jeudi 1 juillet 2021

Droits des femmes Au Forum génération égalité, une diplomatie féministe en actes

par Marlène Thomas et Julie Richard  publié le 30 juin 2021 

Vingt-six ans après la conférence mondiale sur les femmes à Pékin, le Forum génération égalité culmine ce mercredi à Paris. Cette COP des femmes se veut l’incarnation du concept émergent de diplomatie féministe, prôné par la France. Une avancée qui se heurte encore à d’importantes limites. 

«Les droits des femmes sont des droits humains.» Ces mots prononcés par Hillary Clinton lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Pékin en 1995 résonneront avec force ce mercredi à Paris. Figure de ce rendez-vous historique, l’ancienne secrétaire d’Etat américaine passera 26 ans plus tard le flambeaulors du Forum génération égalité. Organisée par la France et le Mexique en pleine montée des conservatismes – par exemple en Pologne où le droit à l’IVG est remis en question – cette COP des femmes ambitionne d’«accélérer le progrès» en matière d’égalité femmes-hommes. En continuité avec la conférence de Pékin, qui «a permis de poser un texte normatif international sur les droits des femmes, souscrit par 189 états. Le problème est qu’il n’y a pas eu de mise en œuvre complète des engagements», rembobine Delphine O, ambassadrice et secrétaire générale du Forum génération égalité – par ailleurs sœur du secrétaire d’État au numérique Cédric O.

Une urgence d’autant plus palpable qu’aucun grand rendez-vous international autour du sujet des droits des femmes ne s’est tenu depuis 1995 et que la pandémie a provoqué un recul de vingt à trente ans des droits des femmes, selon l’ONU. «Si on n’avait pas eu de COP21 pendant vingt-six ans, est-ce que les gens auraient trouvé ça normal ?», tonne la ministre chargée de l’Egalité femmes hommes Elisabeth Moreno. L’ONU avait initialement fixé un rendez-vous cinq ans plus tard, en 2000, une échéance retardée, par peur d’ouvrir une brèche dans ce socle fragile d’acquis, conspués par des états conservateurs à l’influence toujours plus grande.

La conférence de Pékin a ouvert la voie à une nouvelle rhétorique, celle de la diplomatie féministe, dont ce Forum se veut l’incarnation. «La diplomatie féministe a commencé en impliquant les femmes dans les processus de paix dans certains pays», rappelle Marie-Cécile Naves, directrice de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), autrice de La démocratie féministe (Ed. Calmann-Lévy). Une dynamique impulsée par les féministes elles-mêmes. Une poignée de pays se revendiquent désormais de ce concept : la Suède, pionnière en 2014, le Canada depuis 2017 et le Mexique, dernier membre du club en 2020. La France a, elle, suivi le mouvement en mars 2018, remplaçant la«diplomatie des droits des femmes» déjà invoquée sous le quinquennat Hollande. Conjuguer diplomatie et féminisme est une«avancée conceptuelle forte», qui permet aux associations et ONG de mieux faire valoir leurs revendications à l’international, estime Brigitte Grésy, présidente du Haut Conseil à l’égalité (HCE).

Diplomatie féministe

Aucun texte international ne définit la diplomatie féministe, une absence de cadre laissant libre cours à l’interprétation des états.«La définition française est en cours de construction», avance Delphine O avant de développer la sienne : «Faire en sorte que l’égalité, les droits des femmes soient un sujet prioritaire et transversal sur l’ensemble de l’action de la France à l’étranger.» Dans un rapport publié en novembre, le HCE la conçoit comme une politique plaçant «l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté et les droits des femmes, la lutte pour l’abolition du patriarcat au cœur de son action extérieure, dans l’ensemble de ses dimensions».

Dans les faits, la diplomatie féministe française se traduit par des politiques «partant davantage des expériences des femmes sur le terrain plutôt que de plaquer des modèles du haut sans se préoccuper de savoir si ça ruisselle jusqu’en bas», remarque Marie-Cécile Naves. Un changement de braquet visible au sein du Forum génération égalité, co-construit avec la société civile. Relégués en 1995 dans un camp d’ONG à une heure de Pékin, les activistes sont cette fois invités à la table des négociations. Pas de grand-messe. Si tout le monde est invité, le ticket d’entrée est clair : chaque Etat doit prendre un nouvel engagement programmatique, législatif ou financier dans un des six thèmes d’action (la violence fondée sur le genre, la justice et les droits économiques, la liberté à disposer de son corps et la santé et les droits sexuels et reproductifs, etc.). Ces engagements, à mettre en œuvre sous cinq ans, seront regroupés dans une forme de catalogue nommé Plan mondial d’accélération pour l’égalité femmes-hommes. Le Forum sert de catalyseur aux «bonnes volontés». Près de 70 pays ont répondu présents. Ils devraient annoncer leurs engagements ce mercredi . «Si on organisait une conférence mondiale avec tous les états comme à Pékin, on ne serait pas en mesure de faire voter le même texte, signe de la régression», lance Delphine O.

Au-delà de l’accueil de ce sommet, la diplomatie féministe passe par la mise en place de projets à l’international qui visent à améliorer les droits des femmes. Accès à la contraception, éducation des filles, santé maternelle… Plus de deux tiers des projets de l’Agence française de développement sont aujourd’hui conçus de façon à avoir un bénéfice également sur l’égalité femmes-hommes, pour une enveloppe annuelle de 5,8 milliards d’euros, selon le directeur général de l’AFD Rémy Rioux. Un fonds de soutien aux organisations féministes de 120 millions d’euros sur trois ans a également été mis sur pied en prévision du Forum.«Moins de 0,1% de l’aide publique au développement de tous les donateurs arrivent vraiment aux organisations féministes de terrain», nuance Ludovica Anedda, chargée de plaidoyer pour l’égalité de genre chez CARE France, membre du collectif Générations féministe (fondé à l’occasion de ce Forum) pour qui les limites de la diplomatie féministe sont encore criantes.

