lundi 28 juin 2021

Inclusivité Dyslexie : le handicap, c’est les autres

par Fanny Ruz-Guindos-Artigue   publié le 25 juin 2021 

Déclarée «grande cause nationale» par Emmanuel Macron, la lecture reste un obstacle pour nombre de dyslexiques qui se sentent handicapés par des mesures inadaptées à leurs troubles.

«Parfois quand je lis une phrase, je m’embrouille, je n’arrive plus à visualiser les mots.» Ce sentiment de «flou» que décrit Marie-Anaïs Bacqueville, infirmière de 24 ans, 6 à 8 % de la population le connaît bien. Les dyslexiques souffrent d’un dysfonctionnement cérébral qui complique l’acquisition et l’automatisation de la lecture et de l’écriture. Un trouble qui peine à être reconnu et pris en charge, alors qu’Emmanuel Macron a fait de la lecture la prochaine «grande cause nationale».

C’est une incapacité à assimiler certaines règles orthographiques, grammaticales ou de conjugaison qui met la puce à l’oreille des instituteurs entre la classe de CP et de CE1. Ils alertent les parents et les orientent vers un orthophoniste. Le début d’un «parcours du combattant lent, épuisant et coûteux», juge Jean-Marc Roosz, président de l’Ecole 2 demain, un portail internet dédié au handicap à l’école.

Il faut en effet compter en moyenne un an pour bénéficier d’une séance chez l’orthophoniste. Dans la Marne, les spécialistes ne tiennent même plus de liste d’attente. Une réelle perte de chance pour les élèves de primaire privés d’aménagements lorsque les fondamentaux de la lecture et de l’écriture sont enseignés.

«Une charge mentale énorme»

Quand le diagnostic est posé, les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), surchargées, ne sont pas toujours en mesure de procurer des ordinateurs, logiciels et stylos de lecture. Des outils essentiels mais onéreux qui creusent un fossé d’inégalités entre les enfants. De même, les ergothérapeutes et psychomotriciens ne sont pas pris en charge par la Sécurité sociale, contraignant les familles à trouver d’autres ressources ou de s’en priver. «J’aurais eu besoin d’être suivie par une psychomotricienne,se rappelle Marie-Anaïs Bacqueville. Mais ma mère m’a avoué il y a peu que, en termes de budget, c’était impossible.»

La jeune femme pointe l’investissement sans faille de sa mère : «Elle m’amenait chaque mercredi chez l’orthophoniste, faisait en sorte de ne pas me couper des goûters d’anniversaire, s’occupait des rendez-vous à l’école…» Elle lui fabrique aussi une règle où est inscrit l’alphabet, une anti-sèche approuvée par les professeurs, la dyslexie empêchant encore aujourd’hui l’infirmière de 24 ans de réciter l’abcédé.

A la tête des associations, les mères mènent le combat de la reconnaissance et de l’inclusivité de ceux qu’on appelle les «dys». Dans ces familles où la dyslexie est génétique, elles ont souvent mis leur carrière entre parenthèses. Gwenaëlle Lebossé, fondatrice de l’association O’Extras Ressources, a fait l’école à la maison pendant trois ans à ses deux enfants dys alors en primaire, fatiguée de voir sa fille sortir de classe en pleurant. «C’était au bon vouloir des professeurs : beaucoup n’étaient pas formés, certains ne voulaient pas s’informer. C’était un combat quotidien de leur rappeler l’existence du PAP», le plan d’accompagnement personnalisé destiné à aménager les cours en fonction des troubles de l’apprentissage des élèves. Lebossé, sauveteuse en mer, elle-même dyslexique, s’est formée pour aider ses enfants jusqu’à devenir AESH (accompagnant d’élève en situation de handicap). «C’est une charge mentale énorme. Mais ma fille a obtenu un bac littéraire et mon fils va intégrer les compagnons du devoir», détaille-t-elle fièrement.

Elèves humiliés

A l’école, les copies teintées de rouge et les notes négatives traumatisent. «Quand tu arrives au collège puis au lycée, tu as plusieurs professeurs, et donc plusieurs personnalités, entre ceux qui s’en fichent royalement et ceux qui en font trop», analyse Marie-Anaïs Bacqueville, consciente que les enseignants manquent de formation. Elle se souvient d’une professeure d’histoire-géographie qui, lorsqu’un élève a demandé ce qu’était un PAI (l’ancêtre du PAP), a répondu : «C’est pour les handicapés du cerveau.» «Toute la classe s’est retournée vers moi en attendant une réaction. Ma réponse a été d’avoir une des meilleures moyennes de sa classe et de lui montrer que l’handicapée du cerveau pouvait réussir.»

Jusqu’aux examens, les élèves dys et leurs parents luttent pour faire valoir leurs droits. «La France a le bonnet d’âne de l’Europe en matière d’école inclusive», regrette Concepcion El Chami, présidente de l’association Dyslexiques de France. Au moment des examens, une commission réexamine le dossier médical de l’élève, sans toutefois le voir, pour lui accorder ou non des mesures de compensation. Certains se voient retirer les aménagements du PAP juste avant les épreuves. «C’est comme enlever ses lunettes à un myope. Ça crée des dépressions et des phobies scolaires.»

«Je ne suis pas handicapée»

Aujourd’hui infirmière en psychiatrie, Marie-Anaïs Bacqueville multiplie les mails et les transmissions écrites à ses collègues dans la crainte du jugement : «J’ai peur que les gens aient les yeux qui pleurent en me lisant. Je ne peux pas m’empêcher de m’excuser par avance.» C’est parce qu’elle était gênée de faire relire ses mails avant envoi que Justine Vilgrain a créé le logo Certified Dyslexic («certifiée dyslexique»). Le tampon, apposé en haut d’un CV ou en signature de mail, signifie à l’interlocuteur son trouble dys et permet d’espérer une certaine indulgence face aux fautes. L’idée a surgi après une scolarité décousue faite d’humiliation – les professeurs lui jetaient les copies à la figure ou faisaient applaudir la classe quand elle atteignait les 0,5 /20 –, de redoublements et de changements d’établissements. A 15 ans, elle part en pension en Angleterre puis à l’université aux Etats-Unis. Typographie adaptée, temps supplémentaire, ordinateurs, professeur pour lire et à qui dicter son essai lors des examens, Justine Vilgrain réussit et crée sa propre entreprise : «Ma dyslexie était vue comme une force, pas comme un handicap.»

«J’ai peur que les gens aient les yeux qui pleurent en me lisant. Je ne peux pas m’empêcher de m’excuser par avance.»

—  Marie-Anaïs Bacqueville, dyslexique et infirmière en psychiatrie

En chœur, les dyslexiques interrogés considèrent que l’inadaptation scolaire et professionnelle crée le handicap, pas le trouble. «J’ai un handicap mais je ne suis pas handicapée, soutient Marie-Anaïs Bacqueville. Je pourrais demander la carte travailleur handicapé, mais, en tant qu’infirmière, j’ai l’impression de côtoyer des gens avec de vrais handicaps” et je ne me sens pas légitime.»Comme 80 % des handicaps, les troubles dys sont invisibles et souvent incompris. «Il y a beaucoup de discrimination à l’école, notamment par ignorance. Certains professeurs retirent les aménagements aux élèves qui ont de bonnes notes, alors que c’est précisément grâce à ces aménagements qu’ils peuvent réussir. On assimile le handicap à l’invalidité», commente Jean-Marc Roosz. Et Gwenaëlle Lebossé de conclure que le manque d’inclusion crée le handicap : «Mes enfants se sentent handicapés parce que lésés et incompris.»


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