jeudi 8 juillet 2021

Prison et détenus transgenres : «Il faut reconnaître que ce sujet existe»

par Aurore Savarit-Lebrère   publié le 6 juillet 2021

Interview

Dans un rapport publié ce mardi, la contrôleuse générale des prisons, Dominique Simonnot, alerte sur les conditions de détention des personnes transgenres. Il est temps, selon elle, de se remettre en question.

Onze ans après un premier avis sur la question, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, demande une meilleure prise en charge des personnes transgenres emprisonnées. Fouilles, quartiers d’affectation, difficultés d’accès au soin, discriminations : «Actuellement, les personnes transgenres privées de liberté subissent de nombreuses atteintes à leurs droits fondamentaux dont le cumul est susceptible de constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de la Convention européenne des droits de l’homme», met en garde Dominique Simonnot dans un nouvel avis publié au Journal officiel ce mardi.

Le rapport, transmis aux ministres de la Justice, de la Santé et de l’Intérieur, formule plusieurs recommandations visant «à garantir le plein respect de la dignité et des droits des personnes transgenres privées de liberté, notamment leurs droits à l’autodétermination, à la libre disposition de leur corps, à l’accès aux soins, à l’intimité et à la vie privée.»L’objectif étant la préservation de leur intégrité physique et psychique «appréhendée sous l’angle des violences interpersonnelles mais également sous celui, souvent négligé, des risques d’autoagression», indique la CGLPL.

Interrogée par Libération, Dominique Simonnot revient sur cet engagement.

Il s’est écoulé 11 ans depuis la publication du premier avis concernant les personnes transgenres privées de liberté, pourquoi avoir attendu autant de temps ?

Nous recevons près de 4000 lettres par an, énormément d’appels tous les jours et il y avait un nombre croissant d’appels à l’aide pour les personnes transgenres. Je travaille avec deux contrôleurs, Kévin Chausson et Sara-Dorothée Guérin qui se sont emparés du sujet. Je dois reconnaître que je connaissais mal ce sujet, mais leur avis oblige chacun et chacune d’entre nous à questionner notre regard sur les personnes transgenres. J’ai moi-même remis en cause des choses qui me paraissaient évidentes et qui ne le sont pas du tout. Cet avis va donc permettre de faire avancer les choses.

Quel est le plus dur actuellement pour une personne transgenre en prison ?

Une des premières difficultés que rencontre une personne transgenre en arrivant en prison, c’est d’être affectée à l’endroit où elle souhaite être. Il faut combler le manque de formation des personnels pénitentiaires ou policiers à ce sujet car on les laisse simplement réagir selon leur bon sens et leur bon vouloir mais il faut comprendre que cela ne suffise pas. Le procédé qui consiste à fouiller une personne pour voir ce qu’elle est anatomiquement doit être banni. C’est trop dur, horriblement intrusif et terriblement humiliant.

Qui sommes-nous pour dire d’une personne qui se déclare homme ou femme, sans en avoir l’apparence ou les attributs physiques, qu’elle ne doit pas l’être ? Il faut s’habituer à l’idée que les gens ne sont pas forcément ce qu’ils paraissent et les accepter comme ils sont. Il faudrait même aller plus loin que cette acceptation mais commençons tous par y réfléchir.

Vous pensez que les ministères de l’Intérieur et de la Santé sont également responsables de cette situation ?

Sûrement, oui. Cependant, je crois qu’il y a moins de méchanceté qu’on ne le pense. Il y a peut-être simplement derrière tout cela la gêne énorme que cela occasionne. D’ailleurs, à l’époque, on se tirait de cette gêne par des rires gras minables mais désormais, il s’agit d’ouvrir les yeux et de reconnaître que ce sujet existe. En vingt ans, les choses ont quand même énormément évolué et, en tant qu’éternelle optimiste, je suis certaine que nous allons continuer à avancer, pour que cela devienne normal que des femmes transgenres aient droit d’avoir du maquillage ou des soutiens-gorge sans conditions en prison. Ce qui n’est pas le cas partout actuellement.

En cas d’impossibilité de garantir à une personne transgenre une prise en charge respectueuse, envisagez-vous une sortie temporaire voire une remise en liberté ?

Oui mais je ne dis pas de remettre en liberté des gens sans réfléchir. Et cela vaut pour tout le monde, il y a des tas de gens qui n’ont rien à faire en prison donc autant les faire sortir, sous la surveillance des services d’insertion et de probation, plutôt que de les laisser enfermés dans des conditions de détention insupportables.


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