dimanche 6 juin 2021

Gaspard Dhellemmes choisit son Lacan

par Claire Devarrieux    publié le 3 juin 2021

Après avoir entrepris une analyse, le journaliste part sur les traces d’une patiente du célèbre psychanalyste. Il signe un essai où se mêlent enquête et plaidoyer pour la discipline.

Il a été un adolescent malheureux, un étudiant mal à l’aise, il devient un jeune journaliste assommé d’antidépresseurs, empêtré dans ses ambitions et ses empêchements. A 24 ans, l’été 2011, Gaspard Dhellemmes est reporter à la Provence. Il se retrouve en plein «marasme psychique». Il a eu la curieuse idée de rédiger un blog sur «les coulisses» de son métier, d’ironiser sur la presse régionale, en pensant qu’il ne serait pas lu : ses collègues le prennent si mal qu’ils ne lui adressent plus la parole. Les choses s’arrangent un peu quand il est envoyé à l’agence de Cavaillon. Notamment parce qu’une consœur lui offre Une saison chez Lacande Pierre Rey. Il a enfin trouvé une planche de salut.

Gaspard Dhellemmes fait de Pierre Rey (1930-2006) un journaliste mondain. Ce qu’il était. Mais il était surtout un auteur de best-sellers, ce qui rendait beaucoup plus spectaculaire le récit de la cure qui l’arracha à la dépression. «Je lirai et relirai Une saison chez Lacan, écrit Dhellemmes dans la Disparue de Lacan. Il me touchera toujours autant. Avec cette lecture, j’ai senti se tendre les fils qui me reliaient à la psychanalyse.» C’est en classe de terminale qu’il a découvert Freud, puis Lacan, grâce à son professeur de philosophie. Puis c’est dans le cabinet d’une psychanalyste, s’y rendant «deux fois par semaine pendant six ans» qu’il comprend réellement de quoi il s’agit : «Aujourd’hui je réalise que la cure est en réalité beaucoup plus affaire d’érosion, de déplacements. Petit à petit, une parole nouvelle advient, qui remplace le discours stérile de la névrose. La parole pleine “réordonne les contingences passées en leur donnant le sens des nécessités à venir”, dirait Lacan.»

Coup de poignard

La Disparue de Lacan est à la fois un plaidoyer pour l’analyse et une mini-biographie de Jacques Lacan. Le livre est comme les cigares cubains du psychanalyste, qui n’étaient pas tordus, comme on l’a cru à tort, «mais tressés, car confectionnés par trois, torsadés». Il est lui-même tressé de plusieurs thèmes. On voit le jeune Jacques (Dhellemmes le présente sous son prénom), interne en médecine, demander à effectuer un stage à l’infirmerie spéciale de la préfecture de police, où exerce l’aliéniste Gaëtan de Clérambault. Et on le voit, en 1931, découvrir celle qui sera le sujet de sa thèse. Elle s’appelle Marguerite Anzieu. Il la rendra célèbre sous le nom du «cas Aimée».

Marguerite Anzieu, employée des Postes et romancière jamais publiée (elle a d’ailleurs essayé d’étrangler une secrétaire de Flammarion), est enfermée à Sainte-Anne pour avoir donné un coup de poignard à une actrice alors célèbre, qu’elle accuse de la faire souffrir et de lui voler ses idées. Lacan, qui vient la voir tous les jours pendant un an et demi, «forge le concept de «paranoïa d’autopunition» qui sera le centre de sa thèse. En frappant Huguette Duflos, Marguerite s’est surtout frappée elle-même». La thèse est soutenue en 1932. De Sainte-Anne, Aimée est transférée à l’asile de Ville-Evrard. Elle n’en sort qu’en 1943.

Tenace détracteur

L’histoire ne s’arrête pas là. C’est le troisième thème de la Disparue de Lacan. Marguerite Anzieu avait un fils, Didier, né en 1923. Agrégé de philosophie, il s’oriente vers la psychanalyse. S’allonge sur le divan de Lacan, sans savoir le lien que celui-ci a avec sa mère. Quand il le découvre, il rompt avec son psychanalyste, et il en sera plus tard le plus tenace détracteur. Quant à sa mère, dont il a été longtemps séparé (il a été élevé par son père et sa tante), il renoue avec elle. Elle lui a légué son amour de la littérature. Il vient la voir en Bourgogne où elle s’est installée. «Un soir, écrit Gaspard Dhellemmes, imaginant la scène, Marguerite a quelque chose à lui annoncer. Elle a trouvé un nouveau travail, pas loin d’ici.» Elle est la gouvernante d’un vieux monsieur. Il s’appelle Alfred Lacan. Et c’est ainsi qu’Aimée est entrée au service du père de Jacques. Personne ne sait comment.









Gaspard Dhellemmes, la Disparue de Lacan, Fayard, 158 pp.


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