues masculins quand il s’agit de se dire féministe, ou plutôt allié des féministes selon la terminologie en cours à Europe Ecologie-Les Verts (EELV). « Je suis capable de considérer un homme comme un allié dès lors qu’il n’utilise pas le féminisme pour garder le pouvoir », tranche-t-elle.

Lanceuse d’alerte dans l’affaire de harcèlement et d’agressions sexuelles visant Denis Baupin en 2016, l’économiste et ex-secrétaire nationale adjointe d’EELV a quitté le parti en 2017. De retour depuis septembre 2020, elle note que, loin d’avoir bouleversé les structures de pouvoir, l’affaire Baupin a consacré l’émergence de figures masculines au sein des écologistes. Des hommes qui proclament leur engagement féministe – à l’instar d’Eric Piolle, qui a lancé sa campagne en se disant « fils de féministe, frère de féministe, père de féministe » – mais des hommes quand même.

Aussi, dans une optique écoféministe, qui dresse des parallèles entre la surexploitation de la planète et la domination des femmes, la candidate appelle à « déconstruire » les rapports de pouvoir au sein des partis. Une urgence encore illustrée selon elle par les récentes accusations de harcèlement portées dans Mediapart par d’anciens collaborateurs de la sénatrice EELV Esther Benbassa. « L’écologie politique n’est pas un projet violent, on ne peut pas se permettre de laisser des faits pareils se produire, sinon on est donneur de leçons. C’est une image négative que l’on a, ce n’est peut-être pas un hasard », estime Mme Rousseau.

Il n’y a pas qu’à EELV que les discours sur le féminisme se heurtent à la réalité du personnel politique. A la Mairie de Paris, Anne Hidalgo a ainsi été acculée par des membres écologistes de sa majorité à désavouer son ancien adjoint à la culture, Christophe Girard, entendu dans le cadre de l’affaire Gabriel Matzneff. Aux pancartes « Bienvenue à Pedoland » sous les fenêtres de l’Hôtel de ville, à l’indignation de la maire, a finalement succédé la mise en retrait de l’ex-adjoint. Les temps changent, et bouleversent de vieilles amitiés politiques.

Pour Alice Coffin, élue EELV au Conseil de Paris et soutien de Mme Rousseau, si ce combat-là a été gagné, d’autres – le dernier en date est une polémique autour du « bal des migrants » organisé par une association parisienne – testent régulièrement les relations entre la maire et les élus écologistes. « Rapporter que nous ne sommes pas universalistes, ça ne repose sur rien… J’espérais que ce discours-là serait mort avec Manuel Valls au PS », dit-elle.

Les méthodes de militantes déplaisent

Au Parti socialiste, ce sont d’abord les méthodes des militantes qui déplaisent. « C’est quoi ça ? Des gens de votre propre majorité qui viennent manifester contre vous ? », s’interroge un cadre de l’appareil socialiste. Sur le fond, on convient de la nécessité de se séparer des hommes mis en cause. Une poignée de candidats aux municipales ont ainsi été désinvestis pour des mises en cause dans des affaires de harcèlement ou d’agressions sexuelles ou sexistes.

Aux élections départementales, Jean-Michel Baylet, accusé de viol sur mineur, a été élu mais n’a finalement pas brigué la présidence du conseil départemental de Tarn-et-Garonne. « La première des pratiques, pour qu’un parti se dise féministe, c’est de rompre avec les hommes mis en cause dans des affaires de violences sexuelles ou sexistes », résume la sénatrice Laurence Rossignol, ancienne ministre aux droits des femmes de François Hollande.

Reste la question de l’universalisme, qui continue d’alimenter l’image d’une gauche divisée, comme pendant la campagne des régionales, où Audrey Pulvar a été désavouée par la direction du PS pour avoir estimé que l’on pouvait demander aux personnes blanches, dans des réunions non mixtes, « de se taire ». Anne Hidalgo avait pour sa part, à l’époque, jugé « dangereux » le principe de la non-mixité. En matière de féminisme plutôt que d’antiracisme, les enjeux de parole sont identiques, à la différence près que #metoo a fait de la place à la parole des femmes. « #metoo a imposé que les victimes parlent et que tout le monde se taise pour les écouter », analyse Mme Rossignol, pour qui « il n’y a pas de contradiction entre non-mixité et universalisme ».

Candidate à l’élection présidentielle par le biais de la primaire écologiste, Delphine Batho estime quant à elle que si les féministes bousculent les appareils politiques, ce n’est pas parce qu’elles remettent en cause la République mais parce qu’elles agissent en radicales. « C’est un autre débat, celui de la radicalité dans les combats. A la Mairie de Paris, si elles n’avaient pas été là, même si leur mode d’action est dérangeant, ça n’aurait pas bougé. » En participant à la primaire écologiste, l’ancienne ministre entend notamment rendre « majoritaires » les combats des minorités et« apporter un débouché à cette radicalité féministe ».


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