samedi 12 juin 2021

Enfants orphelins : une reconstruction mots à mots

par Nathalie Dray  publié le 11 juin 2021

Un documentaire suit la lente reconstruction de jeunes ayant perdu un parent, accompagnés par une association qui privilégie la parole.

C’est une formule intraduisible, une sorte de juron qui n’en est pas un, que Charlie Brown, le copain mélancolique de Snoopy, profère souvent quand les évènements le prennent de revers et que les mots viennent à manquer : «Good grief !». C’est aussi le nom d’une association dans le New Jersey qui vient en aide aux enfants confrontés au drame le plus terrible qui puisse frapper un petit : la perte de ses parents. La traduction littérale («bon chagrin») allant dans le sens d’une tristesse rédemptrice, avec l’idée qu’à défaut de ne pouvoir conjurer le malheur, l’affliction a des vertus bénéfiques et consolatrices dès lors qu’elle trouve à s’exprimer.

C’est assez simple au fond, cela s’appelle le deuil. Simple mais difficile, surtout quand on est un enfant, qu’on peine à mettre des mots sur des sentiments confus – la tristesse, la colère, la peur, la solitude, l’abandon –, qu’on ne comprend pas ce qu’est la mort si ce n’est par le vide, la béance que laisse le père ou la mère en disparaissant. L’association propose des groupes de parole, mais comment formuler ce que l’on ne conçoit pas ? Comment dire ce que l’on ressent, mais dont on distingue à peine les effets ? Car au-delà des dessins, des images, des jeux, qui permettent de faire remonter les souvenirs, affleurer les évènements traumatiques sur un mode allégorique, les mots demeurent la clé de voûte du deuil et de la reconstruction.

Grâce débordante

Tout l’enjeu du beau film de Katrine Philp semble donc tenir sur une crête : laisser émerger cette parole, l’accompagner en lui offrant le plus sobre des écrins, une immersion, sans commentaire ni analyses de surplomb, au sein de Good Grief, auprès d’une poignée d’enfants de 6 à 10 ans, dont la seule présence à l’écran suffit à injecter au film des effets de surprise et une grâce débordante. Le plus troublant dans les propos des bambins tenant à ce curieux mélange de naïveté et de gravité. De les voir si stoïques, en dépit du cataclysme qui a bouleversé leur vie, user de subterfuges, de moyens détournés, pour dire le malheur en le tenant à distance. Bref, faire de leur vie un récit de fiction. Un peu comme cette petite fille qui, après avoir raconté les derniers instants de son père mort dans l’ambulance, conclut avec un sourire : «Voilà c’était juste une histoire, mais une histoire vraie».

Au-delà des nuages, de Katrine Philp (2020, 58 minutes), sur Arte, mercredi 30 juin à 23h35.


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