lundi 5 juillet 2021

Protection de l'enfance Accès au logement : les anciens enfants placés sans toit ni loi

par Margaret Oheneba   publié le 5 juillet 2021 

Alors que 36% des SDF âgés entre 18 et 25 ans sont passés par la protection de l’enfance, la question de l’accès au logement des anciens mineurs placés est l’une des grands oubliées du projet de loi porté par le secrétaire d’Etat Adrien Taquet.
Devant le 'Utopia 003 Squat' à Montpellier, dans le sud de la France le 18 février 2021. - Le collectif Luttopia est actif à Montpellier depuis 2014 et a ouvert trois squats sous forme de "réquisitions citoyennes et humanistes" de bâtiments publics pour loger les sans-abri, les familles et les migrants. Leur travail social a été reconnu fin 2020, à travers une convention avec la ville et la préfecture pour reloger les personnes qui se trouvent en Utopia 003 et ainsi éviter qu'elles ne soient expulsées une deuxième fois. Luttopia est désormais une association qui se verra attribuer un autre emplacement par la commune à compter du 31 mars 2021.

Pas un mot. Les professionnels qui s’occupent de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et les associations qui accompagnent les anciens enfants placés attendaient avec impatience que la question des sorties sèches, ou mises à la rue, des jeunes à leur majorité soient abordées. Mais le projet de loi porté par le secrétaire d’Etat en charge de la Protection de l’enfance, Adrien Taquet, et qui sera discuté à l’Assemblée nationale à partir de mardi, n’apporte pas le début d’une solution sur l’accès au logement des jeunes passés par la protection de l’enfance.

Une urgence pourtant, quand en 2019, la Fondation Abbé-Pierre relevait dans son rapport sur l’état du mal-logement que 26% des sans-abri nés en France «sont d’anciens enfants placés en protection de l’enfance (soit plus de 10 000 personnes), alors même que ce public ne représente que 2% à 3% de la population générale». Et preuve que la sortie du système de la protection de l’enfance peut être le point de bascule, le rapport ajoute que 36% des SDF âgés entre 18 et 25 ans sont d’anciens enfants placés. «[Avant leur majorité,] ils ont une prise en charge très complète en matière d’hébergement, d’accès à l’éducation, aux soins, etc., mais qui s’arrête à 18 ou 21 ans [l’âge maximum jusqu’auquel les jeunes issus de l’ASE peuvent conserver les aides dont ils bénéficiaient mineurs dans le cadre du «contrat jeune majeur», ndlr]», explique Cécile Valla, coordinatrice du programme la Touline d’Apprentis d’Auteuil, des accueils où les jeunes peuvent obtenir des conseils et de l’aide pour leurs démarches administratives.

«Pour beaucoup, des squats à droite à gauche»

Pour elle, l’arrêt de la prise en charge des départements, institutions chargées de l’aide sociale à l’enfance, «est déconnecté de la capacité de ces jeunes à réagir seuls dans une vie d’adulte». Un obstacle, dans les mois ou les années suivant leur sortie, comme une rupture amoureuse, un déménagement, la perte d’un emploi, etc., «peut les amener à la rue». Même s’il y a eu des avancées, leur accès au logement est rendu compliqué par la difficulté d’obtenir un logement social et l’absence de garants pour louer dans le privé.

Après la sortie de l’ASE, «le plus stable, ça va être le foyer de jeunes travailleurs, mais il leur faut un contrat» et le Crous pour les étudiants, indique Cécile Valla. «Dans beaucoup de cas, ça va être des squats à droite à gauche, explique Léo Mathey, président de l’association Repairs 75, où les bénévoles sont eux-mêmes passés par l’ASE. Quand ce n’est pas la rue, ça va être du squat chez des amis, la petite copine ou le petit copain, la famille élargie… Des trucs qui ne permettent pas de se construire.»

«Le gouvernement a voulu faire une réforme à zéro euro, déplore Léo Mathey. Dès lors qu’on ne veut pas dépenser davantage, on ne peut pas mettre le paquet sur le logement des jeunes et empêcher leur mise à la rue.» Pour celui qui a vécu toute son enfance en famille d’accueil, le projet de loi est «un gâchis financier» puisqu’il oblige en quelque sorte ce public à se tourner à terme vers les minima sociaux. «Il gâche aussi leur entrée dans l’âge adulte.»

Contre la montre

Chez les Apprentis d’Auteuil, on est contraint de préparer un passage à l’âge adulte accéléré pour des adolescents déjà fragilisés. «La particularité des jeunes qui passent par l’ASE, c’est qu’on leur demande d’être autonomes, voire indépendants très jeunes», observe Cécile Valla. Alors faute de pouvoir arrêter le temps, la fondation joue contre la montre pour permettre aux adolescents de s’armer pour la vie adulte, notamment en sélectionnant leur hébergement selon leur âge, du foyer aux logements diffus indépendants, en passant par des logements en semi-autonomie et des colocations non mixtes. Comme à la Maison d’enfants à caractère social (MECS) Saint-Maximilien-Kolbe, située à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).

Là-bas, Cynthia est cheffe d’unité de service et s’occupe de jeunes vivant en collectif et d’autres, en semi-autonomie. «On leur demande d’être acteurs» de leur parcours vers l’indépendance. Et quand ils sont proches de la sortie, la fondation fait en sorte que les adolescents partent avec un «guide du sortant», qui regroupe les démarches pour demander un logement social, etc. Florian, lui, est chef de service du dispositif Marcel Van destiné aux mineurs non accompagnés (MNA), anciennement appelés «mineurs étrangers isolés». Pour ces jeunes-là, tout se fait encore plus rapidement (apprentissage du français, projet professionnel, etc.), généralement en deux ans. Pour Florian, il faudrait «trouver des sas intermédiaires». «Ce n’est pas à 18 ans qu’on est autonome ou pas autonome», déclare-t-il, regrettant que l’année de la majorité tombe comme un couperet.

«Ça m’inquiète un peu», souffle Eric (1), en évoquant ses 18 ans, qui arrivent à grands pas. Le lycéen de 17 ans, originaire du Sénégal et suivi par les Apprentis d’Auteuil, se forme pour devenir peintre en bâtiment. Arrivé il y a deux ans en France, il a connu la vie bruyante en foyer. Il vit désormais depuis «quelques mois» en colocation, dans le nord des Hauts-de-Seine avec trois autres adolescents, dont Amir (1) et Djibril (1), 16 ans tous les deux. Comme Eric, ce sont des MNA, des jeunes qui ont, injustement, encore moins le droit à l’erreur que les autres, puisque c’est leur présence sur le territoire qui peut être compromise à leur sortie de l’ASE. «Pourquoi investir deux ans dans un jeune et dissocier la question de la régularisation ?» s’interroge Florian. Car mineurs étrangers ou non, les associations attendent des réponses globales sur l’entrée dans la vie adulte des anciens enfants placés. «Le logement, c’est un élément important, mais ça fait partie d’un tout,selon Cécile Valla. Ces jeunes-là ont aussi besoin d’un accompagnement pour la santé, l’emploi et la vie sociale.»

(1) Les prénoms ont été modifiés.


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