jeudi 15 juillet 2021

En Norvège, les séquelles durables de l’attaque terroriste d’Utoya

Par  Publié le 15 juillet 2021

Dix ans après le massacre commis dans un rassemblement de jeunes du Parti travailliste norvégien, deux études révèlent l’ampleur des séquelles physiques et psychologiques chez les survivants et leurs proches.

Elin L’Estrange, à Oslo, le 24 juin 2021. La jeune femme est une des survivantes du massacre d’Utøya.

Elin L’Estrange insiste : « Surtout, n’oubliez pas d’écrire que ce peut être soigné, à condition de recevoir le bon traitement ! » Le 22 juillet 2011, alors âgée de 23 ans, la jeune Norvégienne se trouvait sur l’île d’Utoya, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest d’Oslo. Pour la première fois, son frère l’accompagnait au camp d’été annuel de la Ligue des jeunes travaillistes (AUF). Ils ont entendu les premiers coups de feu autour de 17 h 20. Déguisé en policier, le terroriste d’extrême droite Anders Behring Breivik arrivait sur l’île, après avoir fait exploser une bombe devant le siège du gouvernement à Oslo. Elin L’Estrange et son frère ont couru à travers bois, puis se sont cachés au bord de l’eau, avant de fuir à la nage.

Tous les deux ont survécu. Soixante-neuf des 564 jeunes qui se trouvaient alors sur l’île ont été tués et une centaine a été blessée. La plupart avaient moins de 20 ans. Huit autres personnes ont péri lors de l’attentat à Oslo.

Pendant des mois, Elin a perdu l’appétit et le sommeil. Des flash-back la ramenaient en permanence sur l’île. Elle était terrifiée à l’idée de ne jamais retrouver une vie à peu près normale : « Je cherchais sur Internet les récits de survivants des attaques du 11-Septembre à New York. Je voulais savoir quand tout ça allait s’arrêter, mais personne ne pouvait me donner un diagnostic »,raconte-t-elle.

Un traumatisme de grande ampleur

Il existe bien peu d’études qui suivent les survivants d’attaques terroristes sur la durée. « Ce n’est pas facile de recruter des participants, car ils viennent de vivre une expérience terrible. Et pourtant, c’est très important de pouvoir faire de la recherche pour proposer les bons traitements », explique Grete Dyb, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et chercheuse au Centre norvégien d’études sur la violence et le stress traumatique.

Avec son équipe, elle a donc contacté les rescapés de l’attaque d’Utoya et leurs parents, pour un premier entretien, quelques mois après l’attentat. Trois autres interviews ont été réalisées depuis. La dernière a eu lieu huit ans et demi après le 22 juillet. Près de huit survivants sur dix ont accepté d’y participer au moins une fois.

Publiés le 31 mai, les derniers résultats ont choqué Grete Dyb : « Je pensais que 10 % des jeunes auraient encore besoin d’une prise en charge. Je n’aurais jamais imaginé qu’un tiers souffre encore à ce point, aussi longtemps après les faits. » Pour la psychiatre, le niveau d’exposition à la violence – assez similaire à celui de l’attentat au Bataclan – explique l’ampleur du traumatisme : « L’attaque a duré plus d’une heure. Les jeunes étaient coincés sur l’île, ils ne pouvaient pas s’échapper. Certains ont été traqués par le tueur et la plupart ont assisté à des scènes d’une violence extrême. »

Les parents aussi

Leurs parents aussi ont subi un énorme choc, que les médecins ont d’abord sous-estimé, concède Grete Dyb : « Ils ont reçu un message qui leur disait que leur enfant était en danger de mort. Ils ne pouvaient rien faire, à part suivre le sauvetage à la télé. Ils n’avaient aucune information. Les jeunes ne répondaient plus au téléphone. Pendant ce temps-là, le nombre des victimes augmentait. Puis, quand leurs enfants sont rentrés, ils étaient changés. »

Dix ans plus tard, 20 % des parents souffrent encore de symptômes liés au stress post-traumatique et 40 % de troubles du sommeil et de douleurs chroniques.

A l’université de Bergen, une autre équipe de chercheurs a suivi les proches des victimes. Les résultats sont tout aussi accablants : un tiers des parents souffrent du syndrome de deuil prolongé et de stress post-traumatique. « Ils ne doivent pas seulement faire face à la disparition de leur enfant, mais aussi aux circonstances extrêmement violentes de son décès, qui prolongent le deuil et le compliquent », constate le professeur Pal Kristensen. Certains sont incapables de se rappeler des moments heureux : « Ces souvenirs sont parasités par les images et les détails de l’exécution de leurs enfants. » Un tiers n’a pas repris le travail.

L’étude a permis aussi de révéler le désarroi des frères et sœurs, ainsi que des amis, qui n’ont souvent pas reçu d’aide adéquate. Elle a aussi montré l’ampleur des douleurs physiques, chez les proches des victimes, liées au stress et à la fatigue. « A l’avenir, il faudra prendre bien plus en charge cet élément dans les traitements, qui ne doivent pas se limiter à l’aspect psychologique », remarque Pal Kristensen.

Une prise en charge très inégale

Lisbeth Royneland a perdu sa fille à Utoya. Elle préside l’association de soutien aux familles et survivants du 22 juillet. Pour elle, la prise en charge des proches et des rescapés n’a pas été suffisante et très inégale en fonction des lieux de résidence. « Beaucoup ont essayé d’oublier et cela les a rattrapés. » Elle déplore les injonctions permanentes à surmonter le traumatisme, quand l’attentat reste très présent dans l’espace public, du procès, aux débats, en passant par les films et séries sur les attaques.

Elin L’Estrange, elle, va mieux. Elle travaille, a deux jeunes enfants avec son mari, qui lui aussi était à Utoya, et elle continue de militer au sein du Parti travailliste. « C’est un peu comme une maladie chronique, avec laquelle j’ai appris à vivre. J’ai facilement peur, mais j’ai aussi découvert que je pouvais faire face à des situations compliquées et trouver les mots pour aider des amis en difficulté. »


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