vendredi 4 juin 2021

La paresse, antidote à la déprime

par Quentin Girard  publié le 3 juin 2021 

Dans son roman «Paresse pour tous», Hadrien Klent développe, par les ressorts de la fiction, un argumentaire politique réjouissant : et si nous ne travaillions plus que quinze heures par semaine pour redevenir vivants ?

Vous en avez assez des débats sur l’insécurité ? Sur le voile ? Sur Blanche-Neige ? Sur Napoléon ? Sur CNews ? Vous vous désespérez que la gauche se divise sur la laïcité ? Sur l’écriture inclusive ? Sur les réunions non mixtes ? Vous pensez que cela nous détourne des vrais enjeux économiques et climatiques ? Alors, Paresse pour tousest fait pour vous. Ce roman d’Hadrien Klent, un pseudo, est une fiction politique des plus réjouissantes en ces temps de pandémie longue, de déprime collective, d’odeur de putsch et de rassemblement national qui frappe aux portes du pouvoir.

C’est l’histoire d’Emilien Long. L’homme est économiste. Il étudie le temps de travail à travers les siècles. Après des études et des recherches brillantes à Normale Sup, puis aux Etats-Unis, il obtient le prix Nobel d’économie. Il décide de rentrer en France, on lui donne un poste au CNRS à Marseille, où il passe du temps à s’occuper de ses enfants, qu’il a en garde partagée, et à réfléchir dans sa cabane de la calanque de Sormiou. Poussé par son éditrice, il se met à la rédaction d’un nouvel ouvrage, le Droit à la paresse au XXIe siècle, hommage assumé au célèbre ouvrage le Droit à la paresse (1880), de Paul Lafargue.

Son idée est simple : considérant que les gains massifs de productivité, depuis plus d’un siècle, n’ont pas été compensés par une diminution suffisamment drastique du temps de travail, il développe toute une théorie sur la nécessité, pour être une société plus harmonieuse, de travailler beaucoup moins. «C’est trois heures par jour, soit quinze heures par semaine, je démontrerai qu’il est tout à fait possible de les choisir comme durée légale du travail, explique Emilien Long. Par toute une série de transferts de taxes, de limitations des salaires et de remise à plat de l’ensemble du dispositif de financement de la protection sociale, je prouverai qu’il est possible de changer radicalement les pratiques du temps de travail dans notre pays sans nuire ni à sa compétitivité ni à sa protection sociale, tout en préservant, voire en renforçant, le triptyque de notre devise qui semble, aujourd’hui, plus que d’actualité : la Liberté, l’Egalité, la Fraternité.»

Quinze heures, quand on débat encore du passage aux 35 heures, cela paraît fou. Et pourtant : Emilien Long développe son argumentaire, à travers nombre d’arguments et de graphiques, mais aussi en évoquant Rimbaud, Breton, Debord ou Julien Coupat.

Paresse pour tous se présente comme un roman, et on tourne les pages de manière tout à fait agréable, mais c’est avant tout un essai programmatique qui utilise les ressorts de la fiction pour développer un argumentaire politique. Le livre alterne ainsi entre les péripéties du héros et des chapitres de son manuel, qui est un succès, se vendant à plus de 200 000 exemplaires. Devant cette reconnaissance du public, Emilien Long, qu’on pensait un peu flemmard mais qui a un tigre dans le moteur, décide de se présenter à la présidentielle. Au départ, sa candidature est perçue comme une blague, à la Coluche, mais le quarantenaire, qui fait penser à Piketty ou à Villani, tous ces scientifiques qui finissent par avoir de l’ambition, s’accroche. Et, petit à petit, il finit par convaincre, auréolé de sa stature de Nobel et porté par un désir de poésie solidaire.

Tout l’enjeu d’Emilien Long et, à travers lui, d’Hadrien Klent, est, à travers près de 360 pages écrites à la faveur des deux premiers confinements, de faire comprendre à ses lecteurs que la paresse, terme provocant, ne veut pas dire «fainéantise». Le but n’est pas de travailler moins pour se vautrer devant Netflix, mais de consacrer son temps libre aux autres, à des associations, à son potager, à la réflexion, etc. «En 2008, on devait surmonter la crise des subprimes. Aujourd’hui, celle du coronavirus, défend Emilien Long, face à la ministre de l’Economie de la macronie. Demain, ce sera quoi ? Le réchauffement climatique ? […]. A chaque fois le libéralisme triomphant propose qu’on souffre encore plus ! Qu’on se sacrifie pour sauver un système qui est pourtant absurde. […]. Moi, je propose le contraire. Qu’on inverse la place du travail et du temps libre. Vous savez, que l’on soit collapsologue ou pas, et moi je ne le suis pas forcément, on ne peut nier que les choses, en ce moment, déclinent dans le monde en général et dans notre pays en particulier : l’espérance de vie n’augmente plus, la qualité des logements diminue, le bonheur mesuré s’effondre.» Pour le candidat, il faut ainsi opposer les productivistes, le camp d’en face, aux «vivants», c’est-à-dire eux, les «réalistes». Montrer que les arguments défendus ne sont pas utopistes mais que c’est le néolibéralisme au contraire qui l’est. Et on finit (presque) par croire qu’un tel candidat, dans la vie réelle, pourrait gagner.

Emilien Long, qui constitue une équipe vive et diverse autour de lui, ne s’intéresse pas seulement au temps de travail et à sa nouvelle organisation, mais à tout ce que cela implique comme logique de notre rapport au monde : sur l’environnement, l’agriculture, la culture, les logiciels libres, les réseaux sociaux, la taxation des Gafa et du patrimoine, la réduction des plus hauts salaires, etc. Il crée un système cohérent, avec lequel d’ailleurs sur certains points on n’est pas toujours d’accord, mais qui a le mérite d’exister. C’est, paradoxalement, ce qui est assez triste à la lecture de Paresse pour tous : se dire que, malgré l’année électorale et les programmes qui arrivent, on ne lira rien dans les prochains mois de plus original tout en étant sérieux, de plus «disruptif» comme disent les macronistes, pour repenser la gauche. Et il fallait passer par une fiction écrite par un inconnu. Dommage que l’auteur ne soit pas un politique mais, qui sait, peut-être qu’il en inspirera certains.








Paresse pour tous, d’Hadrien Klent, éd. Le Tripode.


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