mardi 15 juin 2021

En Suède, la pandémie a relancé les débats sur la discrimination des seniors

Par  Publié le 15 juin 2021

Dénoncée depuis plusieurs années, la tendance de la société suédoise à mettre les plus de 67 ans sur la touche a gagné en visibilité pendant la pandémie.

Stig Larsson, 89 ans, reçoit une dose de vaccin Pfizer-BioNTech, à Nyköping, en Suède, le 27 décembre 2020.

LETTRE DE SUÈDE

« On ne peut pas avoir une loi qui protège mieux Britt-Marie, 45 ans, qui passe son temps à la cafétéria, qu’un jeune prêt à travailler dur. » Grosse bourde ou sacré coup de pub pour le Mouvement des jeunes centristes suédois ?

En un tweet, le 18 mai, sa nouvelle présidente, Réka Tolnai, 22 ans, élue quelques jours plus tôt, a montré jusqu’où elle était prête à aller pour défendre les intérêts des jeunes, quitte à heurter le reste de la population – même quadragénaire –, et relancer la polémique sur l’âgisme et la discrimination des seniors, un phénomène jamais autant débattu en Suède que depuis le début de la pandémie de Covid-19.

Pour comprendre la rancœur des plus âgés, il faut remonter au mois de mars 2020 : quand le reste de l’Europe et une bonne partie du monde se confinent, la Suède reste ouverte. Mais il est expressément demandé aux plus de 70 ans de s’isoler. Ils peuvent sortir faire de l’exercice, mais pas question d’aller faire des courses ou de se réunir.

« Nous avons été traités avec condescendance, dénonce Christina Tallberg, la présidente de la principale association de retraités, Pro. On nous a présentés comme un groupe vulnérable, qu’il fallait protéger, sans prendre en compte qu’il y a de grosses différences entre les âges et les personnes. Mais nous n’avions plus notre mot à dire. Les responsables politiques et les autorités sanitaires se sont mis à parler au-dessus de nos têtes, comme si nous étions incapables d’avoir un avis. »

Hécatombe

Pendant ce temps-là, dans les maisons de retraite, c’est l’hécatombe. Si tout le monde le déplore, il n’est pas rare d’entendre, y compris dans la bouche d’officiels, que les personnes décédées étaient « très âgées » et seraient de toute façon « probablement mortes » dans les semaines ou les mois suivant.

Une enquête réalisée par l’inspection des services médicaux et sociaux a révélé, fin novembre 2020, qu’une toute petite minorité des résidents de ces établissements, contaminés par le Covid-19, avaient pu voir un médecin. Parmi ceux morts entre avril et mai de cette année, seuls 13 % ont été hospitalisés. Les autres sont morts dans les maisons de retraite, n’ayant souvent reçu que des calmants et des analgésiques.

Ingmar Skoog, professeur de gériatrie à l’université de Göteborg, y voit un effet de la perception du grand âge en Suède : « On semble avoir du mal à imaginer qu’un octogénaire, atteint de démence, puisse éprouver une certaine joie de vivre. On a donc décidé qu’il valait mieux épargner à certains un traitement douloureux et leur donner de la morphine, même si cela réduisait leur chance de survie. »

Autre décision, très critiquée par le gériatre : la suspension des visites dans les structures accueillant des personnes âgées, prolongée bien au-delà des recommandations de l’Agence de la santé publique, dans certaines communes.

Une société obsédée par l’âge

Ancienne journaliste à la télévision publique, Marianne Rundström, 70 ans depuis janvier, a consacré un livre à la discrimination des seniors. Le 11 mai 2017, elle a présenté sa démission, après vingt-deux ans de bons et loyaux services. Quelques jours plus tôt, la direction de Sveriges Television (SVT) avait annoncé un rajeunissement de l’équipe de l’émission d’information du matin qu’elle présentait. Depuis, elle a créé son entreprise et travaille à un peu plus de 70 %.

Marianne Rundström critique une société obsédée par l’âge et s’interroge sur le rôle du numéro d’identification personnelle des Suédois, qui se compose de la date de naissance de chaque résident, assortie de quatre chiffres : « Je passe ma vie à donner ma date de naissance. Même quand je vais acheter des chaussettes. » Ce numéro d’identification est en effet utilisé dans les commerces pour enregistrer les achats et obtenir des remises.

Ces dernières années, plusieurs de ses collègues, dans l’audiovisuel public, ont dénoncé la loi sur la protection de l’emploi et sa « règle des 67 ans »,qui les a poussés vers la sortie malgré eux. C’est le cas du présentateur star de SVT, Claes Elfsberg, prié de faire ses cartons le 30 novembre 2015, quatre jours après son 67e anniversaire.

Selon la législation, les employeurs ont un mois après cette échéance pour se séparer de leurs salariés. Ensuite, ceux-ci sont de nouveau couverts par la loi sur la protection de l’emploi et quasiment indéboulonnables.

Chômage record chez les plus de 60 ans

Ce dispositif est d’autant plus critiqué que la Suède, qui a adopté un système de retraite par points, veut encourager les habitants du royaume à travailler le plus longtemps possible, dans l’espoir d’augmenter leur pension. Une réforme vient même d’être adoptée pour permettre aux seniors de garder leur poste jusqu’à leur 69e anniversaire au moins. Elle entrera progressivement en vigueur d’ici à janvier 2023.

Mais faut-il encore qu’ils aient un emploi. « Si vous le perdez, c’est de plus en plus difficile d’en retrouver un, à mesure que vous vieillissez », constate Ingmar Skoog. En 2020, la Confédération suédoise des associations professionnelles, qui représente 700 000 salariés diplômés d’université, a enregistré un taux record de chômage chez ses adhérents les plus âgés : 70 % des 60-64 ans ont connu au moins six mois d’inactivité.

« Les septuagénaires sont pourtant les nouveaux quinquagénaires », assure Barbro Westerholm, doyenne du Parlement à 87 ans. Pour la députée libérale, il reste beaucoup à faire pour changer les esprits. A commencer par « donner plus de visibilité aux seniors », dans les médias, mais aussi sur la scène politique : actuellement onze parlementaires sur 349 ont plus de 65 ans, alors que les gens de cette tranche d’âge représentent 20 % de la population. Quant à l’âge moyen des neuf principaux responsables politiques, il est de 46 ans.  


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