jeudi 15 juillet 2021

Logique, la langue française ? Une petite segonde !

 Publié le 13 juillet 2021

« Drôle de langue » (2/17). Entre les nombreuses lettres muettes qui parsèment les mots et les multiples façons d’écrire un même son, apprendre le français est une gageure pour les étrangers.


Si la prononciation du français relève de l’évidence pour qui est tombé dedans quand il était petit, il n’en va pas de même pour les étrangers qui s’essaient à l’apprendre. A l’inverse, pour les jeunes Français, c’est l’écriture de la langue qui relève du tour de force. Rappelons au hasard que le son « s » peut s’écrire avec un t, comme dans émotion, que le c de banc ne se prononce pas mais celui de bancal, si, que la suite de lettres « ent » peut se lire « an » comme dans « un patient », mais aussi ne pas se lire du tout, comme dans « ils patientent ».

Des Français tout ce qu’il y a de plus diplômés sont parfois bien en peine de dire comment se lit un mot d’usage courant. La gageure se prononce-t-elle « gajeure » ou « gajure » ? (« Gajure ! ») Le magnat de la finance se dit-il « mag-nat » ou « maniat » ? La réponse est : les deux ! Chouette ? Ne vous réjouissez pas trop vite, car l’adjectif magnanime, lui, se prononce exclusivement « manianime ». Pourquoi ? Parce que.

Parfois, les incongruités ont tout de même une explication. Par exemple, pourquoi les Français prononcent-ils « segond », « segonde », « segondaire » ce qu’ils écrivent secondsecondeet secondaire Second est issu du latin secundus, signifiant « suivant », qui se prononce comme il s’écrit, la lettre c se lisant « k ». Le français descend pour l’essentiel du latin, mais un latin que l’usage local a progressivement modifié, adapté, tordu à sa mesure. C’est ainsi que secundus a perdu son « us » final et, peu à peu, a commencé à se prononcer « segond », sans doute tout simplement, imaginent les linguistes, parce que c’est plus facile à articuler que « sekond » – d’aucuns n’excluant pas que la proximité phonétique avec « ce con » ait joué le rôle de repoussoir.

Lexicographes latinophiles

Jusqu’à la création de l’Académie française, au XVIIe siècle, il n’existait pas de norme orthographique. Les (rares) Français qui savaient écrire écrivaient… comme ils l’entendaient. On trouve ainsi dans les textes anciens des second aussi bien que des segond, ce dernier devenant même de plus en plus fréquent avec le temps. C’est la même mutation qui s’est produite pour le mot dragon, issu du draco latin. Avec cette différence que dragon s’écrit bien comme il se prononce en français de 2021, c’est-à-dire avec un !

Alors que s’est-il passé ? Pourquoi cette différence de traitement ? Second a bénéficié (ou souffert, selon les points de vue) de la latinophilie des lexicographes français du siècle des Lumières, qui ont choisi de rendre à ce mot toute l’élégance de sa racine, en faisant fi de sa prononciation. Le dragon a sans doute échappé à cette réforme parce qu’il était nettement plus discret, parce que moins courant. A noter que, en anglais, second s’écrit comme en français, mais il se prononce « sekonde » ; l’espagnol ayant opté pour segundo… comme ça se prononce ! Il n’y a qu’en français que l’on écrit c ce que l’on prononce « g ». Ce qui vous a un certain chic, il faut le reconnaître.



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