«Il aurait fallu montrer les dents»

Si les sommets internationaux permettent de renforcer les revendications féministes à travers le monde, le multilatéralisme a néanmoins montré ses limites. Les conventions, déclarations ou traités qui émergent de sommets mondiaux restent souvent difficilement applicables au sein des législations nationales. Et même lorsque des conventions internationales sont ratifiées, aucun système de sanction n’est mis en œuvre pour s’assurer de leur respect par les états signataires. La France a notamment soutenu en 2019 l’adoption d’une convention de l’OIT (Organisation internationale du travail) contre les violences et le harcèlement au travail. «Maintenant, le gouvernement doit la ratifier et l’appliquer au niveau national. La France a annoncé vouloir le faire, mais sans rien changer à la loi nationale. Ce sera donc juste un symbole»,pointe Ludovica Anedda, de CARE France.

Texte phare sur la lutte contre les violences faites aux femmes, la Convention d’Istanbul, établie en 2011 par les états membres du conseil de l’Europe, n’est n’a été ratifiée que par 34 états. «Même quand il y a une volonté d’engagement, on se rend compte à quel point le sujet est encore laborieux», réagit Elisabeth Moreno. Le récent retrait de la Turquie, pourtant premier état signataire, montre une fois de plus l’impuissance des conventions internationales face à la montée des mouvements antiféministes qui émergent dans certains états. Ainsi, l’absence totale de mentions des droits sexuels et reproductifs lors de la tenue du G7 à Biarritz en 2019 est particulièrement révélatrice. «Il aurait fallu montrer les dents beaucoup plus face aux actions de Trump qui a coupé les vivres aux associations d’accompagnement d’IVG», se désole Brigitte Grésy, directrice du HCE. Ouvert à tous les états, le forum qui s’ouvre à Paris apparaît donc l’occasion de rattraper ces manques.

Seuls 20 % des accords commerciaux de l’Union européenne mentionnent les droits des femmes

—  Rapport HCE

La diplomatie féministe française exclut tout un pan de la politique extérieure française par exemple en matière de défense, sécurité ou politique commerciale. «Seuls 20 % des accords commerciaux de l’Union européenne mentionnent les droits des femmes», illustrent ainsi les rédacteurs du rapport du HCE qui encouragent à prendre exemple sur le modèle de diplomatie canadienne. «Lorsqu’il conclut des accords commerciaux bilatéraux avec d’autres états, le Canada accorde une place importante aux droits humains, aux thématiques environnementales. Les traités intègrent une clause sur ces questions-là en général», explique Viviane de Beaufort, professeure de droit, directrice du Centre européen de droit et d’économie (CEDE) et référente égalité femme-homme à l’Essec. Cet engagement pourrait-il passer par un refus de commercer avec les états qui refuseraient de respecter certains droits internationaux ? «Pourquoi pas, selon la spécialiste. Après tout, l’UE a bien refusé la signature d’un traité bilatéral avec la Chine sur les investissements directs étrangers tant que la Chine ne se serait pas expliquée sur ce qui se passait dans les camps de travail Ouïghours.»

Parité dans la diplomatie

Cantonner la diplomatie féministe à de grandes rencontres comme celle qui s’ouvre ce mercredi reste donc insuffisant pour le HCE, qui regrette que la question ne soit pas suffisamment abordée dans le cadre des relations bilatérales. Ainsi, sur les douze visites officielles d’Emmanuel Macron entre mars 2019 et février 2020, le rapport du Haut conseil à l’égalité ne dénombre qu’une seule rencontre ayant donné lieu à l’évocation du droit des femmes et de l’égalité femmes-hommes, au Japon. «Les droits des femmes sont considérés comme un sujet secondaire […] qui n’est pas vu comme suffisamment noble»,analyse Marie-Cécile Naves. Delphine O refuse quant à elle d’opposer les deux modèles. Bilatéralisme et multilatéralisme «sont complémentaires» se justifie-t-elle : «Un sommet comme celui-là est l’occasion d’aller chercher des pays comme le Burkina Faso ou le Chili. On va leur demander «qu’est-ce que vous faites pour l’égalité femmes-hommes ?»»

Pour opérer un changement de paradigme, les expertes interrogées réclament unanimement la présence de davantage de parité à des postes à responsabilité dans la diplomatie française. Pour la professeure de droit Viviane de Beaufort, leur présence à des postes clés pourrait avoir une influence directe sur la politique menée par les états en termes de diplomatie féministe. Après avoir mené une série d’interviews sur 50 femmes dont 25 Françaises en 2012, la juriste a pu constater que le rapport au pouvoir des femmes dirigeantes variait sensiblement par rapport aux hommes : «Les femmes, du fait de leur socialisation, étaient plus portées par le fait de faire les choses bien plutôt que de détenir le pouvoir pour le pouvoir. Le rapport qu’elles entretiennent à l’éthique, à la loi et à certaines valeurs serait également sensiblement plus exigeant que beaucoup de dirigeants hommes», explique-t-elle. Encore aujourd’hui, le sujet reste insuffisamment pris en compte par la France. La participation des femmes à la conception et à la mise en œuvre d’une diplomatie féministe reste faible. Seulement 25 % des ambassadeurs sont des ambassadrices.


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