lundi 7 juin 2021

Psychiatrie : vers un véritable contrôle judiciaire des mesures d’isolement et de contention

Par   Publié le 5 juin 2021

Pour la seconde fois en un an, le Conseil constitutionnel exige le contrôle du juge sur ces mesures prises pendant les hospitalisations sans consentement.

Cette fois, le gouvernement ne pourra pas se défausser. Il va devoir inscrire dans la loi avant la fin de l’année le contrôle systématique par le juge judiciaire des mesures de maintien à l’isolement ou sous contention d’un patient en hôpital psychiatrique au-delà d’une certaine durée. Le Conseil constitutionnel, qui a sèchement censuré, vendredi 4 juin, une disposition législative toute fraîche introduite par le gouvernement en décembre, a choisi de lui laisser un peu plus de six mois pour cette réforme d’importance.

Selon les services du premier ministre, 121 000 prescriptions de placement à l’isolement et 33 000 prescriptions de placement sous contention ont été délivrées en 2018 par les médecins psychiatres à l’égard de personnes hospitalisées sans consentement. Une première question prioritaire de constitutionnalité (QPC) avait été soulevée il y a tout juste un an sur ce sujet par des patients défendus par Raphaël Mayet, rejoints par des associations dont le Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie ou Avocats, droits et psychiatrie.

L’institution présidée par Laurent Fabius avait alors, dans une décision du 19 juin 2020, censuré la loi de 2016 organisant ce type de mesures en principe décidées par les équipes médicales en dernier recours. Pour les gardiens de la Constitution, et notamment de son article 66 selon lequel « nul ne peut être arbitrairement détenu », les mesures d’isolement (enfermement dans une chambre) et de contention (immobilisation médicamenteuse ou mécanique) « constituent une privation de liberté ». En conséquence, il n’est pas question de les maintenir sans un contrôle par le juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle.

Des établissements hors des clous

Le gouvernement avait jusqu’au 31 décembre pour se conformer à cette décision. Les ministères de la santé et de la justice s’en sont chargés au moyen d’un article glissé dans la loi, sans grand rapport, du 14 décembre 2020 pour le financement de la Sécurité sociale pour 2021. C’est cette disposition qui a fait l’objet d’une nouvelle QPC, cette procédure permettant à tout citoyen de faire vérifier la constitutionnalité d’une disposition législative qui lui est opposée.

« L’obligation d’intervention du juge judiciaire n’a pas été mise en pratique », a dénoncé Me Mayet à l’audience du 25 mai devant le Conseil constitutionnel. De fait, au-delà de la limite légale de quarante-huit heures pour un isolement et de vingt-quatre heures pour une contention, le texte de loi censuré prévoit que ces mesures peuvent être renouvelées « à titre exceptionnel », à la condition que « le médecin informe sans délai le juge des libertés et de la détention [JLD], qui peut se saisir d’office ». Le juge peut alors décider la mainlevée de la mesure. « L’information n’est pas l’intervention », avait contesté l’avocat, soulignant que le droit accordé par ailleurs au patient de saisir lui-même le juge est illusoire. « On voit mal comment une personne à l’isolement ou sous contention pourrait faire une démarche auprès du JLD ! »

Cette nouvelle censure s’appuie sur une démonstration lapidaire. « Le médecin peut décider de renouveler les mesures d’isolement et de contention au-delà des durées maximales prévues par le législateur, sans limitation du nombre de ces renouvellements », et ce, alors qu’« aucune disposition législative ne soumet [ces renouvellements] à l’intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l’article 66 de la Constitution ». Fermez le ban.

Or, non seulement les pratiques en la matière semblent varier beaucoup selon les établissements psychiatriques, mais certains sont hors des clous. Quatre des cinq derniers rapports annuels du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relevaient des placements à l’isolement ou sous contention décidés en dehors du cadre légal. Dans certains établissements, c’est le manque de personnel qui expliquerait le recours à ces mesures.

« Des sanctions disciplinaires déguisées »

« Les mesures d’isolement et de contention sont le stade ultime de la privation de la liberté », avait plaidé à l’audience François Molinié, l’avocat du Conseil national des barreaux. Et de citer le chiffre de 7 000 hospitalisations sans consentement jugées abusives en 2018 par les JLD appelés à se prononcer dans les douze jours à compter de l’internement d’un patient, puis tous les six mois. « Combien de mesures d’isolement et de contention sont abusives ? », a interrogé M. Molinié, selon qui « certaines sont des sanctions disciplinaires déguisées ».

L’un des arguments opposés par le gouvernement à ce contrôle systématique par le JLD était le nombre important des mesures que cela représente. Contacté, le ministère de la justice n’était pas en mesure, vendredi 4 juin au soir, de chiffrer les effectifs en magistrats et greffiers que cela nécessiterait. « Le gouvernement a tenté un passage en force, il subit un camouflet », commente MeMayet.

Depuis la loi du 5 juillet 2011 instaurant un contrôle du juge judiciaire sur ce que l’on appelait auparavant les hospitalisations d’office, une dizaine de QPC ont été soulevées devant le Conseil constitutionnel et de nombreuses censures ont été prononcées. « Les droits des malades en psychiatrie ne progressent qu’avec ces batailles juridiques qui forcent la main du gouvernement », déplore André Bitton, président du Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie.

En 2018, 95 600 personnes faisaient l’objet d’une hospitalisation sans consentement, soit une hausse de 26 % en quatre ans. Elles sont décidées dans environ 80 % des cas à la demande d’un tiers, le plus souvent la famille, et dans 20 % des cas par le préfet.


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