dimanche 6 juin 2021

«L’Equilibre du jardinier», cyprès du bonheur

par Virginie Bloch-Lainé   publié le 2 juin 202

La psychanalyste anglaise Sue Stuart-Smith nous enjoint à cultiver nos plates-bandes pour en finir avec l’angoisse.

Il paraît qu’une fois allongés, les patients en analyse rêvent souvent de maisons et découvrent chez eux, en eux, des pièces en plus dont ils ignoraient l’existence. Ils sont contents. Le psychanalyste Patrick Avrane a récemment consacré un essai à ce sujet (Maisons : quand l’inconscient habite les lieux, PUF, 2020). Les jardins sont une autre pièce maîtresse de l’architecture intérieure. Sue Stuart-Smith, psychiatre et psychanalyste britannique, le démontre dansl’Equilibre du jardinier. Avec un jardin comme avec la vie psychique, on ne cesse jamais de faire connaissance. Jardiner, selon elle, peut aider à se décoller de l’angoisse, à diminuer le chagrin, à rompre avec l’alcoolisme ou la délinquance, à calmer un intérieur trop mouvementé, que l’on soit très cabossé ou pas trop. Stuart-Smith n’est pas de ces thérapeutes qui publient à tout bout de champ et l’on ne trouve ni éloge du comportementalisme ni leçon de développement personnel sous sa plume. La psychanalyste n’appartient pas à ces mondes-là. Mais plutôt que d’attaquer le camp adverse, elle promeut en douceur d’autres façons de faire, plus efficaces pour soigner le mal-être en profondeur.

Les racines et les liens

Elle le fait en s’appuyant sur des cas de patients, les siens ou ceux d’autres analystes. Elle cite très souvent le pédiatre et psychanalyste pour enfants Donald Winnicott qu’elle semble particulièrement apprécier. Et pour dire à quel point nous nageons en pleine identité britannique dans cet éloge du «jardinage thérapeutique», ajoutons qu’il est construit à la manière d’un jardin à l’anglaise. Il ne progresse selon aucun ordre sans non plus se transformer en désordre. Il suit sa logique, dépose ici et là des réflexions, des citations de Dickens et de Goethe, des extraits de la correspondance de Freud, des descriptions de jardins, des rappels historiques et des aperçus de la vie personnelle de l’autrice. Avec son époux, Tom, paysagiste, Sue Stuart-Smith habite une ancienne ferme dans le Hertfordshire, au nord de Londres. Ils ont un grand jardin.

Si le jardin apaise, c’est notamment parce que les arbres y tiennent debout alors que le sentiment de chuter, voire de «tomber en morceaux», est répandu. Winnicott, rappelle Stuart-Smith, en voyait l’origine dans la façon dont un nourrisson se sent tenu, ou pas, par les bras de ses parents. S’ils ont été défaillants de ce point de vue, il sera toujours difficile pour cet enfant devenu adulte de se soutenir lui-même. Les racines et les liens quadrillent les jardins tandis que certains d’entre nous manquent d’attaches, et le jardin sert d’abri. Le géographe Jay Appleton a élaboré dans les années 70 «une psychologie du paysage fondée sur la possibilité de voir sans être vu. Sa conviction est que nous avons une préférence innée pour des environnements qui permettent des perspectives tout en offrant les qualités d’un refuge». Le jardin est également le lieu d’activités créatrices plus accessibles que d’autres, «parce que l’on ne part pas de zéro ; la graine fait la moitié du travail, grâce à ce qu’elle contient : les jardiniers ne font que libérer son potentiel».

«L’amour des fleurs»

La diversité règne dans ces pages. Le chapitre intitulé «Solutions radicales» est un tableau des pratiques des travailleurs du nord de l’Angleterre au milieu du XVIIIe siècle : les couteliers «étaient réputés pour leur savoir-faire horticole, tout comme les tisserands des villes industrielles avoisinantes. C’était en fait les tisseurs de soie qui avaient apporté l’amour des fleurs, quand ils avaient été forcés d’abandonner leurs métiers à tisser artisanaux et de quitter la campagne pour aller travailler dans des filatures mécanisées». On apprend ailleurs que Freud offrait des fleurs aux femmes qu’il admirait. Il ne dérogea pas à la règle avec Virginia Woolf. Elle lui rendit visite le 29 janvier 1939, elle le note dans son journal intime. Sue Stuart-Smith à propos de Freud : «Il avait peut-être des troubles d’élocution, mais le langage des fleurs n’a pas besoin de mots, et il avait choisi une de ses fleurs préférées pour Virginia : un narcisse.» L’Equilibre du jardinier dégage de la tranquillité. En ceci il rappelle le titre du roman d’un compatriote de l’autrice, John le Carré : la Constance du jardinier. Sue Stuart-Smith donne un précieux conseil : pour ne pas éprouver un sentiment inverse à celui recherché, pour ne pas se décourager parce que rien ne pousse, «il est primordial pour les enfants et pour les débutants de commencer par des plantes comme les tournesols ou les radis».










Sue Stuart-Smith, l’Equilibre du jardinier, traduit de l’anglais par Madeleine Descargues-Grant. Albin Michel, 352 pp.


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